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Une école pas comme les autres - (1971-1974)

Lorsque je repense à ma jeunesse, je suis bien obligé de constater que mon passage à la Maison d’enfants de Sèvres m’à apporté bien plus qu’une simple scolarité et un internat. C’est dans une maison et dans une famille que je suis entrée, famille qui va structurer ma vie et dont je peux constater les bienfaits encore aujourd’hui.

Je suis arrivée en fin de premier trimestre de mon année de 5eme, pendant l’année scolaire 1971-1972. J’avais d’abord rencontré Orchidée et Mme Alté, le jeudi, pour une première prise de contact.

Je suis incapable de me souvenir de ce qui s’est dit lors de cet entretien, mais j’avais été invitée à revenir dès le dimanche suivant. En descendant la côte de Meudon pour rejoindre le métro, je me sentais incroyablement joyeuse et légère, et j’étais impatiente de revenir.

La chose la plus extraordinaire que j’ai découverte, c’est cette habitude de lever le bras pour demander le silence. Un enfant pouvait se lever, se mettre au milieu d’une salle bruyante et tout le monde devait lever le bras jusqu’à obtention du silence, adultes compris. Chacun devait respecter sa demande. L’enfant avait donc dans cette maison une valeur, un droit d’expression, un droit d’existence. Je ne mesure que maintenant combien cela devait être inhabituel à cette époque.

Extraordinaire était aussi l’utilisation des “totems”. Au début, c’est un peu bizarre, mais ça devient très vite naturel. Il me semble que ça devait un peu diminuer la distance entre l’adulte et l’enfant. Cela aide aussi à la mémorisation. On ne se souvient pas du nom des professeurs d’autres écoles, mais les totems de ceux de la Maison d’enfants de Sèvres, on ne peut pas les oublier.

Et puis, il y a eu les activités.

J’ai choisi la poterie avec Gisèle et M. Beaumont, mais ma grande créativité n’aura pas marqué l’histoire de la maison, malgré ma participation à la fresque bleue qui est à droite de l’entrée du château.

Et surtout, j’ai choisi la musique.

La rencontre avec Granit et Gazelle à changé ma vie.

Il n’y a pas un jour, aujourd’hui encore, où je ne pense à eux. Gazelle, si vous lisez ce bulletin, sachez que je vous aime et que j’aimais Granit, qui malheureusement est parti sans que j’aie su le lui dire. Je vous aime parce que vous êtes, sans le savoir, la colonne vertébrale de ma vie ; parce que lors de mon passage à la Maison d’enfants de Sèvres, moi qui était avide d’existence et de reconnaissance, vous avez su me valoriser. Grâce à vous, je me suis sentie utile, importante, et ça m’a permis de construire une certaine confiance en moi.

Lors de mon premier cours de flûte (j’avais déjà joué un peu de soprano à l’école), pour je ne sais quelle raison, Gazelle m’a tendu une flûte alto (flûte en fa). Je n’en avais jamais vu, je ne savais pas que cela existait.

Nous commençons à jouer en groupe et au bout de trois notes, elle arrête tout le monde, se tourne vers moi et me demande : « c’est bien de l’alto que tu joues ? » Devant ma réponse évasive, elle me dit : « joue-moi un mi ». Je m’exécute (je l’avais trouvé à l’oreille). « Eh bien, ça va » dit-il . Voilà comment je suis devenue officiellement joueuse d’alto. Gazelle m’a fait confiance, et moi, quand on me fait confiance, je deviens meilleure (après le mi, j’ai trouvé les autres notes, par déduction).

Ensuite, comme je n’étais pas mauvaise en alto, ils m’ont confié la flûte basse. Alors là, je me suis sentie importante…

Quand il y avait des invités dans la maison, le soir, qui dînaient avec Orchidée, on venait nous chercher dans les dortoirs, et nous descendions dans la bibliothèque en pyjama pour jouer un duo, un trio, ou un quatuor, entre la poire et le fromage. Je tremblais comme une feuille morte, mais j’étais fière comme un paon.

Plus tard, Granit m’a fait jouer des solos de piccolo avec l’orchestre. Je l’ai joué lors du voyage à Tours.

La dernière année, ils m’ont même demandé de donner des cours de flûte à quatre ou cinq débutants. Ma pédagogie laissant gravement à désirer, aucun d’entre eux n’est devenu artiste, mais moi je me suis sentie plus forte.

Cette force acquise par la valorisation est encore en moi aujourd’hui et m’aura permis de résister aux vicissitudes futures de ma vie.

Je me souviens de Jaguar, qui avec une toute petite phrase à changé mon séjour.

Pendant un cours, il est passé près de ma table, à regardé ma feuille, et avec sa voix de basse m’a dit tranquillement : « Annie Labbe, c’est mal écrit ». Je ne sais pas ce que cette petite phrase a pu toucher dans mon cerveau, mais à partir de ce jour, je me suis mise à écrire très bien, à tel point que je suis devenue spécialiste de l’écriture sur les tableaux que l’on mettait au mur, dans les classes, pour exposer nos travaux. J’ai vieilli, mais j’écris toujours bien. Merci Jaguar.

Je voudrais ici, rendre un hommage à Orchidée, car je me rends compte aujourd’hui, combien il a dû être difficile de succéder à Goéland et Pingouin. Pour moi qui ne les ai pas connus, “avant” n’existe pas. C’est Orchidée qui est l’âme de la maison, l’autorité. C’est elle qui m’a accueillie, c’est elle qui a convoqué ma famille quand il fallait. Grâce à elle aussi, j’ai senti que je comptais pour quelqu’un. J’aimais la façon qu’elle avait de nous obliger à faire des phrases. Lorsqu’elle demandait des explications, les élèves, pour se justifier, commençaient leurs phrases par : « non, parce que ». Alors, elle nous coupait la parole en répétant : « non, parce que », ce qui nous obligeait à revoir notre phrase.

Je me souviens de Sirocco aussi. Pour je ne sais quelle raison, il me faisait un peu peur, mais j’aimais bien la gym, j’étais bonne en gym. Avec lui, il y avait l’atelier théâtre où nous préparions les pièces que nous devions jouer en public. J’étais une piètre actrice, mais j’aimais bien cet atelier.

Arrivé dans cette maison en pleine détresse, accueillie, sécurisée, j’y ai reconstruit un peu des bases pour affronter la vie. Je m’y suis sentie exister et j’y ai puis une certaine force qui m’habite encore aujourd’hui. Ce n’était décidément pas une école comme les autres et en cela, au moins avec moi, les adultes ont atteint leur but.

Annie Labbe

(Infirmière) février 2005, annie.labbe@club-internet.fr

* * *

Notes de Pedrot, Gambau, Marmotte, Odier-Delfuss, :
Une brassée de souvenirs 1941 - 1961
Marmotte (radiographe dentaire)
Le Docteur est fou
Victor Gambau, Premier économe de la Maison

Fragments de notes d'Yvonne Hagnauer :
Les cartes d'alimentation…
Les temps difficiles…
L'Aide à la Maison de Sèvres par L'Unitarian Service Comittee of Canada

Lire sur le site sevres-pratique.com :
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Regards de Michel, d'Annie et d'Ancien(ne)s :
La Maison de Sèvres et les cadeaux de son enseignement
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Témoignages d'Anciennes et d'Anciens

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