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Contes de Sèvres…  et du Michigan (USA)…

(textes reçus les 2 et 3 mai 2012 par le net… et retrouvé sur Voile au Vent)

Le bûcheron

Le bûcheron avec sa scie
Coupe l’arbre sans pitié,
Avec son ami il rit
Du pauvre arbre.

Puis il entend un bruit
Il se retourne avec attention
Et à côté de lui il vit
Un castor mangeant sa ration.

Il le prit dans ses mains
Le caressa avec tendresse
Puis le castor saute de ses mains
S’éloignant du bûcheron et le laisse.

Le bûcheron reprend sa scie
La met sur son épaule
Puis il dit
Je reviendrai à l’aube.

Dominique MORIN,
(Voile au vent 1963).

La fête du muguet de Chaville

Aujourd'hui, c'est le 1er mai. C'est de nouveau la fête du muguet. Pour les adultes, le 1er mai est la fête du travail* en France; un jour de repos comme les autres. Pour le petit sévrien d'antan, c'est une fête pas comme les autres.
Ce sont de jolis chars fleuris défilant le long de la grande rue, chars couverts de milliers de brins de muguet et couronnés de jolies et gracieuse princesses des forêts domaniales des alentours. C'est aussi un défilé de costumes et d'uniformes des fanfares et des gardes champêtres des communes avoisinantes.
C'est surtout aussi les cris de joie des jeunes qui profitent de ce moment de liberté totale pour s'enivrer de cette belle journée tellement attendue d'eux toute l'année. C'est la course de centaines de petits pieds se ruant ici et là pour attraper ce que les princesses leur jettent. C'est aussi la danse des confettis qui tourbillonnent au passage de chaque île flottante jonchée de muguet.
A mesure que le défilé champêtre se termine, des dizaines de stands se révèlent des deux côtés de la grande rue, stands qui font rêver le petit sévrien dont les poches sont vides de sous, mais sa joie est telle qu'il oublie vite que ses poches sont vides et il continue sa course folle à travers les odeurs délectables et les cris familiers.
Assoiffé et affamé, il rentre chez lui pour rejoindre sa grande famille. La journée est finie pour lui, mais elle commence pour les grands, qui eux, pourront écouter les musiciens jusqu'à la tombée de la nuit. Ah ! la fête du muguet à Chaville.

Dominique MORIN,
(Le Goëland 2010).

*Pingouin s’empresserait de rappeler qu’il s’agit de la Journée des travailleurs (et non du travail). Le 1er mai 1886, 200.000 syndicalistes américains conquirent la journée de huit heures. (note de Robert).

Nuits insolites

Mon souvenir me dit que si mon lit était petit, je devais donc aussi être petit.
Le lieu de cet événement imprévisible était au 14 de la rue Croix Bosset à Sèvres ; et plus précisément au premier étage de notre demeure, là où se trouvait la chambre aux bruits insolites et lugubres.
Pour arriver à cette chambre, il fallait, une fois arrivé au palier du premier étage, passer par une double porte sur la gauche et s’avancer prudemment dans un court et étroit couloir avant de tourner à droite. Sur la droite du palier, il y avait un encaissement dans lequel se trouvaient trois portes. Celle de droite donnait sur la chambre des malades du moment ; celle de gauche menait aux toilettes ; et celle du milieu était la chambre d’une vieille dame aux traits terrifiants et qui n’avait pas peur de nous donner des piqûres. Elle avait le sommeil bien léger notre infirmière, peu de bruit aux toilettes au milieu de la lui la faisait sortir avec férocité. Il fallait bien des précautions dans notre petite tête sous pression pour s’assurer que la louve n’allait point surgir de son gîte.
Pour en revenir à cette chambre, elle était jonchée de petits lits pour nous, filles et garçons, qui aimaient s’abandonner, sans soucis, aux rêves. Tous sauf deux : une qui se levait au milieu de la nuit avec une crainte folle de se rendre aux toilettes par elle-même; l’autre, incapable de finir de rêver tant la mer sur laquelle il naviguait était démontée. Pour un court instant, il se sentait rassurer d’entendre cette voix au lointain l’appelant, jusqu’au moment où il se rendit compte de ce qui était en train de se passer. La petite secouait son lit pour le réveiller et lui demander de l’accompagner aux toilettes, car disait- elle, elle avait peur du noir. Il n’y avait pas de noir dans le couloir, car il y avait une veilleuse. Par contre, il y avait de temps à autre des petits dos noirs et fourrés à pattes courtes et rapides qui fuyaient à notre vue. Ainsi, bien des nuits passèrent.
Fatigué de cette voix lointaine, de ses ébranlements, et de cette course pour éviter de risquer de se faire mordre les pieds, une idée insolite lui vint à l’esprit. Il offrit de porter la petite sur son dos, sous prétexte de la protéger contre des morsures éventuelles. Elle accepta d’emblée. C’est alors que, juste avant de rentrer dans la chambre, il la laissa tomber dans une grande poubelle de métal léger dans le couloir près de la porte de la chambre. Cela fit un bruit infernal qui résonna dans tout le couloir. Le petit se remit au lit comme si de rien n’était alors que déjà la monitrice se rendait sur le lieu du vacarme et des gémissements. Ce fut la dernière fois que la petite me réveilla pour l’accompagner aux toilettes. J’ai donc pu finir mon jardin d’enfants en faisant de beaux rêves. Plus de bateaux sur mers déchainées, plus de voix lointaines gémissantes et plaintives, et plus de louve prête à bondir de son gîte.

La montée au château

A l’âge de dix ans à peine et me voilà en promenade forcée soir et matin. Notre classe, garçons et filles, se rendait au château de Bussière pour y coucher chaque nuit. Donc montée au château après le repas du soir et retour à la rue Croix Bosset pour le petit déjeuner, et ainsi jusqu’au soir. Hubert et François nous y montaient au début de cette expédition, puis notre championne Caribou qui nous soumettait à un régime militaire. Qu’il pleuve, qu’il vente, de lampadaire à lampadaire, et avec une énergie inépuisable, nous parcourions ces étapes de notre vie sans se rendre compte qu’elles étaient parmi les plus belles. Tous et toutes vêtues de la même cape et portant des bottes noires en provenance d’Amérique du Nord, nous montions et descendions les collines de notre jeunesse. Nous étions unis par le sort et le sort faisait que nous ne vivions que pour le présent, profitant de chacun et de tout sans arrières pensées et dotés d’une naïveté presque enchantée.
On se rassemblait dehors après le diner en face des économats, avant de descendre ces marches larges et plates de notre école. Quelquefois, je languissais au crépuscule sous les fenêtres de la chambre de ma princesse espérant pouvoir échanger un sourire. Je caressais, en la regardant, la nuit tombante d’un geste mélancolique en signe d’adieux. Que cette princesse me donnait du courage! On s’aimait sans se connaître. Elle se précipitait à sa fenêtre pour voir partir son châtelaine et son châtelain languissait de la revoir le lendemain à la même heure, car cette heure semblait magique: un moment de gestes qui remplaçaient les mots que nous ne pouvions exprimer. Oui nous n’avions que dix ans et partagions déjà l’espoir d’être aimé. C’était mon moment préféré de la montée au château bien qu’il fut le plus court.

Café noir et pain grillé

C’était un matin de ma jeunesse, l’an m’en échappe, mais le souvenir de cette vue tentante, elle, ne m’échappe point. Ce petit bonhomme, d’une tête de plus que la hauteur de la table de la direction, était dans le rang des petits et rassemblé au réfectoire avec le reste de sa grande famille prête à chanter avant de s’asseoir pour le petit déjeuner. De l’autre côté de la table, et face à cette petite bouille bien joufflue et aux yeux affamés, il vît un homme âgé là assis à lire son journal. Il était vêtu d’un peignoir sombre un peu entrouvert et portrait un bouc et une moustache autoritaires. Son visage avait les marques du temps et son regard, en retrait d’épais sourcils, semblait foudroyant, mais son coeur, comme vous allez le voir, était d’une grandeur rare. Ce petit Sévrien, en effet, venait d’apercevoir tout prêt du journal, un bol de café noir et des tranches de pain grillé. Captivé par cette apparition salivante, son visage ne put cacher l’envie qui venait de l’assaillir. Ce vieux monsieur, ayant compris ce regard affamé, n’hésita pas une seconde pour intervenir; et, en dépit du chant matinal qui à tout instant allait retentir à travers le réfectoire, son coeur lâcha ses mots tendres qu’il avait tant prononcés au fil des années difficiles des enfants de cette maison, et dit: « mais il a faim ce petit ».

Il faut vous dire que nous les enfants, avions café au lait, pain beurré et confiture ou miel chaque matin. Autant vous dire que café noir et pain grillé étaient une chose rare et par conséquent encore plus désirable. Ce petit Sévrien s’était alors promis de commander café noir et pain grillé pour Noël. Certains de ses frères et soeurs se souviennent encore de celui (car le nom n’était pas aussi mémorable que l’événement lui- même) qui avait commandé café noir et pain grillé pour Noël. Oh et il a aussi reçu ce Noël-là une lune souriante et joufflue en forme de ballon.

Petit bonhomme écureuil

Le petit déjeuner à la rue Croix Bosset était la source de mon ravitaillement. Et c’était facile; voici pourquoi. Je pouvais facilement rester à table jusqu’à la dernière minute. Mais quelle dernière minute, celle du petit déjeuner ou celle d’avant le commencement des cours? Ce Sévrien bien que petit pour son âge avait un bien gros ventre. Un gros ventre qui n’avait pas peur de rentrer en compétition avec celui de Sylvain le géant. Il fallait les voir à l’œuvre les morfals en dédale.

Ce matin là (comme beaucoup d’autres auparavant) nous étions tous deux restés derrière à récupérer les bols de confitures des tables libérées de cette armée d’affamés. Et nous continuions l’attaque, nain et géant, le ventre en tête et la tête dans le ventre. Une fois Sylvain parti, je me précipitais pour emmener ce qui restait de confiture et de pain à ma cachette préférée. Je sortais donc vite du réfectoire, passait rapidement devant la porte des cuisines prétendant me rendre au lavabo sous l’escalier, lavabo qui aussi était près de la porte de sortie sur la cour. Une fois dans la cour, je me rendais derrière les cuisines en passant devant la bâtiment des petits. Et vite, je cachais mes victuailles sous la cage des lapins.

Bien vite je me rendais en classe, quelquefois un peu tard, mais sans conséquences graves. J’étais ainsi rassuré de savoir que quelque chose de bon m’attendait. Et je pensais qu’il n’y avait que les lapins qui le savaient. Jusqu’au jour où quelque temps plus tard, alors que j’attendais ma pomme de terre de Mme Lerallu en tant que récompense pour avoir été chercher du charbon, elle me dit avec un petit sourire sur le coin des lèvres, « mais qu’attends-tu, va voir tes lapins, ils ont quelque chose de bon pour toi ! ». Surpris et apeuré : toutes ces dames de la cuisine se mirent à rire et me dirent qu’elles m’avaient vues faire bien des fois. Il me fallait donc changer de cachette. Mais où aller qui soit proche ? Mes poches ? Ah oui, les poches de mon tablier étaient bien grandes; je pourrais y cacher un peu de pain et du beurre.

Le jour arriva où ce comportement d’écureuil s’arrêta. Ce fut le jour où j’avais oublié que j’avais mis un gros morceau de beurre bien enveloppé dans ma poche. Ce n’est que dans l’après-midi alors que je cherchais mon mouchoir dans lapoche de mon tablier que j’en ressortis des doigts enrobés de beurre fondu. J’avais oublié. Et Jean-Pierre et Denis rigolaient à n’en plus finir.

Le casse-croûte de minuit

De la chambre des grands au château de Bussière aux cuisines c'était une descente rapide et sans difficulté particulière, sauf, peut-être les escaliers qui étaient toujours bien astiqués, et donc glissant pour les démons de la vitesse que nous étions. L’escalier de dehors amenant à la cuisine lui était en béton, donc pas question de déraper. Sans palier et abruptes, certains d’entre nous en avaient un peu peur sous pression. Oui, je dis bien sous pression car les affamés de l’ancienne chapelle avaient entendu dire qu’il y avait en bas sandwish-viande et café noir.

Mais pourquoi et pour qui demandait Jean Q. «C’est la bouffe de la veilleuse,» dit une voix dans le noir de notre chambre, chaude d’anticipation d’un éventuel danger. Et c’est ce goût du danger plus que le magot qui me poussa à prendre la tête de cette expédition nocturne de morfales. Trois d’entre nous sur la pointe des pieds et avec précaution descendirent ces escaliers de bois glissant, prenant soin de s’accrocher à la rampe. Une fois dehors, en file indienne, nous nous précipitâmes vers la cuisine. Je fais le guêt, Jean ouvre la porte et Maklouf s’empare du repas de minuit de la vieilleuse.

Malheureusement, voilà qu’une fois au premier palier des escaliers de notre bâtiment, la dame maigre aux jambes de pantère surgît de la salle des fêtes, et nous voilà poursuivit à grande vitesse. Ah! qu’il était difficle de ne pas perdre sa force et son agilité quand on entendait tout ces dérapages et ces coups de coudes et de jambes contre les murs. On avait l’impression qu’on arriverait jamais jusqu’en haut, surtout quand l’essouflement de la pantère noire semblait de plus en plus fort.

Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé dans les secondes qui suivèrent. Je me souviens seulement qu’il m’était très difficile de respirer normalement sous ma couverture pendant que la veilleuse scrutait tous les lits avec sa lampe. Ce n’est que le lendemain que nous apprîmes de Goëland que ceux qui avaient fait ce coup seraient attrapés et sévérement punis. Mais vous savez bien que les enfants sont solidaires les uns des autres, n’est-ce pas ? (à l’exception de Malika M., mais ça c’est une autre histoire). Je me demande de ce jour si la veilleuse changea son heure de repas ou la location de son casse-croûte de minuit. Qui l’a mangé ce soir là et qui a bu le café ? C’est toi Jean ? C’est toi Maklouf ?

Dominique MORIN,
(1950-1962 — Mai 2012).

Lire aussi deux témoignages sur la Maison :
En 1946, nous étions trop désorientés, mon frère et moi… (extraits du livre "Un arbre en Israël" de Gilbert Martal),
…Elle restait là des heures entières… (extraits du livre "Une fille sans histoire - roman" de Tassadit Imache).

et
Une école pas comme les autres - (1971-1974) - Annie Labbe
La Maison de Sèvres et les cadeaux de son enseignement - (1945-1949) - Michel Leleu
Jeannine se souvient - (1947 - 1950) - Jeannine Granvilliers

Je viens de découvrir avec émotion - Didier Martin
Mon Vichy, mes biscottes - Didier Martin
Ancien du Château de Bussières ! - Gilles René Villeroy
Je viens de recevoir le nouveau bulletin - Muriel Baghioni-Lavigne
J'ai gardé un très bon souvenir de la Maison - Jacqueline Guilhem-Demirci
À la recherche de mon enfance - Didier Martin
La veille des grandes vacances - Cécile Besson-Peynaud
Un château inestimable - Annie Burggraeve-Rocca
Tout commence en 1971 - Julia Sabot-Favre
Il y avait un prof de danse - Ludovic Kalita
Jupiter, Flamand rose…- Christian Carmona
Je l'attendais depuis tellement longtemps… - Danielle Lewis Bendaoud
Zora, une nouvelle ancienne…- Zora
Souvenirs en vrac 1945-54… - Fortunée Metz
Souvenirs de l'internat 1978-1987 - Céline Peynaud née Besson
Le secret du buffet - Didier Martin
Une colère de Pingouin - Didier Martin
Quelle surprise en allant sur le net - Cristiane Aquilina
C'était ça aussi la Maison de Sèvres - Jean-Michel Gleyze
Dans nos courriels - Jean-Bernard Gageot, Marie Dominique Liégeois
J'ai vu une petite fille nommée Lotta…- Josiane Bourgeon-Austruy
Des années heureuses, 1947-1948-France Amerongen

Caravelle (lino)

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