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Le secret du buffet dévoilé !  (40 ans après…)

(texte reçu le 28 février 2006 par le net.)

Si un ancien ou une ancienne souhaite laisser un message à Didier Martin voici son adresse : antispammartin.didi@wanadoo.fr

C’est une tradition chez les élèves en pension : dans les internats on mange mal ou pas assez. Ou les deux. La Maison de Sèvres n’échappait pas à la règle, en l’occurence parfaitement fausse. La nourriture était très correcte et en quantité suffisante mais c’est ainsi, un élève en internat est toujours mécontent de ce qu’on lui donne à manger. Donc, il existait une tradition soigneusement entretenue pendant des générations d’élèves qui consistait à faire des « descentes à la cuisine », le terme est de toutes les époques.

Évidemment, le personnel de cuisine, cuisinières, personnes de service, plongeuses et surtout l’économe, M. Salomon, petit homme gras, bedonnant et grisonnant, au demeurant un brave homme, constatait le lendemain matin qu’il manquait bien ceci ou cela, en général dans les friandises ou les desserts, mais n’arrivait jamais à savoir comment avaient opéré les redoutables cambrioleurs. Car effectivement rien ne laissait apparaître une quelconque effraction : pas de porte forcée, pas de serrure abîmée, pas de placard défoncé, pas la moindre trace de violence. Rien !

Un jour pourtant, le secret fut près d’être découvert. J’étais en troisième à cette époque, et avec mon ami Maxime Bisserier, nous décidons d’une énième descente et nous voilà, sur les minuit, sortis de nos lits. Nous descendons l’escalier, silencieux comme des espions, arrivons dans la cuisine silencieuse comme un tombeau, opérons selon l’habitude, remettons tout en place et commençons à déguster sur place : compote et petits gâteaux au menu. Quand brusquement, sans prévenir, la lumière s’allume et apparaît devant nous, que nous n’avions pas le moins du monde entendue arriver, la veilleuse de nuit (qui devait avoir un nom mais que nous n’appelions jamais que par sa fonction) qui nous surprend sur le fait, la bouche pleine, avec le saladier et les gâteaux dans les mains ! Flagrant délit. La sainte femme ne devait pas être bien méchante car je ne me souviens pas du tout des conséquences immédiates de l’évènement : je suppose une dispute réglementaire, mais pas bien violente, d’autant plus que nous n’étions pas les premiers à entretenir cette tradition, et elle en était, à chaque fois, et pour cause, le premier témoin. Bref, nous remontons dans notre chambre et ma foi, les suites ne sont plus graves que cela.

Sauf que le lendemain matin, qui était un dimanche de sortie, Maxime et moi nous rasions les murs pour échapper à la colère possible de Goéland ou Pingouin. Maxime dut être plus discret que moi car il put sortir de la Maison sans être inquiété. Mais quant à moi, à quelques minutes seulement de quitter le réfectoire à la sauvette, je suis harponné par le dit M. Salomon, et qui me dit « c’est toi qui étais avec Maxime cette nuit dans la cuisine pour chaparder la compote et les gâteaux ? Viens avec moi et montre-nous comment vous avez fait ». Et de me descendre derechef à la cuisine. Là, le personnel est réuni comme au spectacle pour enfin connaître le fin mot de l’affaire : « comment font-ils ? ». Mais je me serais fait torturer plutôt que de livrer le précieux secret, jalousement gardé d’année en année par des générations successives d’élèves : cette sainte tradition faisait partie de l’héritage de la Maison de Sèvres au même titre que la chorale, les expositions annuelles ou les décorations de Noël. « Ben voilà M’sieur, euh… On a pris un couteau et puis on trifouillé la serrure et puis ça s’est ouvert » et de passer à la démonstration. Sur quoi je me saisis d’un couteau, m’agenouille et je vous triture la serrure dans tous les sens, laquelle bien sûr se refuse à s’ouvrir avec la dernière énergie. Je m’évertue à essayer de forcer les battants, le battant de droite « han ! » le battant de gauche re « han ! », mais rien n’y fait. Le buffet reste obstinément fermé. « J’sais pas comment ça se fait M’sieur mais hier soir ça a marché ». M. Salomon est-il dupe de ma fausse bonne volonté ? A-t-il pitié d’un élève empêtré dans son mensonge flagrant ? Comprend-il que son obstination à connaître la vérité n‘aura d’égal que la mienne à la lui refuser ? Toujours est-il qu’après quelques minutes de supplice, il me libère sans autre forme de procès, si ce n’est que sur mon bulletin scolaire de ce trimestre figurait la mention que je n’ai jamais oubliée « les larcins à la cuisine sont interdits ».

Nous voici quarante plus tard. Ma conscience ne me torture plus guère et, pour les quelques personnes qui pourraient encore être intéressées (peut-être reste-t-il quelque cuisinière, personne de salle, plongeuse de l’époque qui se pose encore la question), voici donc enfin révélé le dit secret, d’autant plus que le buffet a dû être remplacé depuis longtemps.

La solution était pourtant simple. Il se trouve que, pour une raison inconnue (travail non terminé d’un menuisier suite à une réparation antérieure probablement), le plateau supérieur du buffet n’était tout simplement pas fixé aux montants verticaux. Il était simplement posé dessus et tenait en place par son seul poids. Poids d’autant plus important que trônait dessus un énorme poste de radio, poste monumental en bois comme ils étaient à cette époque. Donc la technique, dans laquelle nous étions passés maîtres, consistait à procéder par ordre : nous commencions par déplacer le dit poste sur le meuble à côté, puis nous enlevions complètement le plateau et rapidement, nous enlevions, en puisant par-dessus, la précieuse nourriture. Aussitôt après, nous remettions tout en place, l’opération ne devant pas dépasser deux minutes, avant même de commencer la dégustation, de façon à ne pas nous faire surprendre éventuellement pendant l’effraction elle-même. « Avant ou après, c’est pas grave, mais surtout pas pendant ! ». Sage précaution qui nous permit effectivement de sauvegarder le précieux secret, ce fameux samedi soir, la veilleuse de nuit nous ayant surpris quelques minutes trop tard.

« Bon sang mais c’est bien sûr ! » aurait commenté le regretté commissaire Bourrel. Certes, l’énigme est élucidée avec quelque retard mais mieux vaut tard que jamais et si ce souvenir peut en entraîner d’autres chez les lecteurs, qu’ils prennent leur plume. Nous sommes nombreux à être friands de ce genre de souvenirs vécus qui sont aussi la mémoire de la Maison de Sèvres, au même titre que les photos, dessins et enregistrements de sons, voix parlée, musique, chants qui sont la richesse du site.

Merci d'avance.

Didier MARTIN,
(à Sèvres, Bussières, de 1961 à 1966).

Lire aussi deux témoignages sur la Maison :
En 1946, nous étions trop désorientés, mon frère et moi… (extraits du livre "Un arbre en Israël" de Gilbert Martal),
…Elle restait là des heures entières… (extraits du livre "Une fille sans histoire - roman" de Tassadit Imache).

et
Une école pas comme les autres - (1971-1974) - Annie Labbe
La Maison de Sèvres et les cadeaux de son enseignement - (1945-1949) - Michel Leleu
Jeannine se souvient - (1947 - 1950) - Jeannine Granvilliers

Je viens de découvrir avec émotion - Didier Martin
Mon Vichy, mes biscottes - Didier Martin
Ancien du Château de Bussières ! - Gilles René Villeroy
Je viens de recevoir le nouveau bulletin - Muriel Baghioni-Lavigne
J'ai gardé un très bon souvenir de la Maison - Jacqueline Guilhem-Demirci
À la recherche de mon enfance - Didier Martin
La veille des grandes vacances - Cécile Besson-Peynaud
Un château inestimable - Annie Burggraeve-Rocca
Tout commence en 1971 - Julia Sabot-Favre
Il y avait un prof de danse - Ludovic Kalita
Jupiter, Flamand rose…- Christian Carmona
Je l'attendais depuis tellement longtemps… - Danielle Lewis Bendaoud
Zora, une nouvelle ancienne…- Zora
Souvenirs en vrac 1945-54… - Fortunée Metz
Souvenirs de l'internat 1978-1987 - Céline Peynaud née Besson
Une colère de Pingouin - Didier Martin
Quelle surprise en allant sur le net - Cristiane Aquilina
C'était ça aussi la Maison de Sèvres - Jean-Michel Gleyze
Dans nos courriels - Jean-Bernard Gageot, Marie Dominique Liégeois
J'ai vu une petite fille nommée Lotta…- Josiane Bourgeon-Austruy
J'y étais ! Chorale 1981 - 1983…- Sandra Gonzalez
Des années heureuses, 1947-1948-France Amerongen
Contes de Sèvres… et du Michigan… - Dominique Morin

Caravelle (lino)

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