…les cartes d'alimentation truquées qu'on ne portait qu'en tremblant à la Mairie
Mais l'affaire la plus grave fut sans doute celle qui me jeta dans le confessionnal de la vieille église Saint Romain, auprès d'un prêtre à qui, sous le secret de la confession je demandai conseil et appui…
Kangourou, alias Marceau avait conduit à la Croix Bosset un contingent d'une dizaine de nouveaux pensionnaires dont l'une était atteinte de la scarlatine… je l'envoyai en catastrophe à l'hôpital de Versailles, tant était impossible de l'isoler vraiment et d'éviter une contamination qui eût pu amener d'indésirables visites… Mais, mais j"avais pris la décision sans songer aux… papiers d'état-civil et à l'autorisation des parents ! morts quelque part à Auschwitz ou…? on ne l'a jamais su…
J'interrogeai donc le brave prêtre : « l'aumônier de Versailles ? était-il sûr ? pouvait-on lui parler sans risques ? Peut-être pourrait-il m'aider auprès des autorités administratives de l'hôpital ? » «…oui…»
De celui-ci j'eus la confirmation de ce que je redoutais : les malades d'origine juive étaient soignés puis expédiés dans les camps dès leur guérison… Et c'est une employée de l'état-civil de Sèvres, Melle Fageolle qui me délivra d'angoisses qu'elle devina, je ne sais trop comment, - sans doute à mes explications embarrassées :
« Bien… Père et mère morts sur la route… voici les papiers ».
Les souvenirs s'égrènent sur cette route sombre…
1944… L'occupation se faisait plus oppressive et plus inquisitoriale… "les résistants de la dernière heure" et il y en eut beaucoup quelques uns à l'Entraide Française, rêvaient d'actions éclatantes.
Le prétexte fût vite trouvé : des soldats Allemands avaient saisi un camion de vivres qui nous étaient destinées : les soldats déchargeaient les vivres et prendraient le camion. Les deux employés qui les conduisaient avaient décidé de les "supprimer" et de les enterrer sous "la butte aux abeilles"…
…Parlementer, montrer les conséquences d'un tel acte… en vain…
Les "astuces" de Gambau triomphèrent de l'obstination des "nouveaux zélateurs" et de leurs victimes présumées; un réfectoire étrangement vide, enfants et éducateurs tous couchés, et pour cause !
Un repas du soir, soigné, copieux, de bons vins versés fort à propos et fréquemment… sans doute repartirent-ils tous les quatre sur des jambes un peu molles, mais avec des mains tremblotantes… les quelques bouteilles "avaricieusement" cachées par un économe prévoyant nous avaient sauvés d'un beau gâchis…
L'Entraide… toujours… prise de peur, voulut en cette dernière période de l'Occupation, évacuer en province les enfants marqués par leur origine… Refus net de notre part après - il faut l'avouer - un conseil d'école agité, où tous ne furent pas des héros, mais où j'eus l'appui ferme de Gambau, de Libellule, de Marceau et de quelques autres.
Des peurs encore… un de nos employés "résistant trop zélé" avait mis à mal un "collabo" du coin… descente de la Milice à Sèvres et nous ne dûmes le salut de la Maison qu'à son départ inattendu, et précipité…
Et… avec le recul du temps je ne puis même pas me réjouir :
L'ignominie de l'arrestation des Juifs au "Vel d'Hiv", la honte des délations, le déséquilibre des plus ou moins résistants, et surtout, surtout l'éternelle flétrissure raciste dont il laisse…
Fragments de notes manuscrites d'Yvonne Hagnauer,
(nous avons volontairement fait apparaître quelques "repentirs").
Notes de Pedrot, Gambau, Marmotte, Odier-Delfuss, :
Une brassée de souvenirs 1941 - 1961
Marmotte (radiographe dentaire)
Le Docteur est fou
Victor Gambau, Premier économe de la Maison
Fragments de notes d'Yvonne Hagnauer :
Les cartes d'alimentation…
Les temps difficiles…
L'Aide à la Maison de Sèvres par L'Unitarian Service Comittee of Canada
Lire sur le site sevres-pratique.com :
Une enseignante de la Maison de Sèvres pendant la guerre
Regards de Michel, d'Annie et d'Ancien(ne)s :
La Maison de Sèvres et les cadeaux de son enseignement
Une école pas comme les autres - (1971-1974)
Témoignages d'Anciennes et d'Anciens
Texte d'Hughette, :
Un devoir à rendre - (4 juin 2005)
Texte de Catherine, :
Maman Pé - (2002)