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L'Aide à la Maison de Sèvres par L'Unitarian Service Comittee of Canada

Trois feuillets de Goéland (manque la suite - 8 mars 2006 - les feuillets 4 et 5 sont retrouvés le 23 juin 2006), auxquels est joint une lettre de Lotta Hitschmanova.
Ce texte a été écrit pour une projet de livre sur l'histoire de la Maison.


Au moment d'ouvrir ce chapitre sur l'aide matérielle et la chaleur d'amour que "l'U.S.C.C. of Canada" a apporté à nos enfants, j'éprouve un sentiment d'impuissance et presque de désespoir…

Comment dire et faire comprendre ce que fut et ce que demeure cette œuvre qui vient en aide à tous ceux qui souffrent, qui, inlassablement reconstruit ce que la guerre a détruit, apporte aux handicapés, aux victimes de tous les cataclysmes, aux déshérités, non seulement les aliments de base indispensables à la vie, mais l'appareil qui soulage (3) la culture qui élève (2) le métier qui donne un sens à la vie, et plus que tout cela, "l'amour" et lorsque je dis "l'Amour" ce n'est point une charité qui se veut tendre, mais l'amour "individualisé" par le "parrainage", le courrier, l'échange des photos afin que cet amour ait un visage et soit un refuge aux heures de détresse…

Et, en cette époque de politisation aveugle qui entraîne avec elle son cortège de violence et de ségrégation haineuse, comme il est salutaire de lire ces paroles qui sont les principes intangibles de l'U.S.C.C. :

"Assistance aux peuples en détresse sans distinction de couleur, de race, de religion ou de caste."

Mais qu'est-ce que l'U.S.C.C. ?

…C'est l'effort sans cesse renouvelé de tout un peuple depuis plus de 30 ans, mais, c'est l' œuvre "d'une femme", une femme au visage rayonnant d'intelligence et de bonté, aux paroles, aux gestes, aux attitudes tout imprégnées de ce charme, de cette distinction que son léger accent tchèque rend encore plus touchants. Elle est si modeste que, moi qui la connais depuis 30 ans, je savais d'elle peu de choses, sinon qu'elle fit ses études en France qui lui valurent un doctorat en philosophie, qu'elle quitta la Tchécoslovaquie lors de l'invasion nazie… et il a f'allu la parution du Magazine de Montréal "Perspectives" (1) pour que nous ayons d'autres détails sur sa vie :

"Résistante, elle a travaillé dans des camps de réfugiés du Sud de la France où elle a souffert de la faim. Mais laissons lui la parole :

"La faim, une obsession, dit-elle, vos yeux se brouillent, vos membres enflent, votre esprit est travaillé par une seule idée… d'où proviendra votre prochain repas ? …La faim, c'est la base de la plus atroce souffrance."

Aujourd'hui nous dira Mademoiselle Musiol dans le même article, elle est célèbre partout… Mais quand en 1946, toute menue, et encore "dans la vingtaine" elle lance la première campagne pour venir en aide aux orphelins de la seconde guerre mondiale, le public est plutôt sceptique :

"Lorsque je suis arrivée au Canada et que je parlais des atrocités commises par "la Gestapo" dans les camps de réfugiés, on se demandait si je disais la vérité… Le Canada était si éloigné de cette tragédie de l'Europe !"

Il fallait beaucoup de courage, j'allais dire d'audacieuse témérité pour arriver "sans le sou" dans son pays d'accueil, et fonder seule cette œuvre qui consiste, dira-t-elle, "à parer au plus pressé". Elle en est "l'Executive Director."

"Director" -sans doute- mais "executive" a tout autre sens que celui dont nous affublons le sigle "P. D. G."

(1) Perspectives n° du 15 octobre 1977.


Pour elle, infatigable dans son éternel costume kaki, c'est d'abord et avant tout, parcourir d'Est en Ouest cet immense pays bordé par deux océans pour ouvrir, par la chaleur et l'éloquence de sa parole, les cœurs et les bourses, des fermiers des Prairies aux grands industriels de Toronto, les humbles n'ayant besoin que d'écouter leur cœur et œuvrer de leurs mains…

Est-ce tout ? Non, c'est le périple à travers le monde de l'angoisse, de la détresse, de la faim, de la mort… Un simple exemple : en 1976 après sa campagne de collecte au travers du Nord du Continent Américain elle a visité 17 pays, parcouru 3 continents pour secourir les enfants du Tiers Monde…

Mais, revenons à Sèvres en 1947. "L'entraide française" remplaçait "Le secours National" sans pour cela disposer de davantage de moyens financiers, au contraire (2). Pénurie à peu près totale, harcèlement anonymes et lettres de menaces des gens de l'entourage qui voyaient d'un œil angoissé et envieux les livraisons de charbon, régulières, pour parcimonieuses qu'elles fussent à cette époque ! Mais direz-vous, par quel hasard providentiel vous vint cette aide inattendue et non sollicitée, d'ailleurs ?

Relisons plutôt la circulaire du 4 juillet 1947 dans laquelle Madame Lotta Histchmanova entretient de ses recherches inlassables pour dépister et traquer la misère dans cette Europe exangue et affamée, ses généreux donateurs Canadiens.

Lotta Hitschmanova et un groupe d'adolescentes de SèvresCliquez sur la photo pour l'agrandir

"Il y a deux jours, notre assistante sociale de la région parisienne et moi-même, nous nous rendîmes, à Sèvres pour visiter une Maison d'Enfants que nous avions projeté d'aider, proposition qui m'avait été faite au Canada. L'actrice du film Américain, Madeleine Carrol qui avait travaillé en France au début de la guerre et après la libération, et qui s'intéresse beaucoup aux enfants français a fait un film sur cette "colonie", qui représente dit-elle "l'effort le plus valable de réadaptation des orphelins de guerre". Il nous fut difficile de la trouver, abritée qu'elle était, derrière le rempart de ses hauts murs et de ses arbres !"

"Mais dès que nous eûmes franchi le seuil nous fûmes complètement pris par l'atmosphère de cette Maison! Pour libérer les enfants de leurs horribles souvenirs on les incite à s'exprimer par le truchement de la peinture, de la céramique, de la danse, de la musique, des marionnettes… Si vous pouviez voir leurs réalisations !… J'en emporte quelques spécimens pour vous les montrer …"

Plus loin, elle dit encore, "mais cette Maison a réellement besoin de notre aide… L'hiver dernier, pour 128 enfants, ils avaient 10 litres de lait. Je crois que nous devons encourager une œuvre qui apporte espoir et confiance aux enfants dont les âmes et les corps furent terriblement éprouvés pendant la guerre : car, il n'y a pas seulement les petits, il y a des garçons et des filles de 14, 15 et 16 ans aujourd'hui et qui vous racontent des histoires à vous glacer le sang !

J'ai vu une fille qui a été cachée pendant deux ans derrière des ballots d'étoffe à Varsovie, et qui au souvenir de ce qui se passa "au Ghetto" a des crises d'asthme irrépressibles (Bobette L.): une autre, seule épargnée, parce qu'elle portait un habit de novice et qui vit 50 enfants juifs cachés comme elle dans un couvent précipités dans le Danube par les Nazis ! Pour ces enfants la guerre n'est pas encore terminée, et ne le sera sans doute jamais, et nous avons à nous acquitter envers eux d'une lourde dette… " (3)

Peut-être certains de nos lecteurs trouveront-ils inutile et même hors sujet les quelques précisions qui vont suivre, mais, ce serait, à la fois, faire preuve d'ingratitude et d'improbité que de ne pas leur donner un aperçu des dons en nature reçus par nous, dès que l'U.S.C.C. nous adopta.

(2) (voir le chapitre - Administration et gestion de la Maison de Sèvres 1941- 48)

(3) Suzanne V., dont il est question dans ce dernier passage ne fut épargnée que parce que son âge lui permettait de cacher son identité sous l'habit de "novice" de ce couvent.


Voici l'extrait d'une lettre (30 janvier 1959) lue et traduite dans l'enthousiasme par les plus grands des Jeunes Sévriens :

"Hier soir, au conseil d'administration, j'ai été autorisée à vous dire que l 'U. S.C. C. offrira avec joie la "cabine à émaillage" de l'atelier de céramique dont vous nous aviez parlé dans votre lettre du 10. Comme je suis heureuse de pouvoir vous l'annoncer, vous pouvez donc la commander au plus tôt !"

-6 octobre 1950- "Dans ma lettre précédente je vous annonçais l'envoi de 2 000 livres de macaroni, 2000 livres de spaghetti, 100 boîtes de pâté… 5 caisses de vêtements, du poids total de 388 livres… des couvre-lits neufs pour l'infirmerie. Nous tenons en outre à votre disposition 2 140 dollars et nous désirerions savoir comment vous comptez les utiliser… "

C'est à dessein que j'ai choisi dans l'important courrier que nous recevions du Canada depuis 1947 ces quelques extraits : en novembre 1958 nous avions pris possession de notre nouvelle maison, encore en réparations, et l'augmentation des effectifs, (170 internes), l'équipement des ateliers expliquent l'importance de l'effort fait par l'U.S.C.C. à cette période de mutation et, pour tous, de réadaptation, car ces locaux vides et nus n'avaient point encore "l'âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer…"

La tendresse qui aide à vivre…

Mais, pouvez-vous imaginer "le ghetto" dans lequel ont vécu celles et ceux dont on.a détruit l'univers familial, son cortège de relations et d'amis, et qui n'osent même pas cultiver en eux la plus lancinante et la plus obscure espérance ? ... Ce "Ghetto" fut pourtant celui de nos enfants de 1941 à 1944 et au delà ! Pour soixante au moins d'entre eux, et c'est encore l'institution des "Parrainages" de l'U.S.C.C. en 1947 qui leur apporta la chaleur de tendresses, désintéressées et durables.

D'un courrier jauni par le temps et à la date indéchiffrable j'extrais ces quelques lignes de notre grande Amie :

"Je vous annonce que vous allez recevoir bientôt des cadeaux qui seront expédiés successivement les 15 et 30 novembre, afin qu'ils puissent figurer avec les lettres des parrains Canadiens sous l'arbre de Noël de la Maison… "

Mieux connaître pour mieux comprendre

Jamais centre d'intérêt ne fut plus puissamment motivé que celui que nous intitulâmes "A la recherche du Canada" et, une fois encore pour comprendre l'intérêt pédagogique que notre "Madame Lotta" attachait à un tel travail, il n'est que de citer ce passage de sa lettre du 18 juin 1948 :

"Durant les neuf derniers mois l'U.S.C.C. a envoyé de nombreux documents à Sèvres, concernant notre pays, et les plus âgés se sont attachés à en connaître l'aspect géographique, l'histoire, les ressources, les industries, le folklore… Mais lorsque "Goeland" m'a montré le livre que les enfants avaient composé, j'ai eu du mal à retenir mes larmes : soixante grandes feuilles qu'elles avaient remplies de statistiques, d'illustrations, de textes, et qui racontent l'histoire de notre pays avec à la fois plus de concision et de richesse que je n'en ai jamais vu ailleurs. Tout ceci avait lieu une fois par semaine, de 14 heures à 16 heures 30, et les auteurs de ce travail quasi encyclopédique avaient inventé un mot nouveau pour désigner cette tâche bien spéciale : "Canader" …"

Mais, un album, si beau et si riche de témoignages soit-il, n'est point suffisant pour épuiser l'intérêt et faire connaître l'âme et la vie d'un peuple, et Madame Lotta poursuit :

"Je fus ensuite conduite dans les Ateliers où les enfants impriment, tissent, travaillent la terre. Là encore, je découvris l'influence du Canada, partout où je jetais les yeux : sous presse un album reproduisant toutes les lettres que les enfants avaient reçues de leurs correspondants," sur une grande table, des écharpes tissées, des bonnets, des napperons reproduisant des motifs canadiens, feuil- (manque la suite).


les d'érable, castors... de petites figurines en céramique en costumes du Canada Français, et ce charmant fermier et sa femme, chaussés de raquettes, équipés comme on l'est pour supporter les neiges de l'hiver au Quebec... , et aussi une "Maria Chapdelaine" qui se balance magnifiquement dans son rocking chair !"

Mais, il manquait à ce remarquable "centre d'intérêt" quelque chose encore que notre amie avec son intuition d'éducatrice devina : mettre en valeur et rendre vivant ce travail aux yeux d'un personnage qui, en France, symbolisait le Canada. C'est pourquoi elle annonce à tous ses correspondants :

"Il y aura une fête à "la Maison des Enfants" le vendredi 28 juin, sous les auspices et avec la présence assurée de Madame Vanier (4), femme de nôtre ambassadeur en France : les enfants présenteront leurs travaux, chanteront des airs du. pays et danseront…"

Et comme pour affirmer encore ses éminentes qualités, elle conclut "Ainsi le Canada n'est plus pour eux une contrée lointaine, mais un pays qu'ils connaissent bien puisqu'ils y ont trouvé des amis." (circulaire du 18 juin 1949 réservée à ses amis Canadiens)…

Il est superflu, je pense, de dire que toutes ces créations étaient destinées à Madame Lotta elle-môme et aussi à tous les "foster-parents" disséminés au Nord du Continent. Américain, et c'était, nous semblait-il, l'unique manière de témoigner notre tendresse reconnaissante à ceux qui nous apportaient à la fois le mieux-être et l'affection.

Allez au delà… Développer le sens de la solidarité humaine

J'ai sous les yeux quelques-uns des itinéraires du périple annuel de notre infatigable voyageuse.

Partie d'Ottawa, sa première halte de deux jours, en général fin janvier, est pour la Maison de Sèvres : les liens affectifs qu'elle a su créer sont si forts que, depuis 1947 les Directeurs successifs de l'enseignement du Département, le Président de notre "Société des Amis" ; Mr Pedrot se sont toujours fait un devoir de l'accueillir dès son arrivée, et de partager avec toute la Maison réunie ce premier repas qui sera pour tous le symbolique "bol de riz", ration quotidienne unique suffisante néanmoins et qui sauve des millions d'êtres de la mort…

L'après-midi nous trouve tous réunis dans ce que nous appelons pompeusement "la salle des fêtes", et où seront projetées les diapositive prises par Mme Lotta.

Défilent devant nos yeux les misères du Tiers-Monde et les réalisations de l'U.S.C.C. Les commentaires de notre Amie sont éloquents et j'en retrouve trace dans les circulaires de l'année 1963 concernant l'Inde :

… La plupart de nos jeunes parrainés, dit-elle, sont des orphelins abandonnés dans les gares et les hopitaux… si vous les voyiez lorsqu'ils arrivent, les cheveux hirsutes et remp1is de vermine, leurs corps émaciés, couverts de cicatrices et d'impétigo et d'abcès incroyablement malpropres, affamés et effrayés…

Nos jeunes devraient-ils rester passifs devant un tel dénuement ? Ils émirent alors l'idée de se priver d'une sortie par mois, cinéma ou théâtre, et de la remplacer par une promenade dans les bois voisins. Nous en acceptâmes le principe l'économe et moi, et c'est ainsi que "nos" enfants "parrainèrent" à leur tour les enfants du petit village de Pundi..

Voici ce que dit à ce sujet, le président du Conseil du village "Mr Radjan" à sa "très chère sœur Goëland" :

"L'École rouvrira en juin. Nous avons donc décidé d'aller à la recherche de livres, d'ardoises, de plumes, de crayons, de cartes, et aussi d' uniformes scolaires et de matériel. Je ne manquerai pas de vous envoyer trimestriellement les rapports"…

Mais rien ne saurait mieux faire comprendre l'esprit qui a de tout temps …/…

(4) A cette présentation des travaux assistait notre regretté Directeur de l'Enseignement de la Seine M David, qui avait en 1948 pris en charge "La Maison de Sèvres" et qui lui témoigna non seulement un intérêt véritable, mais l'amitié la plus sincère.


animé la Maison, que cet extrait du salut adressé par une de nos "anciennes" devenue professeur à son tour, et que la guerre et ses horribles conséquences n'avaient cependant pas épargnée, à notre grande Amie venue assister à la fête qui marquait le vingtième anni versaire de la Maison :

…"Vous vous êtes attachée à découvrir les misères et les atrocités de l'après-guerre pour les secourir. Là où il y a eu un point névralgique dans· le monde… Lors de la Révolution de Budapest en 1956, vous avez cinq jours après cette tragédie installé un home à Vienne pour les réfugiés hongrois.

Là où on souffrait de l'oppression vous avez représenté la résistance, vous avez soutenu dans la mesure du possible l'opprimé contre l'oppresseur. Vous êtes la vivante incarnation de la solidarité humaine, vous êtes "la petite femme au grand coeur" comme on vous appelle souvent." (5)

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"Chère Madame Lotta, ce sont tous les enfants, petits, moyens et grand qui vous disent un grand merci pour tout ce que vous nous avez donné de joie. Avant que vous repartiez dans un autre pays, pour y apporter la joie, l'espoir et la liberté, là où il y a la haine, l'incompréhension et le désespoir, recevez ici notre très grande reconnaissance.

Nous aussi, à nôtre tour, nous saurons comment venir en aide à nos camarades plus malheureux, car nous aurons vu en Vous un émule à suivre"

Sans auréole, ni culte idolâtre, les saints seraient-ils de ce monde… ?

(5) E…TV - ("Bulletin de la Société des Amis") resta à Sèvres jusqu'à la fin de ses études, devint professeur de collège tout d'abord dans "notre Maison", se maria, (la cérémonie eut lieu "chez nous", et exerce actuellement dans la banlieue Parisienne. Elle est mère de deux beaux enfants. (écrit par Yvonne Hagnauer en 1978)


Quelques photos, rue Croix-Bosset et à Bussières.

Un texte extrait de l'ouvrage de Clyde Sanger " Lotta " (en anglais) USC ed. 1985.

Sa traduction en français par Jean-Pierre.

La voix de Lotta Hitschmanova

Caravelle (lino)
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