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Le compte-rendu de l'hommage public à Yvonne et Roger Hagnauer, le Samedi 4 juin 2005 à Sèvres

Les enfants cachés pendant la seconde guerre mondiale aux sources d'une histoire clandestine

Céline MARROT-FELLAG ARIOUET

Chapitre I - Le réseau Marcel : Sauvetage des enfants juifs dans la région de Nice

Le réseau Abadi [1] constitua un des principaux circuits souterrains de sauvetage de l’enfance juive de la zone sud. Créé en 1942 au moment de l’occupation italienne et opérationnel en 1943 dès l’arrivée dans la région de Nice des Allemands qui y semèrent l’épouvante, son secteur couvrait toute la région des Alpes Maritimes. Le réseau Marcel, du nom de guerre de Moussa Abadi, fut totalement indépendant du réseau Garel, sur lequel l’organisation était calquée et bien qu’une collaboration se fût établie entre les deux réseaux. Au total, 527 enfants empruntèrent le circuit animé par Odette Rosenstock, future Madame Abadi, et Moussa Abadi, dans des conditions extrêmes. La construction du réseau Marcel, appelé " Secteur Autonome Abadi " par les membres du réseau Garel, et son action constituent un important révélateur de la situation des Juifs dans la région de Nice.

1) Aux origines de l'engagement

1.1. Moussa Abadi - Moussa Abadi naît en 1910 dans une famille très religieuse de Damas [2] . Il grandit dans le quartier juif qui vit totalement replié sur lui-même. Sa famille appartient à la bourgeoisie du ghetto. Il perd sa mère à l’âge de 12 ans, une semaine avant l’examen du certificat d’étude, qu’il réussit malgré tout. Il est alors élevé chez ses grands-parents maternels et est scolarisé non pas à l’Alliance Israélite, mais au collège des Lazaristes situé en dehors du ghetto et où il acquiert un certain bagage culturel. Excellent élève, il décide à la fin de sa scolarité, de quitter la communauté. Il obtient un petit poste d’instituteur, puis passionné par les livres, a l’idée de passer le concours de l’école des Chartes qu’il réussit brillamment, mais l’entrée dans cette école lui est refusée, et finalement il doit se contenter d’une bourse destinée à préparer le diplôme de Professeur de Français à l’étranger. Il quitte sa Syrie natale et s’embarque en 1920 à bord du Lamartine qui l’emmène à Marseille, d’où il gagne la capitale. Bien qu’arrivé à Paris en milieu d’année scolaire, il réussit le concours en six mois au lieu des deux années de préparation prévues. Son diplôme obtenu, il est contraint de retourner à Damas, mais son premier séjour en France lui aura laissé le temps de découvrir le théâtre. En février 1933, il revient à Paris où il est inscrit à la Sorbonne pour préparer un certificat de littérature française. Il suit en particulier les cours de Gustave Cohen. Ce dernier, mutilé de la guerre 1914-1918 a enseigné à Strasbourg et occupe la chaire de littérature française du Moyen-Age à la Sorbonne. Il est un des premiers à établir un contact humain avec ses élèves.

A l’occasion d’une explication d’un mystère du XIIème siècle, " Le miracle de Théophile ", Gustave Cohen propose à ses élèves, dont fait partie Moussa Abadi, de le mettre en scène. Ce dernier participe ainsi à la représentation des mystères médiévaux à la Sorbonne et devant Notre-Dame. Moussa Abadi et Gustave Cohen se lient d’amitié et ont en commun leur intérêt pour ce genre littéraire du Moyen-Age. Moussa Abadi obtient sa licence et continue à fréquenter le théâtre.

Il se passionne également pour la politique qui se cristallise dans les années 1930 sur la montée du fascisme :

" Nous appartenons à la génération de toutes les utopies, de toutes les illusions, de toutes les lâchetés aussi. (...) J’appartiens à une génération qui faisait la queue pendant des heures à la porte de la Mutualité et de Wagram, pour avoir l’honneur et le bonheur d’entendre André Malraux, et Aragon, et Vaillant-Coûturier, et Marcel Cachin et Jean Guéhenno, et Léon Blum et le Professeur Langevin. Et qu’est-ce qu’ils nous disaient tous ? Le fascisme ne passera pas. Et je rentrais dans ma petite chambre universitaire rasséréné. " [3]

Moussa Abadi commence une thèse sur laquelle il travaillera pendant quatre ans et demi et dont le thème est l’origine du conte et du fabliau au Moyen-Age, sous la direction de Gustave Cohen. En 1936, sa bourse est supprimée. Il monte alors une petite troupe professionnelle, " la Compagnie des Quatre Saisons ", sous la direction de Louis Jouvet. Ils jouent à la Comédie des Champs Elysées Le Roi Cerf , quand ils sont remarqués. On leur propose alors une saison aux Etats-Unis. En 1938, à la veille de Munich, dans un théâtre de New-York, Moussa Abadi tient le rôle titre dans Knock [4] le chef-d’œuvre de Jules Romain, mis en scène pour la première fois par Louis Jouvet en 1923.

1.2. Odette Rosenstock - Odette Rosenstock naît à Paris en 1912 dans le quartier du Sentier. Sa mère appartient à une famille israélite d’origine lorraine qui, en 1870, a opté pour la nationalité française et est venue s’installer à Paris. Son père est originaire d’Europe centrale. Ses parents tiennent une fabrique de confection, emploient sur place quatre ou cinq personnes et une vingtaine d’autres qui travaillent à domicile. Le milieu dans lequel elle évolue n’est pas pratiquant et Odette Rosenstock ne prend conscience de sa judéité qu’avec les réactions antisémites des autres enfants à l’école. Elle est scolarisée au lycée Lamartine et suit des études de droit avant de s’inscrire en faculté de médecine. Ses origines juives lui posent quelques problèmes avec des professeurs.

A la fin de la guerre d’Espagne, elle se rend dans les Pyrénées avec la Centrale Sanitaire pour accueillir les réfugiés de la guerre et assiste à l’ouverture des premiers camps d’internement, en particulier Rivesaltes, Argelès et Perpignan, ouverts en 1938. Elle participe à quelques actions clandestines qui consistent à faire sortir des réfugiés du camp dans des camions sanitaires. De retour à Paris, elle achève ses études de médecine par un diplôme d’hygiène-prévention. Un an plus tard, elle effectue des remplacements de médecins généralistes, ainsi que des remplacements en psychiatrie à l’hôpital de Villejuif. En décembre 1939, Odette Rosenstock et Moussa Abadi se rencontrent à Paris chez des amies d’Odette également médecins.

Odette Rosenstock est nommée Médecin Inspecteur d’hygiène sociale des écoles du Loiret et domiciliée à Montargis. Elle a la charge de visiter les écoles, effectuer les vaccins et détecter si les enfants sont malades. Son activité est accrue par la pénurie de médecins en raison de la guerre. Elle va se faire déclarer comme juive à Orléans. Déchue de ses fonctions dès le premier statut des Juifs, en raison de sa qualité de fonctionnaire-médecin, elle regagne Paris où elle exerce dans des dispensaires juifs [5] . Moussa Abadi, de son côté, gagne Nice en juillet 1940 via Vichy. Son ambassade lui a conseillé de regagner la Syrie, mais il refuse. Quelque temps après il y retrouve Gustave Cohen. Ce dernier a été chassé de la Sorbonne. Il vit avec son épouse et sa fille à Nice et donne des cours à Aix-en-Provence, mais dans l’impossibilité d’enseigner, Gustave Cohen demande à Moussa Abadi de faire travailler ses élèves pour illustrer des conférences qu’il anime à Nice.

Un jour, au cours de l’une de ces conférences qui se déroule salle Carlonia à Nice, Moussa Abadi remarque dans le public la présence d’un prélat : il s’agit de Monseigneur Rémond, évêque de Nice. A la fin de la séance, ce dernier, impressionné par le talent de Moussa Abadi, se le fait présenter par Gustave Cohen. Monseigneur Rémond est intéressé de longue date par les mystères et les fabliaux. Cette rencontre sera fondamentale pour la mise en place du réseau Marcel. Au mois de novembre 1941, Odette Rosenstock rejoint Moussa Abadi.

2) Nice, une situation particulière entre Vichy, les Italiens et les Allemands

Un des intérêts majeurs de l’étude du réseau Abadi est le territoire qu’il couvre. En effet, la région de Nice de 1940 à 1944 connaît trois périodes distinctes. De l’armistice de juin 1940 jusqu’au 11 novembre 1942, Nice est une ville de la zone libre, marquée en particulier par l’afflux de Juifs étrangers en raison de l’occupation allemande en zone nord. Du 11 novembre au 9 septembre 1943, la région de Nice, ainsi que huit départements, sont soumis à l’occupation italienne qui constitue un temps de répit pour les populations juives persécutées. A partir du 9 septembre 1943, à la capitulation italienne, les Allemands envahissent la région. L'occupation de la moitié de la France incite de nombreux Juifs à quitter Paris pour gagner le sud de la France et notamment Nice où ils espèrent trouver refuge. En 1939, à la veille de la guerre, les deux tiers de la population juive, que l’on peut estimer à 320 000 personnes, vivent à Paris et 5 % dans ce qui deviendra la future zone d’occupation italienne. En deux ans, la population juive dans cette région atteint des proportions considérables. Le recensement des Juifs en avril 1942 fait état de 7 606 Juifs étrangers et 5 267 Juifs français [6] à Nice. Dans la région, la population passe de 15 000 personnes, au moment de l’armistice de juin 1940, à 50 000 en 1942 [7] .

Ainsi à Nice comme dans les autres villes du sud de la France les Juifs affluent : ils ont quitté le nord de la France -principalement la région parisienne- au moment de l’exode, ou pour tenter d’échapper aux lois raciales, puis aux arrestations après les rafles de juifs étrangers en zone occupée. Outre les Juifs de France arrivent à Nice pour des raisons identiques des Juifs provenant de Belgique et des Pays-Bas. Dans l’impossibilité de travailler, ils vivent dans une angoisse permanente de l’avenir, accrue par le fait que les nouvelles qui filtrent sur la zone occupée ne laissent pas présager une issue favorable à la situation des Juifs en zone libre.

Certains arrivent à Nice dans l’espoir d’obtenir un visa pour les Etats-Unis, d’autres pensent trouver un passeur qui les conduira en Suisse ou en Italie. Les escrocs sont nombreux. Ils emmènent leurs clients à la frontière et les y abandonnent souvent après les avoir dépouillés quand ils ne les dénoncent pas. Les conditions de vie sont difficiles : il n’y a pas de travail, et le marché noir se développe. Odette Rosenstock retrouve à Nice des amis médecins avec qui elle avait étudié. Après avoir été manutentionnaire dans une parfumerie dont elle est renvoyée le jour où son patron apprend qu’elle est juive, elle fait des gardes d’enfants et des gardes de nuit dans une clinique, puis entre en tant qu’assistante sociale à l’O.S.E. dirigée à Nice par la doctoresse Isserlis et son mari [8] ; elle y remplace une femme de l’entourage des Rothschild qui a quitté la région [9] .

Si loin qu’elle soit des Allemands, Nice n’est pas épargnée par les rafles de 1942 en zone libre : la rafle du 26 août 1942 déclenchée au petit matin et exécutée exclusivement par la police française constitue une première onde de choc. 560 Juifs dont 279 femmes et 12 enfants sont arrêtés à Nice, Monaco, dans les Basses Alpes. Ils sont aussitôt conduits à la Caserne Auvare de Nice avant d’être envoyés le 1er septembre à Drancy pour être déportés à Auschwitz. La population juive est horrifiée de l’ampleur de la rafle. Une partie de la population niçoise proteste. Des tracts appellent à se révolter contre les mesures anti-juives. Mais ces mouvements de protestation populaires constituent plus une volonté de marquer une opposition politique à Vichy et aux Nazis qu’un acte de soutien envers les Juifs [10] .

Dans cette même période, un autre événement constitue un choc révélateur de la nécessité d’agir pour Moussa Abadi :

" Par un matin radieux, sous un ciel de carte postale pour voyages de noces sur la Côte d’Azur, j’ai vu un attroupement côté mer, sur la Promenade des Anglais. Je me suis approché (...) : une femme, étendue par terre, couverte de sang. (...) Devant elle, un milicien botté qui lui fracassait méthodiquement le crâne, en présence d’une vingtaine de témoins épouvantés. Et à côté d’elle une femme plus jeune. Je saurai beaucoup plus tard qu’elle était sa sœur. " Elle tenait par la main un enfant de six ans qui hurlait : " Maman ! Maman ! Maman ! " C’était un choc effroyable pour moi. " [11]

Cet épisode interpelle Moussa Abadi sur les enfants juifs privés de leurs parents. De son côté, Odette Rosenstock a conscience de leur situation à travers l’assistance qu’elle dispense au sein de l’O.S.E, mais pendant cette période, Moussa Abadi et Odette Rosenstock n’entrevoient pas dans quelle mesure il leur est possible d’agir. Ils écoutent radio-Londres, se tiennent informés de l’évolution de la situation et fréquentent la synagogue de la rue Dubouchage, centre d’information et d’échanges en tous genres pour les Juifs réfugiés à Nice. Il faudra une deuxième rencontre sous l’occupation italienne avec un aumônier des troupes italiennes et la perspective d’une éventuelle invasion allemande dans la région pour qu'Odette Rosenstock et Moussa Abadi trouvent la cause pour laquelle ils allaient s’investir complètement : les enfants.

Toutefois, à la même époque, ils tentent de porter assistance aux vieillards juifs. Ils ont appris que le maire de Nice, Jean Médecin, a décidé de distribuer aux personnes âgées dans le besoin des bons, afin qu’elles puissent prendre des repas chauds. Ils décident de se procurer une trentaine de bons pour les vieillards juifs qui se terrent dans les taudis par crainte des arrestations. Moussa Abadi rencontre l’adjoint du service culturel de Nice qui refuse de venir en aide à des Juifs.

3) L’occupation italienne : un temps de répit

Le débarquement allié en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942, entraîne l’occupation de la zone libre devenue zone sud. Les Allemands occupent la totalité de la France, à l’exception de huit départements et partiellement quelques autres : la Savoie, la Haute-Savoie, l’Ain, la Drôme, les Hautes-Alpes, les Basses-Alpes [12] , le Var, les Alpes-Maritimes, une partie du Vaucluse et de l’Isère, ainsi que la Corse sont placés sous occupation italienne. Les Italiens, dès leur arrivée, n’inspirent pas aux populations -et à juste titre- la même terreur que les hordes allemandes en zone occupée ou Vichy, dont la police et la milice ont prouvé l’efficacité dans le domaine de la persécution. En France, comme en Yougoslavie, en Grèce et en Albanie, l’occupation italienne marque un temps de répit dans la chasse à l’homme pour les populations juives des zones concernées. Cette politique italienne dans les territoires occupés est à l’opposé des mesures prises à l’égard des Juifs de la péninsule, qui ne sont pas épargnés par la montée de l’antisémitisme, érigé, à partir de 1938, en politique d’état avec une législation qui tend à priver les Juifs de toute vie politique, culturelle ou associative.

Les Juifs naturalisés après 1919 sont dénaturalisés et ne peuvent plus exercer les fonctions d’architecte, journaliste, médecin, pharmacien, ingénieur, ou notaire, tandis qu’une propagande anti-juive est lancée [13] . Contrairement à une idée répandue, les mesures antisémites ne répondent aucunement à une stratégie politique et militaire correspondant à l’alliance avec l’Allemagne nazie, mais à l’influence croissante des partisans de la politique raciale dans les hautes sphères du pouvoir [14] . Si les lois anti-juives constituent une rupture avec l’Italie libérale du XIXème siècle, dont les nationalistes ne s’appuyèrent pas sur des thèses antisémites, elles ne furent nullement appliquées de façon limitative.

Aux antipodes des situations vécues par les Juifs en Italie, dans les zones d’occupation, le rapport des Italiens aux Juifs se traduit par une protection des populations. Cette bienveillance italienne à l’égard des Juifs tient essentiellement au fait que l’occupation italienne est militaire et non fasciste et qu’elle apparaît comme un moyen pour les militaires d’asseoir leur souveraineté tout en se démarquant par rapport à Vichy et surtout aux Allemands. Alberto Calisse, Consul Général Italien à Nice est bien décidé à préserver les Juifs étrangers, tandis que Vichy dénonce l’ingérence des Italiens dans des affaires qui relèvent de sa seule compétence. Les 6 et 20 décembre 1942, le préfet des Alpes-Maritimes, Ribière, antisémite virulent, proche du Maréchal exige que les Juifs étrangers établis dans son département après le 1er janvier 1938 soient assignés en résidence surveillée en Ardèche, et dans la Drôme, c’est-à-dire dans la zone occupée par les Allemands. Ribière décide parallèlement d’incorporer les Juifs de 18 à 55 ans dans des Groupements de travailleurs étrangers et de faire apposer la mention " JUIF " sur leurs cartes d’identité et d’alimentation [15] . Le consul général s’oppose fermement à ces mesures, refuse l’estampillage des papiers d’identité des Juifs et obtient dès le 29 décembre 1942 l’appui des Affaires Etrangères Italiennes :

" (...) Nous estimons nécessaire de préciser qu’à cet égard, il n’est pas possible d’admettre que, dans la zone occupée par les troupes italiennes, les autorités françaises obligent les Juifs étrangers, Italiens compris, à se rendre dans les localités occupées par les troupes allemandes. Les mesures de protection à l’égard des Juifs étrangers et italiens doivent exclusivement être prises par nos organismes auxquels ont été communiqués les principes à suivre. "[16]

De Gualtieri, représentant à Vichy du Commandant Suprême Italien rappelle que " Les arrestations et internements de sujets Juifs sans distinction de nationalité relèvent de la compétence exclusive des autorités militaires italiennes. " L’objectif de Vichy, placé dans une situation d’infériorité à l’égard des Italiens qui occupent une partie importante du territoire, est d’obtenir des Allemands de contraindre les Italiens à abandonner les mesures de protection en faveur des Juifs.

Les Allemands alertés par Vichy ne tardent pas à signifier leur mécontentement. Renseignés par de nombreux indicateurs et fonctionnaires français, et en particulier Joseph Antignac, du Commissariat Général aux Questions Juives, les autorités allemandes insistent sur la nécessité "d’une collaboration étroite italo-allemande dans la lutte contre les Juifs. " Von Ribbentrop, ministre des Affaires Etrangères du Troisième Reich, intervient personnellement auprès de Mussolini pour obtenir son appui. Le 17 mars 1943, l’ambassadeur allemand, Mackensen, propose à Mussolini de remettre toutes les compétences sur les Juifs à la police française, ou allemande, ou, le cas échéant, à la police italienne. Mussolini dans un premier temps semble se plier à ces exigences, mais en parallèle des requêtes formulées par l’ambassadeur allemand, le directeur des Affaires Etrangères italiennes, Luigi Vidau, appuyé par Giuseppe Bastianini, tente de faire revenir Mussolini sur sa décision. Giuseppe Bastianini est un fasciste de la première heure, mais foncièrement hostile aux Allemands. En 1932, alors qu’il n’a que 33 ans, il est nommé ambassadeur à Varsovie. Fervent partisan de la non-intervention italienne, il est envoyé à Londres en 1939. En poste en Yougoslavie en tant que gouverneur de la Dalmatie, il a fait bénéficier les Juifs d’un régime clément. Giuseppe Bastianini et Luigi Vidau font parvenir à Mussolini un rapport exposant l’assassinat des Juifs en Pologne, accompagné d’un compte rendu de l’ambassadeur italien à Berlin qui indique qu’un grand nombre de Juifs ont été gazés [17] . A ces documents accablants les diplomates italiens ont joint une note affirmant qu’

" aucun pays -pas même l’Allemagne alliée- ne pourrait prétendre associer l’Italie, berceau de la chrétienté et du droit, à ces forfaits pour lesquels le peuple d’Italie devrait peut-être rendre compte un jour. "[18]

Le 18 mars 1943, Bastianini et Ambrioso, général en chef des troupes italiennes, rencontrent Mussolini, et obtiennent sa rétractation. Ainsi, malgré les tentatives de Vichy et des Allemands, les Italiens maintiennent les mesures de protection en faveur des Juifs. Une note de Lischka du 22 mars 1943 [19] confirme les mesures déployées par les Italiens :

" Lors de l’arrestation par la police française de 2 000 Juifs, demandée à la suite de mesures de représailles, ont été aussi arrêtés dans la partie méridionale de la France sous occupation italienne, à l’Est du Rhône, des Juifs de nationalité étrangère (pas d’Italiens). A ce sujet, le préfet Leguay fait part des difficultés rencontrées de la part des Italiens opposés aux arrestations. Il citait en exemple le cas de l’arrestation par la gendarmerie d’Annecy de quelques Juifs de nationalité étrangère qui ont été internés dans la caserne de la gendarmerie. Des militaires italiens ont exigé leur libération immédiate. Cette exigence a été rejetée, c’est alors que des Italiens en armes ont encerclé la caserne. Leguay rapporte que l’Italie soulève ainsi des difficultés lors de chaque arrestation et que, connaissant ce fait, de nombreux Juifs se réfugient dans la zone d’occupation italienne. 2° Au Bds pour information. LISCHKA S-S Obersturmbannfürhrer "

En effet, pendant toute la durée de l’occupation italienne, les familles juives de la région continuent à affluer vers Nice et les départements sous contrôle italien où leur situation est régularisée. La propagation de rumeurs sur la protection accordée aux Juifs par les Italiens et les rafles qui s’intensifient dans les grandes villes du sud -comme celle de Marseille, le 22 janvier 1943- incitent de nombreuses familles se réfugier dans la région de Nice. Les autorités italiennes délivrent des permis de séjours aux Juifs réfugiés qui sont acheminés dans l’arrière-pays vers Saint-Martin de Vésubie, Megève, Saint-Gervais, Vence, Barcelonnette, Combloux dans des hôtels et chalets réquisitionnés par des Italiens [20].

Les Juifs bénéficient ainsi pendant neuf mois de la protection des autorités militaires italiennes, malgré toutes les tentatives réitérées des Allemands et de Vichy visant à contraindre les Italiens à lever cette protection, le 20 juillet 1943 le chef antisémite du service de la Gestapo est contraint de constater que : " La zone d’influence italienne notamment la Côte d’Azur est devenue terre promise pour les Juifs en France. "

4) Génèse du réseau Marcel

4.1. Une rencontre fondamentale - En juin 1943, Moussa Abadi rencontre, par l’intermédiaire d’une amie d’Angelo Donati, l’aumônier des troupes italiennes Dom Giulio Penitenti, dans une chambre d’hôtel sur les hauteurs de Nice, à Cimiez. Ce dernier, arrivé du front de l’Est, décrit à Moussa Abadi les massacres perpétrés par les Einsatzgrüppen [21]. Moussa Abadi évoque ainsi cette rencontre fondamentale avec le prêtre :

" Il m’invita à m’asseoir et me dit : " Monsieur, ce que je vais vous dire, vous n’allez pas le croire. Mais je tiens à le dire parce que je vais revenir sur le front de Russie, je vais mourir et je voudrais que quelqu’un entende, sache. " (...) Savez-vous ce que deviennent les enfants déportés par les nazis . Ils sont massacrés jusqu’au dernier, sans distinction d’âge, d’origine ou de sexe.

Je reviens de Russie, j’ai vu ce que les Allemands faisaient aux enfants... J’ai vu cela et je n’ai rien dit. Je n’ai rien fait. Moi, un prêtre...(...) Et il me raconta ce que les Waffen SS faisaient de nos enfants. Je ne vous le dirai pas, c’est indicible ! Quand il a fini, je lui ai dit : " Mon père je ne vous crois pas, la barbarie a des limites. (...) Il ajouta avant de me quitter : " Quand les Allemands viendront ici, vos enfants souffriront beaucoup, je vous aurai prévenu. Et je crois qu’à ce moment-là, il pleurait. " [22]

A la suite de cette rencontre, le couple, qui souhaitait entreprendre une action dans la Résistance, décide de se consacrer au sauvetage des enfants. Se pose alors le problème de mettre en place les structures d’un réseau. Comme Georges Garel avec Monseigneur Salièges, Moussa Abadi se tourne vers l’évêque de Nice, Monseigneur Rémond.

4.2. Monseigneur Paul Rémond - [23] Ancien combattant, ayant participé aux combats de Verdun et de la Somme, Monseigneur Rémond a été décoré de la croix de guerre et de la rosette de la Légion d’Honneur, pour sa bravoure lors de la guerre de 1914-1918. Au lendemain de la première guerre mondiale, il continue à fréquenter les milieux militaires en tant qu’aumônier des troupes d’occupation françaises dans la Rühr. Monseigneur Paul Rémond fait partie en 1940 du clergé proche du Maréchal Pétain :

" Il est devenu un véritable ami pour le maréchal Pétain, qui le reçoit dans sa villa de Villeneuve-Loubet. Il s’y livrent tous les deux au plaisir provençal du jeu de boules, encore que le maréchal Pétain préférât le délassement de la conversation de cet homme pétillant d’esprit. "[24]

Fervent patriote, sans complaisance avec les Allemands, admirateur de Pétain auquel il restera fidèle jusqu’en 1943, l’évêque de Nice a toujours désapprouvé la politique raciale qui s’accomplit à partir de 1938. Dès 1933, il avait condamné le racisme hitlérien, au cours d’une allocution [25]. Le 20 mai 1940, dans une lettre à l’attention de Léon Blum, il avait rappelé qu’il avait toujours réprouvé " les odieuses campagnes d’une certaine presse antisémite. " Sensibilisé par les traitements infligés aux Juifs étrangers, il avait obtenu quelques libérations de Juifs internés dans les camps de la zone libre.

Il apporta également son aide à de nombreux juifs alors que Nice était encore soumise à Vichy :

" Les autorités civiles ne furent pas dupées par la prudence de Monseigneur Rémond. Dès août 1941, un rapport de police apporta au préfet des informations sur l’attitude de l’évêque et sur la sympathie que celui-ci avait toujours témoignée aux Juifs. "[26]

Monseigneur Rémond fournit aux persécutés de nombreux faux certificats de baptême, à tel point qu’il est convoqué par le préfet qui le somme de respecter les lois édictées par Vichy, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre ses activités. A l’automne 1942, des représentants du Commissariat aux Questions Juives le prient de leur fournir les archives diocésaines, afin de vérifier l’authenticité des certificats délivrés par l’évêque, ce qu’il refuse catégoriquement. Patriote, l’évêque de Nice voit d’un mauvais œil l’arrivée des troupes italiennes à Nice :

" Le jour où les troupes transalpines entrèrent à Nice, il hissa le drapeau français et manifesta dès lors un patriotisme pointilleux. Mesure plus que symbolique, il décida en mai 1943, d’appeler Notre-Dame-de-France la nouvelle église du col de Villefranche.

De même, lui qui, depuis 1931, obligeait le clergé à prononcer le latin à la romaine, interdit cette pratique et exigea l’accentuation gallicane (...). "[27]

Moussa Abadi était-il au courant des actions menées par l’évêque de Nice en faveur des Juifs opprimés ? Peut-être s’est-il simplement tourné vers lui dans la mesure où Monseigneur Rémond avait les moyens de lui ouvrir de nombreuses portes pour les enfants. Moussa Abadi cherche à obtenir une audience auprès de Monseigneur Rémond, mais craint de ne pas être reçu à l’évêché s’il n’est pas introduit par un tiers. Il a alors l’idée de contacter un père jésuite, une figure importante de la compagnie de Jésus, très influent sur la moralité de la bourgeoisie niçoise et qui lui a manifesté quelques marques de sympathie. Un rendez-vous à l’évêché est ainsi obtenu.

4.3. Un appui fondamental - Moussa Abadi reçu par Monseigneur Rémond relate ainsi en 1948, les propos qui se tinrent dans le bureau de l’évêque :

" - Monseigneur, je suis venu à vous en toute confiance. Je ne suis pas un membre de votre troupeau. Je ne crois pas en votre Dieu. Il n’y a rien de commun entre vous et moi.

Simplement, me voici, Monseigneur, et je vous demande de m’aider. De m’aider à accomplir une tâche ingrate, périlleuse, peut-être au-dessus de vos forces et des miennes, et qui peut-être, nous enverra à la mort, vous et moi.

- Qui dois-je aider au risque de notre mort ?

- Au risque de votre mort, Monseigneur, des enfants qui ne croient pas en votre Dieu et dont les parents ont été accusés pendant des siècles, d’envoyer votre Dieu à la mort. " [28].

Monseigneur Rémond demande à Moussa Abadi un temps de réflexion avant de s’engager. Au cours d’une deuxième entrevue, l’évêque affirme sa volonté d’aider Moussa Abadi dans son entreprise :.

" Monseigneur Rémond dit :

- C’est bien.

Il se lève et désigne le bureau. Il dit :

"- Cette maison qui était ma maison est aujourd’hui la vôtre. Vous m’avez demandé de sauver des vies humaines. Jamais n’entrera ici une arme. Jamais n’entrera ici la haine. Jamais n’entrera ici ce qui peut servir la haine, la vengeance ou le ressentiment. "[29].

Odette Rosenstock et Moussa Abadi commencent alors la prospection afin de savoir en cas d’invasion allemande qui accepterait de prendre des enfants. Un bureau est attribué à Moussa Abadi à l’évêché, au 23 rue de Sévigné en rez-de-chaussée, afin de faciliter une fuite éventuelle. La secrétaire de Monseigneur Rémond, Mademoiselle Lagarde et l’Abbé Rostand, son secrétaire particulier, le chanoine Heitz-Michel, chancelier, participent à l’entreprise et établissent dans un premier temps les listes des institutions, couvents, collèges dans tout le diocèse, susceptibles d’accueillir des enfants. Moussa Abadi se rend dans les établissements catholiques, tandis qu’Odette Rosenstock prend contact avec les pasteurs Evrard et Gagnier, qui acceptent immédiatement d’apporter leur concours. Edmond Evrard est le pasteur du temple de la rue Vernier. En août 1943, il se rend au Chambon-sur-Lignon, où il prononce un discours sur le livre d’Amos devant les pasteurs Trocmé et Théis. Dans cet endroit si particulier, il prend conscience de la tragédie vécue par les Juifs et de la mobilisation des habitants du village en faveur des opprimés. De retour à Nice, il rencontre Maurice Cachoud du Mouvement de Jeunesse Sioniste. [30]

L’église du Pasteur Gagnier est située 39 boulevard Dubouchage, non loin de la synagogue qui sert de haut lieu d’échange et de renseignements aux Juifs réfugiés. Le Pasteur Gagnier accueille sous l’occupation italienne de nombreuses familles juives, en attendant que leur situation soit régularisée. Les deux pasteurs dressent immédiatement pour Odette Rosenstock une liste des institutions et des familles qui prendraient des enfants. A Nice, comme au Chambon-sur-Lignon, le soutien protestant ne se fait pas attendre.

5) Structurer le réseau

Moussa Abadi et Odette Rosenstock prospectent auprès d’institutions laïques, de mairies, et font du porte-à-porte pour contacter des familles. Ils s’emploient ainsi pendant les trois derniers mois de l’occupation italienne à tisser avec opiniâtreté les structures du réseau naissant, sans savoir si le travail qu’ils ont accompli aura une utilité. Pour aller visiter les couvents et les institutions religieuses, il faut à Moussa Abadi un titre que lui confère Monseigneur Rémond : Inspecteur de l’Enseignement Libre pour le diocèse de Nice.

Sur sa carte est inscrit " Nous prions les responsables des institutions de lui réserver le meilleur accueil pendant l’exercice de ses fonctions. "

L’évêque lui ouvre ainsi toutes les portes des écoles, des maisons d’enfants et des couvents dont les responsables le prennent fréquemment pour un prêtre en civil et qui acceptent ensuite ou non d’accueillir des enfants.

Odette Rosenstock a également une carte, qui la présente comme Assistante sociale chargée de l’évacuation de Nice en cas de bombardement.

Des contacts sont établis avec les organisations clandestines, les Eclaireurs Israélites et l’O.S.E. pour laquelle ils rencontrent Andrée Salomon, Elisabeth Hirsch et Georges Garel. Odette Rosesntock et Moussa Abadi se mettent également en relation avec des membres du réseau André Bass, des résistants de l’U.G.I.F, de la Croix-Rouge ou du Secours National. Il est décidé que la structure du réseau sera calquée sur celle du circuit Garel. Toutefois, Moussa Abadi tient à l’indépendance totale de son réseau et refuse de n’être qu’un maillon du circuit souterrain de l’O.S.E. Georges Garel le décrit ainsi :

" C’était un oriental, un homme fier et indépendant, un " pur sang " sensible au moindre coup d’éperon, une forte personnalité qui n’aurait jamais supporté d’être un second. "[31].

Pour les enfants, les cartes d’alimentation sont indispensables. Moussa Abadi prend contact avec l’Intendant du Ravitaillement Général des Alpes Maritimes [32], Monsieur Brès, qui l’introduit auprès de ses deux subordonnés. Il n’est pas question pour eux de détourner des cartes d’alimentation. Moussa Abadi leur propose de lui donner une pile de cartes vierges qu’il remplira avec des numéros de cartes que les adjoints de Monsieur Brès ont convenu de ne pas distribuer. En cas d’arrestation de Moussa Abadi en possession de fausses cartes d’alimentation, il est prévu que ce dernier se fera passer pour un trafiquant, afin de ne pas impliquer ses deux complices. Ainsi

" (...) Tout avait été préparé pour accueillir en cas de catastrophe, entre 150 et 200 enfants. "

6) Chûte des Italiens, chasse à l'homme et à l'enfant

" Et un jour, les Allemands ont envahi Nice. Ceux qui n’ont pas vécu les jours d’arrivée à Nice des Allemands ne pourront pas imaginer ce qu’a été cette chasse à l’homme. "[33].

L’hypothèse d’une invasion allemande se dessine plus précisément avec la fin de l’occupation italienne et au moment de l’élaboration du Plan Donati.

6.1. Le Plan Donati - L’occupation italienne est remise en cause au mois de juillet 1943 par la signature annoncée d’un armistice entre les Italiens et les Alliés. Angelo Donati, Juif influent à Rome qui a soutenu la protection des Juifs par les autorités italiennes d’occupation, obtient de son gouvernement l’assurance que 30 000 Juifs pourront trouver refuge en Italie. Il négocie également en parallèle la location de quatre navires destinés à emmener vers les ports italiens les réfugiés qui ne pourront pas passer la frontière.

Angelo Donati explique ainsi les enjeux de ce plan :

" A ce moment qui se place au début du mois d’août 1943, des négociations ont commencé entre les gouvernements anglo-américains et moi, pour obtenir que 20 000 à 30 000 Juifs soient envoyés en Afrique du Nord. Les négociations ont été menées au Vatican où j’ai été introduit par le Père Marie-Benoît, naturellement en cachette -avec Sir Osborn, ministre d’Angleterre, Monsieur Titmann, ministre d’Amérique. Le gouvernement italien était au courant chaque jour des conversations et ayant préalablement donné son consentement à faire entrer en Italie le nombre de Juifs qui auraient pu vraisemblablement être évacués sur l’Afrique du Nord, les deux ministres anglo-saxons ont saisi leurs gouvernements respectifs. Le gouvernement américain a répondu qu’il voyait cette solution avec sympathie et qu’il transmettait la proposition au comité interallié des réfugiés à Londres. Le gouvernement anglais a répondu qu’il ne voyait pas d’objection de principe à cette solution qui méritait d’être étudiée.

Mais le temps pressait et, en accord avec le gouvernement italien, on avait décidé de faire entrer entre temps les Juifs en Italie. Le gouvernement italien, ayant confiance dans les organisations juives de Nice, avait établi une espèce de passeport dont 5 000 exemplaires ont été imprimés à Rome et dont une partie doit se trouver encore dans le sous-sol du ministère de l’Intérieur et qui devait être délivré comme sauf-conduit pour permettre aux autorités italiennes de laisser pénétrer les Juifs en Italie. " [34]

Dès le mois d’août, l’armée italienne se retire des départements qu’elle occupe et Donati incite les Juifs réfugiés dans les départements sous occupation italienne à gagner Nice en attendant qu’il soit procédé à leur évacuation :

" Nice était bourrée de Juifs. On les avait fait venir de la Savoie, de la Haute Savoie avec les meilleures intentions du monde, pour les faire passer en Italie. " [35]

Les Juifs arrivent à Nice de tous les départements du sud de la France. Ils se pressent dans les petits hôtels et les pensions de famille[36].

Nice est dans un état d’effervescence extrême. Le 8 septembre 1943, la population juive apprend consternée la signature de l’armistice avec l’Italie. Dès le 10 septembre, les Allemands envahissent la ville qui se transforme en une véritable souricière. Le Plan Donati ne pouvant être mis en application, seules quelques centaines de réfugiés Juifs parviennent à passer la frontière avec les troupes italiennes. Malgré l’aide du préfet Jean Chaigneau[37] qui parvient à brûler des centaines de dossiers de familles juives qui se trouvent à la préfecture, le piège se referme sur les Juifs. La Gestapo y sème l’épouvante.

" On ramassait les Juifs -pardonnez-moi d’employer cette expression- à la pelle. Partout. Dans les hôtels, sur les trottoirs, dans les rues. " [38].

Dès leur arrivée, les Allemands procèdent à des arrestations en permanence. Ils sillonnent les rues et ramassent tous les Juifs qui se trouvent sur leur passage et dans les hôtels, hôpitaux, appartements où la Gestapo perquisitionne jour et nuit. Entre le 17 septembre et le 16 décembre, environ 1 850 Juifs sont arrêtés, transférés à Drancy et déportés. Mais le nombre d’arrestations est inférieur aux exigences d’Aloïs Brunner. La Gestapo, relayée par la milice qui a pignon sur rue, met alors en place une politique de délation encourageant la population française à apporter son concours à la chasse à l’homme. Une prime de 300 à 500 francs est versée pour chaque dénonciation.

" Une dénonciation peut ainsi valoir un litre d’huile ! C’est ainsi qu’a la Libération dans les archives allemandes a été trouvé le courrier des délateurs réclamant leur dû pour chaque dénonciation. " [39].

Furent retrouvées dans les archives allemandes des lettres du type de celle-ci envoyée par une " respectable vieille dame " une de " ces vieilles dames inoffensives qui prennent le soleil sur la promenade des Anglais " :

" Monsieur le Kommandant, J’ai l’avantage de vous signaler aujourd’hui qu’un garçonnet israélite (environ 10 ans) se trouve réfugié au n° 10 de la rue A.... De même, une fillette de (huit ans) avec son petit frère (3 ans), chez la concierge du 9 de la rue G... Cela fait donc trois en tout soit à recevoir : trois fois 500 francs qui font 1 500 francs.

" Je vous signale également qu’en vérifiant mes comptes, j’ai noté un découvert de Fr. 1 000 provenant des petits S..... et Z....... que j’avais indiqué à vos services le 4 de ce mois.

" Je vous serais obligée de bien vouloir m’adresser cette somme sans retard étant donné la modicité de mes prix et d’y joindre Fr. 300 pour mes frais. "[40].

Outre la milice et les délateurs français, les Allemands recrutent un groupe de russes blancs antisémites, qui se spécialise dans la traque des Juifs. Il est dirigé par Serge Mojarov et Karakaiev :

" Tandis que les Allemands ne savaient pas reconnaître un Juif d’un type méditerranéen, ils avaient un flair tout spécial. Déjà pendant la période italienne, beaucoup de Juifs russes étaient venus se réfugier à Nice et ils étaient connus des Russes blancs. Il n’y a pas de doute que cette bande de Russes blancs guidée par un nommé Serge Mojarov surveillait les gares et cherchait dans les rues, et qu’elle fut à l’origine d’un très grand nombre d’arrestations. " [41]

Le Mouvement de Jeunesse Sioniste, et en particulier la Section Immédiate de l’Armée Juive abattent six ou sept indicateurs russes et organisent des attentats dans les lieux ces derniers ont coutume de se réunir. Karakaiev est abattu par un groupe de résistants, tandis que Mojarov blessé s’enfuit en Suisse.

6.2. Le réseau Marcel intégré dans un ensemble d’organisations d’entraide - Le réseau Marcel constitue à Nice un maillon d’un ensemble d’organisations et d’individus luttant pour la survie des Juifs et contre l’oppression allemande. L’O.S.E, les Eclaireurs Israélites et le M.J.S. se sont réunis et ont constitué Le Comité de la Rue Dubouchage, du nom de la synagogue, centre de renseignements pour les Juifs réfugiés, que fréquentent Odette Rosenstock et Moussa Abadi. Le réseau Marcel agit en complémentarité du Comité de la Rue Dubouchage, avec les membres duquel il est plus ou moins en relations. Le M.J.S. fait partie des organisations les plus actives. Dès l’occupation italienne, il crée un service afin de permettre aux Juifs arrivant de la zone occupée par les Allemands de régulariser leur situation auprès des autorités en place. Au moment de l’invasion allemande, le mouvement bascule dans la clandestinité. Jacques Weintraub, nommé responsable, est arrêté par les Allemands. Le M.J.S. se spécialise dans la fabrication de faux papiers à laquelle Serge Karwasser et Pierre Mouchnick travaillent jour et nuit dans un laboratoire d’où ils ne doivent en principe jamais sortir.

Ils fabriquent faux actes de naissance, certificats de baptêmes, certificats de travail, certificat de recensement, des photocopies de décret de naturalisation :

" En hiver 1943-1944, on travaillait le soir avec une lampe acétylène et le matin dès le lever du jour. (...) C’était Pierrot et moi-même qui faisions au début toute la besogne. (....) Je peux mentionner que le total des cartes d’identité fournies par nous atteignait 20 000 et les autres documents en proportion, dont 12 000 pour les Juifs et le reste pour la Résistance française. "[42]

Le Mouvement de Jeunesse sioniste [43] s’investit tant vers l’aide aux adultes juifs que dans la lutte armée. Il constituait un réseau de grande ampleur pour la fabrication de faux papiers et on peut émettre la supposition que Moussa Abadi ait pu être en contact avec des représentants du mouvement. Le MJS à Nice est une organisation complémentaire au réseau Marcel. Tandis que celui-ci prend en charge les enfants, le MJS assure une aide aux adultes cachés par la distribution de faux papiers et de nourriture. Le Pasteur Evrard est également en contact avec Maurice Cachoud du MJS qu’il tente d’aider. Le Pasteur Evrard avec l’appui de ses deux fils distribue les cartes d’alimentation et des faux papiers fournis par le MJS, cherche de nouveaux lieux de refuge et effectue auprès des paroissiens des collectes d’argent :

" Il m’arriva[it] de ramasser 10 000 à 12 000 dans la semaine. "

Le Pasteur Evrard intercède auprès de la Kommandantur pour obtenir quelques libérations avec faux papiers à l’appui [44]. Le Pasteur Gagnier, très actif également en dehors de son aide au réseau Marcel, se souvient :

" Après l’arrivée des Allemands, je travaillais beaucoup avec un nommé Maurice [45] (il portait des lunettes). Il me signalait des cas urgents, et moi, je lui en signalais d’autres. Il m’est arrivé de faire coucher à l’Eglise même enfermées à clef, un grand nombre de familles juives, pendant plusieurs nuits consécutives, entre autre la famille Wachskerz, arrivée du Tarn, dont le fils faisait des études de rabbin. Ce n’est pas la peine de parler des centaines et des centaines de cas courants, où nous procurions aux gens des abris, des faux papiers, des cartes d’alimentation, des vivres et de l’argent. Ceci était le travail quotidien. Il y avait des jours d’envahissement terrible. Une fois que j’étais en tournée, ma femme m’a fait revenir de Saint-Laurent du Var ; il y avait 15 personnes à caser, entre autres Monsieur Wolf, fils de l’ancien directeur du " Berliner Tageblatt " [46]. Nous l’envoyâmes chez des pasteurs en Lozère où il resta tout le temps. " [47]

Le Pasteur Gagnier se souvient également du " kidnapping " d’un bébé :

" Il y avait un aryen réfugié politique qui se cachait dans une pension à Saint-Maurice avec sa femme juive et son bébé de 5 ou 6 mois. Ils n’étaient pas mariés officiellement. Ils furent dénoncés et la Gestapo vint les chercher en leur absence ; c’est ainsi qu’ils furent sauvés. Mais les Allemands trouvèrent le bébé et dirent à la directrice de la pension qu’ils l’en tenaient pour responsable. Ils avaient l’intention de se servir du bébé comme appât. " Après avoir mis les parents en sûreté, j’allai plusieurs fois pour essayer d’avoir l’enfant mais en vain. (...) Des mois passèrent, et, personne n’étant venu s’enquérir, je résolus de kidnapper le bébé car il se trouvait dans un état de santé déplorable. Deux amis déguisés en employés du téléphone vinrent à la pension, sous prétexte de réparations et ayant laissé la grille du jardin ouverte chassèrent les poules qui s’y promenaient. La directrice, affolée, se lança à leur poursuite et nos deux amis repartirent entre temps en vélo avec l’enfant. Je m’étais préparé un alibi à Cannes et, le lendemain, me présentais à la pension pour avoir des nouvelles du petit. Là, j’appris qu’une enquête était ouverte et je me rendis immédiatement auprès de Monsieur B. commissaire de l’arrondissement, auquel j’expliquai toute l’affaire. Il fit apporter le dossier, me remit les cartes d’alimentation du petit et le tout fut définitivement classé. " [48]

Les Eclaireurs Israélites comme le réseau Marcel sont également partie prenante dans le sauvetage des enfants dans la région. Le mouvement à Nice est dirigé par Caude Guttman - Griffon- arrêté dès le 23 septembre 1943. Son arrestation précipite la fermeture des centres. Des enfants qui y étaient hébergés furent-ils pris en charge par le réseau Marcel ?

Dans le climat de terreur et de tumulte provoqué par l’arrivée des Allemands, Odette Rosenstock et Moussa Abadi commencent leur travail de sauvetage des enfants.

7) Cacher les enfants

Moussa Abadi et Odette Rosenstock prennent les enfants comme ils viennent, confiés par leurs parents, des voisins, des passants dans la rue. Ceux qui sont le plus en danger sont ceux dont les parents ont été arrêtés et qui seuls, peuvent être pris à tout instant, sans grandes chances de survie :

" Nous étions là, deux avec Odette, à ramasser des enfants qui venaient d’un peu partout. Les concierges nous les envoyaient. Leurs parents venaient avec eux. On commençait à les placer un peu partout, dans les institutions religieuses, dans les couvents, dans les familles. "

Les premiers placements d’enfants s’effectuent dans la tourmente : le fonctionnement du réseau n’est pas encore rôdé, les places trouvées s’avèrent vite insuffisantes et l’omniprésence de la Gestapo fait courir de nombreux risques. Il est impossible aux deux sauveurs d’agir de façon méthodique. Les trois premières semaines du réseau sont vécues dans l’affolement le plus total. Les enfants sont cachés comme il est possible, emmenés dans des fiacres et placés pour une nuit ou deux, avant d’être emmenés dans un lieu de placement qui aura un caractère un peu plus définitif.

Les enfants qui ont parfois assisté à l’arrestation de leurs parents et dont le degré de compréhension de la situation fluctue avec l’âge ont parfois des réactions qui ne vont pas sans poser de problèmes. Moussa Abadi se souvient ainsi d’un petit garçon de six ans qui, au moment d’être séparé de sa sœur plus jeune de deux ans, s’est couché sur elle et mis à hurler qu’il avait promis à ses parents qu’il ne l’abandonnerait pas. Au cœur de la tourmente, Moussa Abadi doit trouver un moyen de cacher les deux enfants sans les séparer [49] .

Les principaux lieux de caches des enfants sont constitués par les institutions religieuses. Les 150 à 200 places prévues s’avérant insuffisantes, il s’agit alors de trouver de toute urgence de nouvelles familles d’accueil pour les enfants. Moussa Abadi sous le nom de Monsieur Marcel, vêtu d’un imperméable parcourt Nice et les alentours à bicyclette dans le but de trouver de nouvelles places, reprend le porte-à-porte à la merci lui-même d’une dénonciation. Parmi la population niçoise sensibilisée par l’action de la Résistance dans la région, quelques familles épouvantées par la brutalité des Allemands acceptent par solidarité de prendre quelques enfants. Moussa Abadi relate que ce sont souvent des gens simples, démunis, désargentés, ou des personnes âgées. Moussa Abadi se rappelle ainsi de Madame Belliol qui avait dit à Odette Rosenstock :

" Donnez-moi le plus déshérité, le plus laid, le plus malade. " Et Odette est arrivée chez Madame Belliol avec un gosse de quelques mois, il s’appelait Bernard Leizarovitch [50]. On l’a donné à cette femme qui était pauvre et qui acceptait de prendre le plus déshérité de nos enfants. " [51]

Les premiers enfants cachés sont placés sous leur identité véritable, mais très vite il faut les " dépersonnaliser ", leur apprendre à répondre à leur faux nom et leur apprendre une nouvelle histoire de leur famille qui leur permettra d’évoluer dans un milieu non-juif. Outre les enfants juifs, Moussa Abadi prend en charge quelques enfants de parents communistes engagés dans la Résistance. Certains enfants du réseau sont acheminés vers la Suisse. Ce sont parfois des enfants de familles très religieuses, ou des enfants parlant difficilement le français et de ce fait facilement repérables. Les enfants sont alors confiés aux Eclaireurs Israélites ou à l’O.S.E. et convoyés par petits groupes. Cet itinéraire fut suivi par les deux frères Poch, Maurice et Max, âgés de treize et douze ans qui gagnent la Suisse tandis que leur jeune sœur Andrée âgée de trois ans est cachée dans un préventorium de Grasse. D’autres enfants traversent ainsi la frontière rejoignant les filières souterraines de l’O.S.E. ou des Eclaireurs Israélites.

7.1. " Voler l’identité des enfants " - Donner aux enfants une nouvelle identité et leur apprendre à y répondre quelles que soient les circonstances sont les clefs de la survie des enfants. Comme l’explique Moussa Abadi :

" ... On pouvait faire cela avec des adolescents de douze ans, de treize ans, en leur disant " Tu ne t’appelles plus Epelbaum, tu ne t’appelles plus Morgensztern... Tu t’appelles Rocher, Durand." Mais les enfants de six ou sept ans, on ne pouvait pas les lâcher comme ça, dans une école ou dans une famille. Il fallait leur voler leur identité, nous étions des voleurs d’identité. "

Comment faire pour que des enfants de cet âge comprennent qu’en toutes circonstances il doivent oublier le nom qu’ils ont porté, le taire à leurs meilleurs amis, se constituer un nouveau passé et s’y tenir ? Pour les enfants, il s’agissait de mettre entre parenthèses leurs racines et surtout leurs parents. Sœur Andréa, du couvent des Clarisses met à la disposition du réseau Marcel une villa qui sert ainsi de lieu de transit pour les enfants avant de les conduire dans leur lieu de placement et leur permet d’apprendre les éléments de leur nouvelle vie. Les enfants y subissent les séances de dépersonnalisation :

" Et cette opération atroce, odieuse, affreuse durait des heures :

" Tu ne t’appelles plus Epelbaum, tu t’appelles Rocher. Répète. Comment tu t’appelles ? -Rocher... " On recommençait. " [52]

Se pose également le problème de la langue car quelques enfants ne parlent que l’allemand, que ni Odette Rosenstock, ni Moussa Abadi ne maîtrisent. Aux enfants sont donnés des états civils invérifiables. On les déclare nés dans des communes bombardées dont les registres n’existent plus, ou dans des villes d’Afrique du Nord ou d’Afrique Noire que le black out rend incontrôlables, ou encore en Corse libérée en septembre-octobre 1943. Les plus petits vivent ces séances comme un jeu où ils apprennent à se faire passer pour quelqu’un d’autre, mais pour les plus grands ce changement d’identité entérine la fin de leur vie avec leurs parents et laisse planer l’incertitude d’un retour possible à la normalité.

Armand Morgensztern, qui avait onze ans lorsqu’il fut confié par sa mère au réseau Marcel dans les premiers temps de l’arrivée des Allemands à Nice, fut emmené par Monsieur Marcel dans un fiacre au collège Saint-Cerno - lire collège Sasserno - (note du webmestre sur une remarque de Jean-Pierre S. de Nice du 12 mai 2007 - erreur due probablement à une mauvaise graphie du texte manuscrit consulté par Céline M.- F. A.) où ont été conduits provisoirement une vingtaine de jeunes garçons. Il se souvient de son changement d’identité :

" (...) Avant que l’on nous change d’identité, un prêtre nous a fait venir et m’a dit : " maintenant tu ne t’appelles plus Morgensztern, tu t’appelles Morini ". Je gardais le même prénom. Alors, je me suis fait tout un scénario, (...) avec la Libération de la Corse qui s’était faite plus tôt que le continent en 1943, j’ai dit que je n’avais pas pu rejoindre mes parents. Enfin, un scénario un peu plus élaboré que celui que je vous rapporte, et je lui ai raconté ça le lendemain, il m’a dit " Très bien, je suis d’accord. C’est cela qu’il faut dire." [53]

7.2. Les fiches des enfants - Au bureau du réseau Marcel à l’évêché, s’effectuent toute les tâches administratives : correspondance entre les parents et les enfants, fiches des enfants, établies en trois exemplaires par mesure de sécurité[54] . Un lot de fiches est conservé à l’évêché, noyé dans les archives de façon à ce qu’elles ne soient pas retrouvées en cas de perquisition. Un deuxième exemplaire de ces mêmes fiches est remis au comptable de l’évêché, Monsieur Magnan, qui les enterre par lots dans son jardin. Enfin dans l’éventualité où les animateurs du réseau disparaîtraient, à chaque fois que cela est possible, des lots de fiches sont remis à des personnes de confiance en partance pour la Suisse en vue de les faire remettre à la Croix Rouge.

Les fiches des enfants doivent porter un maximum de renseignements pour qu’on puisse les identifier après la guerre, mais sans en compromettre la sécurité. Une fiche signalétique comporte les nom et prénoms de l’enfant, son lieu de naissance, sa nationalité, le nom et la nationalité de ses parents, le nom et l’âge de ses frères et sœurs, l’adresse des parents sur Nice, leur adresse avant guerre en France ou dans le pays d’origine et quelques renseignements sur la famille -arrestation ou déportation des parents ou des frères et soeurs, lieu où se trouvent des proches de la famille- parfois une photographie. En bas à gauche de la fiche, figure la fausse identité de l’enfant. Certaines fiches comportent peu de renseignements, d’autres sont parfois éloquentes sur les conditions dans lesquelles sont recueillis les enfants et sur leur itinéraire depuis le début de la guerre. Certaines fiches ne comportent qu’un nom témoignant de l’urgence du placement ou du fait qu’il peut s’agir d’enfants dont les parents ont été arrêtés. livrés à eux-mêmes, ils arrivent au réseau Marcel par l’intermédiaire d’un voisin, d’une connaissance de la famille. Les fiches de certains des enfants les plus petits fournissent très peu de renseignements, l’enfant étant parvenu seul ou par l’intermédiaire d’un tiers n’a pu donner suffisamment d’indications.

7.3. Financement du réseau - Le financement du réseau est assuré par les organismes humanitaires internationaux : le Joint principalement dont Maurice Brenner[55] , un de ses représentants devient le principal banquier du réseau Marcel et agit sous le couvert de l’U.G.I.F. Il constitue l’interface entre le réseau Marcel et le Joint[56]. Moussa Abadi parfois contraint d’effectuer des déplacements de plusieurs jours, entre Nice et Paris. L’argent est convoyé souvent par des instituteurs non- juifs qui peuvent plus facilement franchir la frontière Suisse[57]. Moussa Abadi doit sans cesse courir après cet argent que les familles attendent. La plupart d’entre elles étant issues de milieux peu fortunés, cet appoint leur est indispensable. Ces difficultés occasionnent des retards dans le versement des pensions. Moussa Abadi et Odette Rosenstock ne peuvent également vivre sans ce financement dont une partie leur permet de se nourrir et se loger. Dans la région de Nice, le Joint pourvoie également des fonds pour le Groupe de Jeunesse Sioniste. Une partie du réseau Marcel est également financée par l’O.S.E. Internationale aux Etats-Unis et les Quakers.

7.4. Les enfants pris en charge - [58] 527 enfants ont été cachés par Odette Rosenstock et Moussa Abadi de l’arrivée des Allemands jusqu'à la Libération de Nice au mois d’août 1944. Ce chiffre ne signifie pas pour autant qu’ils soient restés tous cachés par le Réseau Marcel pendant la durée de l’occupation allemande. Certains ont été cachés quelques jours, le temps nécessaire à leurs parents pour trouver un endroit où s’abriter ou un passeur pour gagner la Suisse. Certains enfants sont confiés au réseau un temps très court, ce qui permet aux parents de sauver leur vie sans risquer celle de leurs enfants. Ainsi pour un certain nombre d’enfants est portée sur la fiche la mention repris par le père, la mère quelque temps ou plusieurs mois après leur placement. Ces enfants qui sortent du réseau permettent à Odette Rosenstock et Moussa Abadi de prendre en charge d’autres enfants. En effet, le réseau accueille des enfants jusqu'à la Libération de Nice, même si le plus grand nombre des enfants est pris en charge au moment de l’occupation allemande. Moussa Abadi estime entre 200 et 250 le nombre total des enfants qui furent pris en charge par le réseau Marcel pendant toute la durée de l’occupation allemande dans la région.[59]

8) Les enfants du réseau Marcel

8.1. Les enfants du réseau Marcel ; itinéraires de familles juives à travers l’Europe - Avec les fiches signalétiques des enfants se dessine l’itinéraire de nombreuses familles. En effet, il serait irréaliste de penser que les enfants cachés par le réseau Marcel étaient majoritairement des enfants dont les familles habitaient de longue date le sud de la France. La plupart des enfants cachés ont des parents polonais. Ceux dont les parents ont la nationalité française ne représentent qu’une minorité. Parmi les enfants, quelques-uns sont nés en Pologne, d’autres en Roumanie. Ce sont principalement des adolescents, nés à la fin des années 1920 ou au début des années 1930 mais dont les frères et sœurs plus jeunes sont nés en France. C’est le cas de la famille Hasligman : l’aîné naît à Varsovie en 1928 comme sa sœur Marie qui y voit le jour un an plus tard. La famille quitte probablement la Pologne dans le courant des années 1930 et s’installe à Paris où Lucie naît le 17 juillet 1940. De nombreux enfants du réseau appartiennent à des familles qui ont constitué un flux d’émigration important dans les années 1930 à destination des pays d’Europe de l’ouest, dont la France, parfois en vue de s’y installer, soit avec l’objectif d’émigrer outre Atlantique.

Les enfants français ont pour la plupart des parents originaires d’Europe de l’Est - Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie. Ces enfants sont nés à Paris où les deux tiers de la communauté juive vit avant-guerre. Parmi les enfants pris en charge, apparaissent des familles originaires d’Allemagne, d’Autriche ou de Tchécoslovaquie. Ils ont fui l’Allemagne d’Hitler en raison des mesures discriminatoires et l’explosion de violence contre les Juifs -en particulier la Nuit de Cristal dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938-, l’Anschluss, l’annexion des Sudètes en Tchécoslovaquie. C’est le cas des enfants Kolinski nés en 1930 et en 1931 à Franckfort, de parents allemands qui fuient vers la France. Les familles qui quittent l’Allemagne à la fin des années 1930 sont donc soit installées en Allemagne depuis de nombreuses générations, soit des familles polonaises ou russes qui ont émigré à la fin du XIXème siècle ou dans les trois premières décennies du XXème siècle vers l’Allemagne. Les enfants appartenant à des familles juives autrichiennes, installées en France pour des raisons identiques, sont également nombreux.

Ces familles qui ont fui le Reich sont internées en France en 1939 en tant que ressortissants de pays en guerre contre la France. En 1940, Vichy les maintient dans les camps d’où ils seront déportés en 1942. Parmi les enfants du réseau Marcel se trouve Alfred Halpern, de parents autrichiens né le 29 juin 1940 dans le camp de Gurs, d’où son père est déporté en 1942. Alfred Halpern est sorti du camp et confié au réseau Marcel en 1943 [60]. Enfin, en 1940 arrivent des familles originaires de Belgique ou du Luxembourg qui fuient leur pays en raison de l’avancée allemande. Parmi ces familles de l’exode qui peuplent le sud de la France, certaines se réfugient à Nice dès le début de la guerre, d’autres arrivent après l’invasion de la zone libre par l’Allemagne. Pour des raisons identiques, les familles françaises ou étrangères qui vivaient à Paris gagnent le sud et notamment Nice. Les Juifs qui vivent en zone occupée continuent ainsi d’affluer après les lois anti-juives en zone occupée et surtout la rafle des Juifs polonais de mai 1941 qui constitue un premier signal d’alarme. De plus en plus de familles tentent de gagner la zone encore libre. A ce titre, le cas d’Armand et Eve Herscovici est significatif. Avant la guerre, la famille, dont les parents sont originaires de Roumanie, habitait vraisemblablement la région parisienne puisque Armand naît à Garches, le 8 novembre 1939. La famille quitte ensuite la zone occupée et gagne Marseille où ils sont domiciliés 47, boulevard de la Paix. La sœur aînée d’Armand y voit le jour le 21 mars 1941. Avec l’invasion de la zone libre par les Allemands, il se réfugient à Nice sous contrôle italien.

Lieux de naissance Nbre Lieux de naissance Nbre
Paris, Région parisienne 53 Belgique, Luxembourg 20
Sud de la France 17 Pologne, Roumanie 16
Est de la France 11 Allemagne, Autriche, Tchécoslovaquie 10
Gurs (camp d'interrnement) 1 Angleterre 1
Autres lieu en France 4 Italie 1
Enfants dont ont ignore le lieu de naissance 29
Nombre total d'enfants 168
Tableau 1 : Les lieux de naissance des enfants [61]
Nationalité des parents Nbre Nationalité des parents Nbre
polonaise / russe 65 père tchèque / mère hongroise 1
roumaine 13 père tchèque / mère roumaine 1
hongroise 3 père roumaine / mère belge 1
bulgare 2 père polonaise / mère roumaine 1
allemande / autrichienne / tchèque 11 père roumaine / mère polonaise 1
française 13 père français / mère anglaise 1
belge / luxembourgeois 5 père polonais / mère française 1
turque 1 Nationalités inconnues 48
Tableau 2 : Origine des parents

8.2. L’âge des enfants

Tranches d'âge Nbre
3 mois - 6 ans 52
7 ans - 12 ans 61
13 ans - 17 ans 33
Enfants dont l'âge est inconnu 22
Total 168
Tableau 3 : Age des enfants du réseau Marcel

Les enfants pris en charge dans le réseau sont de tous les âges : les plus âgés sont des adolescents de 16 ou 17 ans, que l’on peut à cette époque considérer comme de jeunes adultes. Les plus petits n’ont que quelques mois. La plus jeune recensée parmi les fiches des enfants qui ont traversé le temps, est Marlène Weiss née à Nice en 1943. Son frère aîné y voit le jour en 1940. Les deux enfants sont confiés à une famille de Nice sous le nom de Gervais.

8.3. Les placements - La proportion d’enfants cachés dans des famille d’accueil est assez considérable. Parmi les enfants sur lesquels on possède des informations, trente-cinq sont placés dans des familles, à Nice, Antibes, Cannes, Opio, Selos de Comte, Magnagnosc, Juan-les-Pins. Sont placés dans des familles les plus jeunes enfants difficilement intégrables à une institution religieuse et dont l’âge nécessite un encadrement affectif plus important.La plupart des enfants restant sont placés dans des institutions catholiques : couvent des Clarisses, Institut Sainte-Marthe, Institut Maison Blanche, Institut Don Bosco, collège Saint-Cerno, Presbytère Notre-Dame à Séranon. Au couvent des Clarisses situé à Cimiez est cachée Lisette Fall Lévy en même temps que deux autres enfants. Il s’agit de Glika et de Raphaël Rappaport âgés respectivement de 7 ans et 11 ans. Leur mère, Hélène Rappaport a eu connaissance du couvent par un épicier de la vieille ville de Nice, et confie ses enfants à S?ur Emmanuelle et S?ur Andréa. Lise Lotte Fall Lévy fait partie des enfants du réseau Marcel. Elle est née le 29 mars 1929 à Vienne. Polonaise de même que ses parents, elle arrive en France en 1939. Son père décède en clinique à Nice. Sa mère a été déportée le 28 août 1942. Elle a 14 ans en 1943 lorsque les Allemands arrivent à Nice. Elle aurait été conduite au couvent des Clarisses par Sœur Emmanuelle, puis prise en charge par le réseau Marcel [62].

L’institut Sainte-Marthe à Grasse accueille une dizaine de fillettes. Les plus âgées sont Jeannette Swita et Aviva Bernstein. Elles ont toutes les deux 15 ans. Jeannette est née à Paris et Aviva en Roumanie et est placée dans l’institution avec sa sœur plus jeune de 5 ans, Myriam, aujourd’hui professeur de philosophie. Myriam et Aviva Bernstein ont également séjourné à l’Institut Blanche de Castille situé sur le boulevard Carnot à Nice où étaient hébergées d’autres fillettes et des enseignantes juives [63]. La plus jeune de toutes les pensionnaires de l’Institut Sainte-Marthe est Judith Stern née le 23 septembre 1939 à Anvers de nationalité hongroise. Elle n’a que 4 ans et se trouve à l’Institut Sainte-Marthe avec sa sœur plus âgée de 10 ans. Suzanne Heilbronn, 8 ans, dont la famille est en France depuis le début de la guerre, est née à Luxembourg. Son frère aîné, 23 ans, a été déporté, elle a également une sœur malade placée en sanatorium.

A 9 ans, Marthe Arstzein cachée sous le nom de Hartueux Marthe née à Blida en Algérie [64], a traversé la France avec son père avant d’arriver à Nice. Elle est née à Paris au mois d’août 1934. Ses parents sont polonais. Son frère de 16 ans et sa mère ont été arrêtés en zone occupée en 1942 et déportés. Enfin, sont placées à l’Institut Sainte-Marthe, Sylvia et Paulette Nasilewitch, nées respectivement en 1931 et 1932, la première à Strasbourg, sa sœur cadette à Mulhouse. Elles ont la nationalité polonaise comme leurs parents. Ces neuf fillettes cohabitent avec la centaine de pensionnaires de l’Institut, doivent suivre les offices et ne répondre qu’à leur nom d’emprunt. Elles restent ensemble. Jeannette Swita aujoud’hui Wolgust [65] se souvient que les plus grandes prenaient soin des plus petites.

L’Institut Maison Blanche situé boulevard Carabacel à Nice, accueille des fillettes du réseau Marcel dont les soeurs Alice et Monique Burras âgées de onze ans et sept ans et demi, Micheline et Corinne Pessah, âgées de quinze ans et demi et douze ans. Sœur Marie et la Mère Supérieure se souviennent que l’institut servait également de lieu de transit à des familles qui venaient directement confier leurs enfants pour quelques jours en attendant de trouver un refuge. Onze fillettes juives furent accueillies de façon permanente dans une institution où vivaient trente-six pensionnaires au total. Ces fillettes cachées représentaient presque un tiers de l’effectif.

Les faux papiers étaient blanchis au sein de l’établissement. Toutes les filles cachées étaient sensées avoir vu le jour en Algérie. Le maquillage des identités permit entre autres à quelques fillettes de se présenter à des examens. S?ur Marie évoque Alice Burras, reçue brillamment aux examens du D.E.P.P. permettant l’entrée en sixième [66]. Dans les derniers temps de l’occupation allemande, la Maison Blanche dut se replier au Moulinet près de Sospel avec les trente-six enfants [67].

Des enfants, parmi lesquels certains avaient peut-être des problèmes de santé, furent cachés dans les préventoriums de Grasse et de Magnagnosc, d’autres dans des maisons d’enfants comme, Le Château des Petits à Cannes où se trouvait Claude Chicurel né en 1936 à Paris. Cette maison eut des problèmes de ravitaillement et se replia en Ariège. A Villefranche, le Résurrectoire, institution catholique, accueillit également quelques enfants. D’autres encore furent placés à l’Orphelinat Otto à Monte Carlo, ce fut le cas de Roger Feldman, né le 26 janvier 1938 à Paris et caché sous le nom de Barberis. Dans la maison " Le Rayon de Soleil " à Cannes se trouvaient deux jeunes pensionnaires répondant au nom de Julien et Georges Angèle, de leur vrai nom Julien et Georges Engel, nés respectivement en 1933 et 1938 à Anvers. Leurs parents de nationalité polonaise furent arrêtés à la frontière suisse en 1942 et déportés. Dans la maison d’enfants de la Gréolière a été cachée la jeune Monique Kramasein sous le nom de Renard. Enfin, la Maison " Bon Accueil " à Villars-de-Lans recueillit plusieurs enfants.

Dans une interview radio-diffusée dans l’immédiat après-guerre, Monseigneur Rémond indiquait que 300 enfants avaient été recueillis dans les institutions religieuses de son diocèse.

Lieux de résidence des enfants Nbre
Antibes 11
Nice 8
Magnagnosc 1
Grasse 3
Juan-les-Pins 2
Selos de Comte 2
Cannes 2
Opio 2
Mouans-Sartoux 1<
Saint-Laurent-du Var 1
Saint-Martin-Vésubie 1
Nombre d'enfants placés dans des familles 34
Tableau 4 : Les enfants placés dans des familles d'accueil
Les enfants cachés dans les institutions Nbre
- Nice
Collège Sérano 1
Couvent des Clarisses 1
Institut Maison Blanche repliée au Moulinet près de Sospel 7
Couvent Saint-Thomas de Villeneuve n.r.
Institut Don Bosco 12
Institut Blanche de Castille 2
Presbytère Notre-Dame à Séranon 5
Colonie de Thorenc 1
Colonie de Nazareth 1
- Cannes
Maison d’enfants Bella Vista 1
Le Château des Petits, maison repliée en Ariège 4
Le Rayon de Soleil (Maison d’enfants) 2
Maison d’enfants dont le nom n’est pas connu 2
- Grasse
Institution Jeanne d’Arc 4
Institution Sainte-Marthe 5
La Maison des Enfants -préventorium- 4
Collège Fénelon 1
- Magnagnosc
Préventorium 1
- Villars-de-Lans
Maison d'enfants "Bon accueil" 2
- Villefranche
La Résurrectoire 2
Tableau 5 : Les enfants cachés dans les institutions

9) Le suivi des enfants

Odette Rosenstock parcourt toute la région des Alpes Maritimes [68] pour assurer le suivi des enfants dans la clandestinité. Certaines institutions, familles se trouvent dans un périmètre assez éloigné de Nice et souvent dans des régions accidentées. Odette Rosenstock visite presque partout les enfants pour s’assurer qu’ils ne manquent de rien :

" Cela me gênerait de dire que ce que, vraiment, ce qu’elle a fait personne n’aurait pu le faire. Ces enfants avaient besoin de quoi ? D’un peu de tendresse, d’un peu d’amitié, d’un peu d’amour. Elle allait là, leur porter la tendresse, l’amour, parfois une barre de chocolat, parfois quelques vêtements, parfois des courriers.(...) Odette courait vraiment partout, elle allait de Cannes à Grasse, de Nice à Saint-Martin Vésubie, sous la pluie, sous la neige. " [69]

Elle circule la plupart du temps dans des cars à gazogène, les trajets sont longs et non exempts de risques. Elle est le seul lien qui subsiste pour les enfants avec leur vie d’avant, leur famille. Sa présence leur apporte une dimension affective déterminante. De plus, elle emmène avec elle des lettres des parents et il lui arrive parfois avec Moussa Abadi d’en écrire pour les enfants dont l’absence des parents est de plus en plus difficile à supporter. Le suivi des enfants est jalonné d’une multitude de situations imprévues auxquelles il faut faire face dans l’urgence. La séparation d’avec les parents est parfois vécue tragiquement par les enfants :

" J’avais confié un autre de nos enfants à un couple de cheminots à Saint-Laurent du Var. Je passe cinq jours après pour voir si tout se passait bien. Et la femme m’a dit : " Monsieur, je n’en peux plus ! Je n’en peux plus ! Depuis que vous me l’avez confié cet enfant ne dit qu’une seule phrase : " Où elle est Maman ? Où elle est Maman ? "

" Et elle me pousse dans une pièce qui tenait lieu de salle-à-manger qui tenait lieu de cuisine et de salle de séjour. L’enfant était dans un fauteuil recroquevillé. Je m’approche de lui, je lui caresse les joues, je lui dis : " Comment vas-tu mon petit ? " Il me dit : " Où elle est Maman ? " C’était cela notre pain quotidien. " [70]

Quand ce ne sont pas les enfants qui dévoilent leur identité, il peut arriver que ceux qui avaient accepté de prendre des enfants y renoncent. Moussa Abadi se souvient de la mère supérieure d’une institution religieuse où se cachent six ou sept enfants, terrorisée par les Allemands refuse de les prendre en charge plus longtemps. Monseigneur Rémond la fait convoquer dans son bureau à l’évêché et la persuade de les garder. Mais Moussa Abadi, craignant un retournement de situation, doit déplacer les enfants au plus vite.

Armand Morgensztern se souvient également de ces premiers jours au collège Saint-Cerno :

" Au début ça a été très dur parce qu’on était séparés de nos parents. Parce qu’il ne fallait pas qu’ils sachent où nous étions pour que si jamais l’un d’entre eux était arrêté il ne vende pas la mèche. Donc on n’avait aucun contact, comme on était nombreux, certains se lamentaient : " Je me languis de ma maman. " J’étais indigné qu’on puisse se laisser aller. Vous vous rendez compte comme j’étais impossible ! " [71]

Moussa Abadi tient à ce que l’organisation soit totalement cloisonnée. Il refuse que des doubles des archives du réseau soient en possession d’autres organisations juives ou résistantes. Un groupe de résistants communistes dont il a caché les enfants le somme de leur remettre un double des archives, pour que l’on puisse retrouver les enfants dans le cas où il serait arrêté. Mais Moussa Abadi refuse, de fait ce réseau est démantelé quelque temps plus tard et tous leurs membres arrêtés. Les enfants ne se conforment pas toujours aux consignes qui leur sont données. Dans le nouvel environnement dans lequel ils sont projetés, ils doivent faire l’apprentissage du mensonge. Cette aptitude à mentir conditionne leur survie. Toutefois, il arrive que des enfants révèlent à un de leurs camarades leur véritable identité. Pour certains d’entre eux, parce que leur âge ne leur permet pas de réaliser tout à fait la gravité de la situation, ou parce que comme le souligne Odette Abadi [72] , le fait de révéler ce secret, peut-être trop lourd à porter, leur semble une preuve d’affection pour la première personne avec qui ils se lient depuis la séparation d’avec leurs parents :

" Un gosse de six ans qui se tourne vers son camarade qui lui dit : " Tu sais, je ne m’appelle pas Rocher. Je m’appelle Blumenfeld, c’est un secret. Ne le répète pas. " Et l’école nous appelait. On courait. Il fallait déplacer en catastrophe l’enfant. C’était cela notre pain quotidien, c’était ça sauver les enfants. " [73]

Le manque d’affection constitue une dimension importante dans l’univers des enfants, aggravée selon les conditions de leur placement. Armand Morgensztern évoque cet aspect au sein de l’institution catholique :

" Ils nous sauvaient la vie, ils faisaient leur devoir de prêtres chrétiens, mais la note affective je ne l’ai jamais connue, ils ne savaient pas. Aujourd’hui je me rend compte, ils étaient à mille lieux des réalités de la vie d’un enfant. Il faut dire que vue leur vocation, ils n’étaient pas prédisposés à avoir des enfants. " [74]

Les religieux dans les institutions ont témoigné aux enfants un profond respect de leur identité. Armand Morgensztern se souvient de son professeur d’instruction religieuse qui ne l’interrogeait que sur l’Ancien Testament. Glika Rappaport-Zaleman évoque l’attention que portaient les soeurs du couvent des Clarisses aux enfants :

" Elles nous demandaient surtout de respecter notre religion, en regrettant de ne pouvoir nous donner du pain azyme alors qu’elles éprouvaient les pires difficultés à trouver une quelconque nourriture. " Elles nous demandaient de venir à la messe en s’excusant d’avoir à le faire, uniquement lorsqu’il y avait la visite de sinistrés réfugiés au couvent, cela pour ne pas éveiller les soupçons. " [75]

Outre le manque affectif, la faim caractérise l’existence de nombreux enfants. Les cartes d’alimentation, les problèmes de ravitaillement et la pénurie limitent les rations quotidiennes des enfants. Armand Morgensztern raconte :

" J’avais faim, j’avais très faim, j’avais ma ration, mais je me souviens avoir eu des faims à me sentir mal.(...) Une petite anecdote : évidemment pendant les vacances, je ne sortais pas, mes copains qui croyaient que j’étais Corse, leur ration de pain quand ils partaient, ils me la laissaient. Et là, j’étais riche. C’était l’abondance, tous ces quignons de pain pendant les vacances scolaires, je parle des petites vacances, j’avais un tiroir rempli jusqu’au bout, je pouvais manger tant que je voulais, c’était extraordinaire. " [76]

10) Le réseau Marcel menacé

Les persécutions se poursuivent tout au long de l’année 1943-1944, tandis que des enfants à cacher continuent d’arriver. Les conditions de survie pour Odette Rosenstock et Moussa Abadi sont de plus en plus difficiles. L’étau se resserre autour du réseau Marcel que la Gestapo s’efforce de démanteler. La Gestapo semble informée de l’appui apporté par Monseigneur Rémond dans le sauvetage des enfants Juifs. Selon Ralph Schor, Monseigneur Rémond cache sous une fausse identité Ralph Schwob dans le sanatorium des prêtres d’une institution de Thorenc. Il sauve également la vie de Joseph et Maurice Joffo

[77]. Ces deux enfants juifs arrêtés par la Gestapo se prétendent catholiques, mais ne peuvent en fournir la preuve. Prévenu de la situation par le curé de l’Eglise Saint-Pierre d’Arène, Monseigneur Rémond rédige deux certificats de baptême et deux certificats de communion solennelle ainsi qu’une lettre manuscrite dans laquelle il exige la libération des deux enfants, se déclarant prêt si nécessaire à se rendre au siège de la Gestapo en personne.

Des visites à l’évêché sont effectuées par des agents de la Gestapo, notamment une femme surnommée Alice La Blonde qui s’y présente avec des enfants censés être Juifs en demandant de les cacher. A l’institut Don Bosco, où douze garçons sont cachés, Alice la Blonde escortée par des agents de la Gestapo et quelques policiers vient arrêter des enfants juifs. Le père-directeur de l’institution lui affirme qu’il n’y a aucun Juif dans l’établissement. Alice la Blonde passe les classes en revue. Les enfants de l’institut paraissent devant elle. Elle en désigne douze :

" Sors, sors, sors, sors. " Aucun de ces douze enfants n’était Juif. ... Elle les a embarqués et il a fallu que leurs familles apportent ensuite leurs certificats de baptême, ceux du père, de la mère et du grand-père. Mais, nous, il nous fallait débarrasser immédiatement Don Bosco de ce placement encombrant. " [78]

Tous les garçons cachés à Don Bosco sont immédiatement déplacés par groupe de quatre et cachés dans une autre place. Chaque tentative est déjouée, mais ces alertes attestent que les activités de Monsieur Marcel et Sylvie Delatre sont connues des services de la Gestapo. La mère de Raphaël et Glika Rappaport, cachés au Couvent des Clarisses, a entendu parler d’une rafle. Elle en avertit Sœur Emmanuelle qui lui donne de temps en temps des nouvelles de ses enfants. Hélène Rappaport se souvient :

" Une dizaine d’autres enfants juifs sont venus [79] rejoindre le couvent des Clarisses pendant cette terrible période. Je ne pouvais rendre visite à mes enfants pour des raisons de sécurité, mais grâce à S?ur Emmanuelle que je rencontrais en ville, j’avais des nouvelles. Le couvent a été dénoncé, et plusieurs fois la Gestapo est venue pour rafler les enfants, mais Sœur Anne- Marie a réussi à chaque fois à les cacher. En mai 1944, j’ai été dénoncée à mon tour. J’ai pu m’échapper et prévenir le couvent qu’une nouvelle rafle aurait lieu. " [80]

La mère supérieure fait évacuer les enfants dans une institution catholique de la région spécialisée dans le traitement des enfants sourds et muets. Lisette Fall-Lévy qui est cachée sous une fausse identité demeure au couvent des Clarisses jusqu'à la fin de la guerre. Georges Garel envoie à Moussa Abadi des assistantes sociales de l’O.S.E. pour le seconder dans sa tâche. Nicole Salon de son véritable nom Nicole Weil qui appartient au groupe O.S.E. de Marseille rejoint le réseau. Elle a la charge de conduire un groupe d’enfants à un lieu de rencontre afin de les confier à un passeur qui les conduira à l’abri en Suisse, mais elle est arrêtée et déportée sans retour. Le même sort attend Huguette Wahl, dont le nom de guerre est Odile Varlet, envoyée également par Garel et qui ne tiendra que trois semaines au sein du réseau. Suivie par les Allemands, elle est arrêtée alors qu’elle allait porter des vêtements dans une école [81]. Sauvagement battue, elle est ensuite déportée à Auschwitz. D’autres assistantes connaissent le même destin : Jeanine Francel, Yvonne Roques [82] -il s’agit probablement de leur nom dans l’action souterraine– et Christiane, une jeune femme arrêtée au bout de quarante-huit heures et qui accompagnera depuis Drancy un groupe d’enfants jusqu'à Auschwitz.

10.1. Des enfants du réseau déportés - Entre 1943 et 1944 plusieurs enfants du réseau sont arrêtés et déportés sans retour. D’après examen des noms d’enfants dans les convois, douze noms sont apparentés au Réseau Marcel [83]. Appartenant au réseau Marcel, les trois enfants Hasligman sont déportés par le convoi n° 70 du 27 mars 1944. Dans le convoi de déportation qui les conduit vers Auschwitz, se trouvent Aaron et Frymeta Hasligman nés respectivement en 1905 et 1906. L’état civil des adultes coïncide avec celui des parents reporté sur la fiche d’entrée de l’enfant Majzecz Hasligman [84].

On peut alors émettre l’hypothèse que les trois enfants n’étaient plus sous la responsabilité du réseau au moment de leur arrestation. Ils ont sans doute été arrêtés à Nice alors qu’ils étaient ensemble [85].

Les conditions de l’arrestation de Suzanne Szalek, une fillette de 7 ans, demeurent mystérieuses. Dans le convoi au départ de Drancy, aucun nom ne semble indiquer qu’elle ait été déportée avec un membre de sa famille. Elle est née le 21 mai 1937 à Anvers, son père est tchèque et sa mère hongroise. La petite fille et ses parents sont entrés en France en juillet 1942. Les parents de Suzanne ont été arrêtés au mois d’août et Suzanne recueillie en septembre 1942, a été par la suite confiée au Réseau Marcel. Elle est arrêtée à Nice le 26 janvier 1944 et déportée le 13 avril 1944 par le convoi n° 71 [86].

Lazare Steinsznaider, est un adolescent de 17 ans, né le 12 février 1927 à Paris. Trois autres de ses frères et soeurs sont également pris en charge par le réseau Marcel : Dolly née à Paris en 1929, cachée dans une famille de Juan les Pins, Joseph né en 1937, placé dans un préventorium de Grasse et Eva pour laquelle ne figure aucun renseignement. Leur père a été déporté et l’aîné de la famille Lazare est arrêté à Nice, puis déporté par le convoi n° 73 du 15 mai 1944 [87]. Lazare Steinsznaider avait été caché à Séranon, mais ce n’est pas à cet endroit qu’il est arrêté, mais à Nice dans des circonstances inconnues.

Un soir, dans le car qui la ramène de Grasse où elle était allée visiter des enfants, Odette Rosenstock aperçoit deux jeunes gens qu’elle avait placés quelque temps plus tôt au collège catholique de Séranon, un petit village perdu dans la montagne de l’arrière pays niçois. Elle croit les adolescents partis en promenade au mépris de tous les dangers. Elle se précipite vers eux quand elle voit l’un d’eux lui faire signe " Non " de la tête. Elle réalise alors que les garçons sont entourés de deux hommes en civil, probablement des agents de la Gestapo. Ils sont conduits à l’Hôtel Excelsior à Nice, pour être déportés.

Outre Lazare Steinsznaider, quatre garçons sont ainsi arrêtés et déportés. Selon les propos de Moussa Abadi, l’abbé Goens, jeune prêtre avant-gardiste d’origine belge, sous la responsabilité duquel se trouvaient les adolescents, se serait vanté dans le village à qui voulait l’entendre qu’il cachait des Juifs. Dans un entretien accordé par l’abbé à Serge Klarsfeld, une dénonciation serait à l’origine de la déportation des enfants.

Joseph Waismann né le 20 juillet 1926 à Paris, cadet d’une famille de six enfants, dont les parents sont roumains, est arrêté au presbytère Notre-Dame Séranon et déporté par le convoi n°73 du 15 mai 1944, avec Alfred Weismann né le 3 février 1929 à Beuthen en Haute Silésie de parents autrichiens [88]. Sur la liste des noms d’enfants partis par ce convoi, le nom de Waismann ne figure pas. L’adolescent a été déporté sous le nom d’Alfred Picaud [89], né le 3 février 1929 à Rabat, l’identité sous laquelle il était caché à Séranon.

Enfin sont également déportés de Séranon par le convoi n° 74 du 20 mai 1944, les frères Gartner, Joseph et Théodore originaires de Belgique et âgés respectivement de 13 et 5 ans.

10.2. Odette Rosenstock arrêtée à son tour - Odette Rosenstock et Moussa Abadi se savent surveillés. Ils ont eu plusieurs alertes. Une première fois, alors qu’ils sont à la terrasse d’un café de la rue Gioffredo, ils remarquent une femme qui les regarde avec attention. L’apercevant se diriger vers le téléphone, ils partent du café en courant. Quand ils se retournent au bout de la rue, ils aperçoivent une voiture piler devant le café et en descendre des agents de la Gestapo [90]. Un matin, à la fin du mois d’avril 1944, Odette Rosenstock est arrêtée à son domicile par trois miliciens. Ils sont arrivés à sept heures du matin dans son appartement au 6, rue Gounod qui sert de boîte aux lettres au réseau Marcel. Il n’y ont trouvé que sa carte d’assistante sociale accréditée par l’évêché. Moussa Abadi qui rentre d’un voyage à Paris, où il était allé chercher des fonds, dépose sa valise à l’hôtel, puis part retrouver Odette à l’appartement. En arrivant dans la rue Gounod, il aperçoit la concierge qui lui fait signe de partir. Il revient le soir même. Odette a été emmenée à l’Hôtel Excelsior où elle subit un premier interrogatoire, puis elle est conduite à l’Hôtel L’Hermitage où s’effectuent les interrogatoires plus poussés. Questionnée brutalement, elle prend conscience que la Gestapo est au courant des activités du réseau, mais ne veut pas compromettre Monseigneur Rémond. Elle affirme alors qu’elle a menti à l’évêque qui lui avait confié une mission d’assistante sociale, ignorant son identité réelle.

Odette Rosenstock quitte Nice pour Drancy le 2 mai 1944. A son arrivée, elle retrouve deux des enfants arrêtés à Séranon, Joseph Gartner et son jeune frère qui a eu cinq ans dans le camp de Drancy. Ils connaissent bien Mademoiselle Delatre. Elle [91] ne reste pas longtemps à Drancy et est déportée par le convoi n°74, le 20 mai 1944 en même temps que les deux frères Gartner. La Gestapo de Nice n’avait pas fini de la questionner, un télégramme est envoyé à Drancy où il est demandé de " Reprendre l’interrogatoire de la Juive Rosenstock " [92] . Moussa Abadi pense faire évader Odette de Drancy. Il se rend à Paris, contacte une amie d’Odette, mais finalement doit se contenter de lui adresser un colis de nourriture et de vêtements à Drancy. De retour à Nice, Moussa Abadi est désormais seul pour s’occuper des enfants. Il a conscience qu’il ne peut plus retourner à l’évêché ni à l’hôtel Crion, rue Pastorelli où il logeait jusqu'à l’arrestation d’Odette. La directrice d’une institution de jeunes filles lui propose de dormir dans les salles de classe de l’institution.

Mais il lui faut quitter les lieux chaque jour avant 6h30, heure à laquelle les femmes de ménage passent faire l’entretien des locaux. Dans les premiers temps, en sortant de l’institution, il erre dans les rues de Nice. Mais son signalement est connu. Il lui faut se cacher jusqu'à neuf heures le matin, afin de ne pas être repéré dans les rues désertes. Il retourne à l’évêché et demande à l’abbé Rostand de lui préparer la liste des heures des messes dans les églises et les chapelles du diocèse :

" Tous les matins, à 6 heures et demie j’étais dans une chapelle, une église. Aucun catholique pratiquant, je l’affirme, n’a jamais assisté en si peu de temps à autant de messes. " [93]

Monsieur Marcel effectue dorénavant les visites aux enfants habitués à Sylvie Delatre, et continue à trouver de l’argent pour le paiement des pensions, place les enfants qui arrivent dans le circuit :

" Commence pour Monsieur Marcel une multiplication de soi-même. Solitaire, il déploie une énergie folle et parcourt la ville de Nice et les alentours. L’arrestation le guette ! " [94]

Moussa Abadi mène à bien les activités du réseau. Monseigneur Rémond lui délègue une assistante sociale, mais Moussa Abadi la congédiera le jour même de la Libération s’étant aperçu de ses velléités de convertir les enfants. Le 15 août 1944, les Alliés débarquent sur les Plages de Provence. En 13 jours toute la région est libérée.

11) Sortir de la clandestinité

Avec l’aide de la Sixième, Moussa Abadi fait réquisitionner le local du Commissariat Général aux Questions Juives, avenue de la Victoire à Nice où il installe son bureau. Le Réseau Marcel prend le nom de Secours Clandestin et se prépare à recevoir les parents. Avant de remettre les enfants cachés à leurs parents, il tient à faire passer à chacun une visite médicale. Aussitôt les parents réfugiés dans la région de Nice et qui ont pu échapper aux arrestations se ruent pour reprendre leurs enfants :

" Ils ne pouvaient pas attendre. On voyait un peu partout des gens de bonne volonté qui allaient à Grasse, qui allaient à Cannes, qui allaient à Opio, qui allaient à la montagne et qui allaient reprendre les enfants. Je me souviens de cette maman... Il y avait trente personnes debout qui attendaient. Je porte un gosse de cinq ans, je le pousse vers elle. Elle le prend dans ses bras et elle le serre à l’étouffer, et puis elle ne dit plus rien. Le silence. Devant tout le monde. Puis elle s’était mise à hurler : " Mon mari a été déporté. Mes deux filles ont été déportées. Mon fils a été déporté. Je n’avais plus que lui et j’avais si peur de ne pas le retrouver ! " Un long silence, puis elle lève les yeux vers le ciel et elle dit : " Merci mon Dieu ! Merci mon Dieu ! Merci mon Dieu ! ". Et elle prend son enfant et continue dans les escaliers comme les acteurs des tragédies antiques : " Merci mon Dieu ! Merci mon Dieu ! " [95]

La Libération et les jours qui suivent sont pour les enfants également des instants de joie profonde. Armand Morgensztern se souvient " d’une joie comme on ne peut pas le croire. Rien jusqu'à ce jour n’a égalé cette joie. " [96] Pourtant, la méfiance persiste et il continue pendant un trimestre à s’appeler Armand Morini, inquiété par la contre offensive allemande dans les Ardennes, il redoute qu’un vent de terreur ne revienne souffler sur la région. Quand il recouvre sa véritable identité ses camarades sont stupéfaits :

" Les Juifs c’était quand même quelque chose de bizarre, parce qu’on en avait dit tant de mal que même les autres étaient contaminés, même s’ils n’étaient pas antisémites, c’était une bête curieuse sinon malfaisante, en tous cas pas comme les autres. " [97]

Pour les parents qui ont dû fuir continuellement depuis les années 1940-1941, il est parfois nécessaire de laisser encore quelque temps les enfants aux bons soins du réseau Marcel en attendant de retrouver un travail et un logement. Les familles retrouvent leurs appartements parfois avec les scellés. Dépossédées de leurs biens, un temps de transition s’impose d’autant plus si l’un des parents a été déporté. C’est le cas de la famille Amar. Edouard l’aîné est né en 1938, sa sœur Jacqueline est plus âgée de deux ans. Ils ont été cachés l’un dans une famille d’Antibes, l’autre dans une famille de Juan-les-Pins. Leur père a été déporté. La mère des deux enfants leur rend visite le 29 septembre 1944. Elle retourne avec l’aînée à Paris et laisse Edouard dans la famille qui s’est occupée de lui pendant la clandestinité. D’autres enfants connaissent la même situation. La famille Kende choisit de laisser leur enfant au Château des Petits, qui s’est replié en Ariège en raison des problèmes de ravitaillement, mais à leurs frais. La jeune Clara Kalmanovitch dont le père a été déporté est également laissée pendant un certain temps dans le Préventorium de Grasse. Sa mère a gardé avec elle sa jeune sœur à Lyon. Tandis que les parents rescapés continuent d’accourir dans les locaux de l’Avenue de la Victoire, les enfants de parents déportés restent dans leurs lieux de placement. Pour rompre l’isolement des années où il est resté caché, Armand Morgensztern est accueilli chaque dimanche à tour de rôle par deux familles qui tentent de redonner à sa vie un semblant de normalité.

Avec la libération des camps [98] , les parents déportés qui ont survécu commencent à rentrer. Les enfants qui continuent à attendre le retour de leurs parents sont peu nombreux à voir leurs espoirs devenir réalité. Maurice Brings, petit garçon né en 1941 à Nîmes a passé en raison de son jeune âge, l’occupation allemande dans une famille d’accueil à Nîmes. Sa sœur est en Suisse et sa mère se trouve à Lyon. Le père de Maurice rentre de déportation en avril 1945 et toute la famille repart vers la Belgique. Marthe cachée à l’institut Sainte-Marthe retrouvera son père, revenu des camps d’extermination. Elle rejoint en mai 1945 à Paris son oncle en attendant que son père puisse s’occuper d’elle. Marthe et son père sont les seuls à avoir survécu, sa mère et son frère ont disparu à Auschwitz.

Nombreux sont les enfants à retrouver un seul de leurs parents ou aucun d’eux. Après la déportation, il faut à leur parent survivant le temps de se réhabituer au monde et de reconstruire une nouvelle vie avec les enfants. Parmi les familles qui se reconstituent entièrement ou partiellement, il est souvent décidé de repartir vers le pays ou la ville d’origine. Quelques uns décident de quitter l’Europe. Quel avenir leur offre le vieux continent où ils ont été dépossédés de tous leurs droits y compris celui d’exister ? La Palestine incarne la possibilité de reconstruire une vie, une rupture avec l’Europe. Toute la famille Bernstein décide ainsi de faire son " alyah " en 1947. Originaires de Pologne, peut-être avaient-ils décidé avant la guerre de quitter l’Europe. Le 16 septembre 1944, les parents venus rechercher leurs deux filles préparent leur départ vers un monde qui leur semble plein de promesses. La famille Sieger opte pour la même destination. Les parents et leurs quatre enfants ont survécu à la Shoah. Les enfants ont été cachés dans des familles de Nice, Grasse et Antibes, le plus jeune est né en 1940 à Nice et l’aîné en 1936 à Trieste. Repris par leurs parents en août 1944, toute la famille embarque pour la Palestine en juin 1945. Moussa Abadi entreprend d’écrire des centaines de lettres dans différents organismes en France et à l’étranger pour tenter de retrouver de la famille aux enfants orphelins. Il multiplie les démarches sans trop de succès.

Les renseignements portés sur les fiches, quand celles-ci ont pu être complétées par les parents, permettent de retrouver des oncles, tantes, amis de la famille qui parfois les prennent en charge. Des enfants émigrent outre-atlantique ; Julien et Georges Engel étaient originaires de Belgique. Arrivés en France en 1941, leurs parents furent déportés à la frontière suisse en 1942. Orphelins au lendemain de la guerre, ils partent rejoindre leur tante à New-York par un convoi de l’O.S.E. en juin 1945. Recueillis par une famille d’Opio, Léo et Willy Kolinski d’origine allemande, nés respectivement en 1931 et 1930 à Francfort, partent également pour les Etats-Unis.

D’autres enfants rejoignent à Paris ou en province un oncle, une tante, qu’ils connaissent plus ou moins bien. Parmi ces enfants, Lisette Fall-Lévy qui rejoint après deux années au couvent des Clarisses, sa tante, Madame Biret. Les enfants sans famille sont placés dans des maisons de l’O.S.E. S’ajoutent ceux de familles devenues par la guerre monoparentales et dont la santé du parent restant ne permet pas d’assumer la charge. Telle est la situation des enfants Steinsznaider Joseph et Dolly. Ils ont perdu à Auschwitz leur père et leur frère qui faisait partie des adolescents arrêtés à Séranon. Leur mère étant malade, ils sont confiés à une maison d’enfants de l’O.S.E. Cette situation a été connue par de nombreux enfants dont le seul parent survivant était rescapé des camps de la mort.

Parmi les enfants que le réseau Marcel a continué à suivre, quelques uns sont restés dans leur famille d’accueil de la guerre. Ces cas sont toutefois exceptionnels. Lucienne Toppor a été placée dans une famille d’Antibes. Née en 1939 à Paris, ses parents d’origine polonaise ont été déportés sans retour. Le 28 septembre 1944, elle reçoit la visite de cousins. Le 8 octobre 1944, elle gagne Paris avec sa famille d’accueil. En accord avec l’oncle de la fillette, il est décidé que l’enfant grandira au sein de la famille d’accueil qui prend soin d’elle depuis l’âge de 4 ans. Flora Hillel, née en 1935 à San Rémo a été confiée à une famille de Mouans-Sartoux. Son père est décédé et sa mère a été déportée de Nice en octobre 1943. Il ne reste de sa famille qu’un oncle déjà établi en Palestine. Après consultation de son oncle, la famille d’accueil gardera la fillette. Les séparations d’avec la famille d’accueil sont souvent vécues douloureusement tant par la famille que par l’enfant qui s’apprête à être à nouveau déraciné pour être confié à un oncle ou une tante.

Situation familiale des enfants à la Libération Nbre
Deux parents déportés 23
Un parent déporté 34
Deux parents rescapés 41
Tableau 6 : Situation familiale des enfants à la Libération
Devenir des enfants à l’issue de la guerre Nbre
Retour au pays d’origine 7
Belgique 5
Tchécoslovaquie 2
Retour en région parisienne avec leurs parents 11
Retour dans leurs régions d’origine (autres que Paris) 6
Emigration aux Etats-Unis 5
Emigration en Palestine 7
Repris par des parents ou des amis de la famille 8
Restés dans la famille d’accueil 3
Maisons de l’OS.E. 4
Tableau 7 : Le devenir des enfants après la guerre

Moussa Abadi devient tuteur ou conseil de famille d’une vingtaine d’enfants dont les parents ont été déportés et que personne n’est venu réclamer. En plus des enfants, dont certains entrent dans les effectifs des tableaux précédents, on peut recenser dix-sept enfants supplémentaires dont soit un parent ou les deux ont été déportés. Il semblerait d’après le nombre d’enfants dont nous connaissons la situation que ceux qui ont perdu un parent ou les deux constituent une majorité.

12) Du réseau Marcel à l'O.S.E.

Odette Rosenstock et Moussa Abadi ont permis à plus de 500 enfants de survivre à l’occupation allemande à Nice. Après avoir effectué de nombreuses démarches pour tenter de retrouver de la famille aux enfants qui n’en avaient plus, Moussa Abadi décida de passer le relais à l’O.S.E. Le réseau Marcel par l’ampleur de sa tâche apparaît comme une entreprise considérable dont certains maillons demeurent inconnus. L’étude de ce réseau révèle ainsi les limites et les difficultés de l’écriture d’une histoire qui s’accomplit sur le terrain glissant de la mémoire individuelle. Toutefois, le dépouillement des témoignages [99] conservés au C.D.J.C. sur l’action des différentes organisations et personnalités dans la région niçoise, sous l’occupation allemande, ainsi que des avis de recherche des bulletins de l’association Les Enfants Cachés , ont permis de rétablir des connexions qui étaient tombées dans l’oubli depuis de nombreuses années.

En effet, Odette et Moussa Abadi ne furent pas seuls dans leur entreprise et même si la réussite de cette organisation a reposé sur leur courage et leur lucidité, ils reçurent le soutien de nombreux mouvements et personnalités :

Combien d’autres personnalités oubliées leur ont apporté leur soutien ? Les bulletins de l’association des Enfants Cachés ont permis au travers des avis de recherche, de lever un certain nombre d’interrogations et de générer de nouvelles hypothèses. L’avis de recherche n° 86 lancé par Yad Vashem [100] et publié dans le Bulletin n° 9 indiquait que le Pasteur Evrard avait hébergé des familles juives à Nice et dans les villes alentours et que ses deux fils Louis et David convoyèrent à plusieurs reprises des enfants juifs munis de faux papiers en tenue de scout avec le drapeau du Secours Suisse, au Chambon-sur-Lignon. Des enfants du réseau firent-ils partie de ces groupes ? [101] Un autre avis de recherche indiquait que Judith, Edith et Alex Stern avaient été cachés au sein de la famille Baldy à Nice.

[102] Sabine Zeitoun a relevé qu’un couvent de Jésuites de Nice dirigé par le Révérend Père Brémont acceptait que le parloir et la bibliothèque soient utilisés pour l’envoi de fausses cartes d’identité et que son établissement religieux serve de lieu de transit pour des enfants et des adolescents avant leur départ vers la Suisse. Certains enfants du réseaux sont-ils passé par cette filière ? De nombreuses zones d’ombre sont ainsi levées au fur et à mesure que les témoins et les anciens enfants cachés se manifestent.

Cette étude nous a également permis de souligner la variété des situations connues par les Juifs réfugiés à Nice et des liens de solidarité qui ont pu se tisser entre Juifs et Chrétiens dans la lutte contre le nazisme et de constater que les institutions catholiques et protestantes qui ont participé au sauvetage des enfants avec le réseau Marcel étaient pour beaucoup impliquées dans plusieurs actions de secours aux enfants ou aux adultes juifs. Il convient également de dresser un bilan humain résultant de l’action du réseau Marcel. Les cinq assistantes sociales, dont quatre envoyées par l’O.S.E, qui secondèrent Odette et Moussa Abadi furent arrêtées et périrent en déportation. Odette Rosenstock, déportée à Birkenau puis à Bergen-Belsen, survécut. Parmi les enfants cachés, dix furent déportés. Seuls cinq étaient sous la responsabilité du couple. Leur arrestation témoigne de l’ampleur de la politique de persécution conduite par les Nazis. La déportation de ces enfants met également en évidence, la difficulté d’évaluer le nombre d’enfants intégrés dans les circuits clandestins et qui furent déportés.

Le réseau Marcel fut une réussite. Ces sauvetages d’enfants qui furent vécus dans l’affolement le plus complet et où la part d’improvisation fut grande, demeurent une réalisation spectaculaire dans le contexte qui fut celui de Nice pendant les années 1943 et 1944.

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en savoir plus

note du webmestre

France 2 a diffusé, le 18 juillet 2004 une émission conjointe des magazines catholique ("Le jour du Seigneur") et juif ("La source de vie") sur le Réseau Marcel..

On peut visionner une vidéo de cette émission à l'adresse suivante : www.lejourduseigneur.com

"Le réseau Marcel, histoire d'un réseau juif clandestin" - Documentaire de 52mn, format Betacam Digital Couleur. Un film de Maria Landau et Jacqueline Sigaar. Réalisé pat Jacqueline Sigaar, produit par Viviane Dahan. Co-production Les Productrices France3 Méditerranée. Témoignages de 1995.

France 3 a rediffusé ce documentaire dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 février 2005, à 0h30.

Sommaire - Introduction - I Enfants cachés, enfants en danger - II Les organisations juives - III Deux organisations laïques - IV Juifs et chrétiens - V Le réseau Marcel dans la région de Nice - VI La Maison de Sèvres - VII Conclusion - VIII Bibliographie - Iconographie


[1] L’étude de ce réseau est fondée principalement sur cinq sources : le dépouillement exhaustif de 168 fiches subsistantes concernant les enfants cachés par Odette et Moussa ABADI entre 1943 et 1944, l’article de Betty KALUSKI-SAVILLE dans le bulletin n° 8 de l’association Les Enfants Cachés, les témoignages de quelques anciens enfants cachés, trois articles de Morvan LEBESQUE publiés dans le journal Carrefour en 1948, enfin, le témoignage de Odette et Moussa ABADI réalisé par Annette WIEVIORKA pour la fondation Fortunoff de l’Université de Yale. Une copie de ce témoignage d’une durée totale de 7 heures est consultable aux Archives Nationales, au C.A.R.A.N, 11, rue des Quatre-Fils à Paris. Ce témoignage audiovisuel comprend quatre cassettes. Les deux premières sont deux interviews séparées d’Odette et Moussa ABADI où ils relatent les faits marquants de leur vie avant la guerre et l’itinéraire qui les a conduits à Nice. Annette WIEVIORKA les a ensuite interviewés ensemble pour qu’ils évoquent les événements concernant la période de la guerre et l’histoire du réseau. Les deux sauveurs d’enfants sont restés silencieux pendant de longues années. Après une première et unique interview accordée à Morvan LEBESQUE en 1948 pour le journalCarrefour, Odette et Moussa ABADI pourtant maintes fois sollicités, avaient toujours refusé de déposer leur témoignage n’estimant pas utile d’ajouter leur histoire à de nombreuses autres. Moussa et Odette ABADI ont consenti à accorder, pour la première fois, un entretien à Betty KALUSKI- SAVILLE des Enfants Cachés en 1994 puis à l’association Aloumin équivalent de l’association française en Israël.

Moussa ABADI a relaté ainsi les circonstances de cette rencontre avec Betty SAVILLE :

" Je venais de publier un livre sur mon ghetto, un journaliste de Radio-J m’interviewa et au cours de l’interview il me dit : " Je crois que vous avez caché des enfants juifs pendant la guerre. Je crois que je lui ai répondu quelque chose comme : " Oui, c’est ça. " Et le hasard, le miracle a voulu qu’il y eût l’écoute d’une femme qui s’appelle Betty KALUSKI-SAVILLE, qui a entendu, qui a dressé l’oreille, qui nous a écrit. Nous l’avons vue, nous l’avons aimée. Nous avons travaillé pour elle et avec elle. "

Trois éléments les ont incités à témoigner : dans un premier temps, leur témoignage s’inscrivait en réaction à la montée du Négationnisme, puis ils ont eu la volonté de laisser derrière eux une trace de leur action pendant la guerre. Enfin, leur témoignage se justifiait par le fait que les anciens enfants cachés s’étaient retrouvés et que pour un grand nombre d’entre eux, ils n’avaient pas conservé de souvenirs précis sur les conditions dans lesquelles s’était effectué leur placement. Odette et Moussa ABADI ont ainsi donné une interview en avril 1995 -sur l’initiative de Julien Engel ancien enfant caché du réseau Marcel qui vit aujourd’hui à Washington- pour la fondation Fortunoff de l’Université de Yale. Moussa ABADI a par ailleurs raconté l’histoire de son réseau lors du Colloque des Enfants Cachés du 21 mai 1995 au Palais du Luxembourg et dont les actes ont été publiés par l’association. Parmi les archives qui concernent les enfants, il existe 139 fiches d’entrée et 39 fiches de regroupement familial pour les enfants qui ont été repris après la guerre par leur famille, des parents plus éloignés ou des amis de la famille. Pour trois des enfants on ne possède qu’une fiche de regroupement familial. Ces fiches concernent donc au total 142 enfants. Si l’on ajoute la liste des 41 noms sans fiches et la liste effectuée par Odette ABADI après la guerre récapitulant l’itinéraire et le devenir des enfants, on a connaissance du vécu –avec des informations plus ou moins précises– de 181 enfants sur les 527 sauvés -soit moins d’un tiers des enfants -. Quelques uns des enfants ont une fiche d’entrée et une fiche de sortie, d’autres l’une des deux. Sur deux fiches retrouvées est portée la mention " déportation ".

[2] Moussa ABADI a publié un livre sur son ghetto natal, intitulé La Reine et le Calligraphe, Mes Juifs de Damas, Editions Christian de Bartillat, Paris, 1993, 253 pp, pour lequel il a reçu en 1994 le Prix de la Nouvelle de l’Académie Française.

[3] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. p 57.

[4] Idem

[5] A.N. 8 AV 269, Témoignage de Odette ABADI réalisé par Annette WIEVIORKA, 18/04/95, 2ème cassette.

[6] D’après Joseph BILLING, Le Commissariat Général aux Questions Juives , Editions du Centre, Paris 1955-1960, p 208. (Tome II).

[7] Voir Article de Robert FRANK, Les Juifs en France sous l’Occupation italienne Les Enfants Cachés, bulletin n° 18, mars 1997, pp 11-12.

[8] C.D.J.C. D.L.X.I.I.-7, Fonds Anny LATOUR, Rapport de Georges GAREL , pp 26-29.

[9] AN 8 AV 269 Témoignage de Odette et Moussa ABADI réalisé par Annette WIEVIORKA, 18 avril 1995, Troisième cassette.

[10] Cf article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Le réseau de sauvetage ABADI, Bulletin de l’Association des Enfants Cachés, Bulletin n° 8, revu et corrigé en mai 1997.

[11] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe, édité par l’Association des Enfants Cachés, Paris, 1995, 140 pp.

[12] Ce département correspond aujourd’hui aux Alpes de Haute-Provence.

[13] Voir l’article de Liliane PICIOTTO-FARGION, responsable du Centre de Documentation juive contemporaine de Milan, le Fascisme italien et la " Question Juive ", Le Monde Juif, Revue d’Histoire de la Shoah, n° 149, avril 1993, pp 90-94.

[14] Voir les articles de Marie-Anne MATARD-BONUCCI, L’antisémitisme en Italie, les discordances entre la mémoire et l’histoire, Hérodote, revue de géographie et de géopolitique, n° 89, deuxième trimestre 1998 pp 217-238 et Italie : fascisme et antisémitisme d’état, Revue Histoire, Hors Série n° 3, octobre 1998, pp 52-55. Selon Marie-Anne MATARD-BONUCCI, la théorie de l’exception italienne a longtemps persisté :

" En France, l’attitude protectrice, bien réelle des autorités italiennes envers les Juifs se trouvant dans leur zone d’occupation fit oublier les discriminations dont les Juifs furent victimes sur le sol italien, certains historiens opposant un peu rapidement le fascisme à Vichy pour mieux souligner l’abjection du régime pétainiste. " (Extrait de la revue Hérodote n° 89, p 220-221).

[15] Voir article de Serge KLARSFELD, Le Jeu de Vichy entre les Italiens et les Allemands, Le Monde Juif, Revue d’Histoire de la Shoah, n° 149, avril 1993, pp 74-84.

[16] Extrait de l’article de Robert FRANK, Les Juifs en France sous l’occupation italienne, Les Enfants Cachés, bulletin n° 18, mars 1997, pp 11-12.

[17] D’après Serge KLASFELD, Les transferts de Juifs dans la région de Nice vers le camp de Drancy en vue de leur déportation, édité et publié par l’Association les Fils et Filles des Déportés Juifs de France, septembre 1993, 136 pp. Voir en particulier pp 41-43.

[18] Article de Serge KLARSFELD, Le Jeu de Vichy entre les Italiens et les Allemands, art. cit. pp 74-84.

[19] Extrait de Serge KLASFELD, Les transferts de Juifs dans la région de Nice vers le camp de Drancy en vue de leur déportation , op. cit. p 40.

[20] Selon André KASPI, Les Juifs pendant l’occupation, Editions du Seuil, Paris, 1991, 421 p, pp 293, les Juifs sont au nombre de 800 à Saint-Gervais, 700 à Megève et 300 dans les autres communes.

[21] Il s’agit des petites unités SS et de la police allemande. Elles sont destinées à suivre les troupes allemandes dans les territoires occupés et d’en exterminer les populations juives. C.f. Bulletin n° 8 des Enfants Cachés , op. cit.

[22] Interview de Odette et Moussa ABADI in Bulletin n°8 des Enfants Cachés , op cit. 47.

[23] La biographie de Monseigneur Paul REMOND a été écrite par Ralph SCHOR, Professeur à l’Université de Nice, Un évêque dans le siècle ; Monseigneur Paul Rémond (1873-1963), Editions Serre, Nice. Monseigneur REMOND était le grand oncle de René REMOND qui longtemps a ignoré quel fut le rôle de ce dernier sous l’occupation à Nice.

[24] Michèle COINTET, L’Eglise sous Vichy 1940-1945, la repentance en question , Editions Perrin, 1998, 404 pp, p 21.

[25] Asher COHEN, Persécutions et Sauvetages, Juifs et Français sous l’Occupation et sous Vichy, Editions Cerf, Paris, 1993, 524 pp, voir préface de René REMOND, pp 1-9.

[26] Ralph SCHOR, Un évêque dans le siècle ; Monseigneur Paul Rémond (1873-1963) , Editions Serre, op cit. p 117.

[27] Idem p 116-117

[28] Interview de Moussa ABADI in, article de Morvan LEVESQUE, Les Chasseurs d’Enfants, journal Carrefour , mardi 16 novembre 1948.

[29] Suite de l’interview de Moussa ABADI in, article de Morvan LEVESQUE, La chasse aux enfants, journal Carrefour , mardi 23 novembre 1948.

[30] C.D.J.C. CCXVIII Témoignage du Pasteur Edmond EVRARD recueilli par Lazare KELBERINE du Centre de Documentation Juive sur la Persécution nazie à Nice, le 28 mars 1945.

[31] C.D.J.C. DLXXII-7, Fonds Anny LATOUR, Témoignage de Georges GAREL

[32] Idem

[33] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. pp 49-50.

[34] C.D.J.C. CCVVIII-22 Témoignage d’Angelo DONATI, cité également par Serge KLARSFELD, Vichy-Auschwitz, le rôle de Vichy dans la Solution Finale de la Question Juive en France, 1943-1944, (Tome II), Editions Fayard, Paris, 1985, 409 pp. pp 103-104.

[35] Allocution de Moussa ABADI, Acte du Colloque des Enfants Cachés, op. cit.

[36] D’après les 139 fiches des enfants, on a pu établir une liste de 20 hôtels où les familles résidaient : Hôtel Dante, rue Ficero, Hôtel de Paris, Hôtel de Mulhouse, 48 rue Chauvain, Hôtel Colbert, Hôtel Longchamp, Hôtel Saint Pierre, Hôtel Avenida et Hôtel P.L.M. tous deux avenue de la Victoire, Hôtel Plata, rue d’Italie, Hôtel Rochambault, 27 avenue de Thiers, Hôtel Prior, quartier de Saint Lazare à Digne, Hôtel Mont-Blanc, Hôtel Monsigny, Hôtel Marengo, Hôtel Lugano, 11 rue Michelet, Palais Saint-Honoré, 2 rue Saint-Honoré et " Le Celtic ", avenue Massena.

[37] Jean CHAIGNEAU était préfet de l’Indre et Loire avant d’être muté à Nice. Arrêté le 14 mai 1944, il est déporté en Allemagne au camp d’Eisenberg d’où il sera rapatrié le 11 mai 1945.

[38] Allocution de Moussa ABADI, Acte du Colloque des Enfants Cachés, op. cit. p 48

[39] Extrait de l’article de Betty KALUSKI-SAVILLE, bulletin n° 8, op. cit.

[40] Article de Morvan LEVESQUE, La Chasse aux Enfants, journal Carrefour, mardi 23 novembre 1948

[41] C.D.J.C. DLXI-29, Fonds Anny LATOUR, Témoignage de Henry POHORYLES.

[42] C.D.J.C. CCXV-16, Déposition de Serge KARWASSER pour le Centre de Documentation sur la Persécution à Nice, en date du 27 juillet 1945.

[43] Maurice CACHOUD un des responsables du Mouvement de Jeunesse Sioniste était en contact avec la Résistance locale et notamment le Mouvement de Libération Nationale. Il rejoint le Mouvement de Jeunesse Sioniste et la Sixième à Paris en 1944 pour le laboratoire des faux papiers. - Voir chapitre II-

[44] C.D.J.C. CCXVIII-87 Témoignage du Pasteur Edmond EVRARD recueilli par Lazare KELBERINE du Centre de Documentation Juive sur la Persécution nazie à Nice, le 28 mars 1945.

[45] Peut-être s’agit-il également de Maurice CACHOUD.

[46] Journal de Berlin

[47] C.D.J.C. CCXVIII-85 Témoignage du Pasteur GAGNIER recueilli par Lazare KELBERINE du Centre de Documentation Juive sur la Persécution nazie à Nice, le 18 mai 1945.

[48] Idem

[49] AN 8 AV 270, Témoignage de Odette et Moussa ABADI réalisé par Annette WIEVIORKA, 18 avril 1995, quatrième cassette.

[50] Né le 22 mai 1942 à Limoges, sa mère est décédée.

[51] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. p 49.

[52] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. p 49.

[53] Témoignage de Armand MORGENSZTERN , réalisé à Paris, le 2 juillet 1997.

[54] Les fiches qui avaient été dissimulées dans le jardin du comptable de l’évêché, enterrées par petits lots et au préalable entourées de papier ont été totalement détruites par l’humidité. Par ailleurs, malgré les recherches entreprises par Odette et Moussa ABADI, les archives de la Croix-Rouge ne semblent pas avoir trace des fiches qui leur auraient été remises. Le lot le plus complet dont une centaine de fiches subsiste est celui qui avait été conservé à l’évêché même, dans les dossiers de Monseigneur REMOND. Le réseau Marcel a connu le lot des autres circuits souterrains ; le camouflage des archives dont dépendait la sécurité des enfants en cas de démantèlement par la Gestapo était une nécessité impérieuse et n’allait pas sans poser de problèmes. Ainsi, certaines archives de cette époque périrent dans les caves ou furent enterrées pour ne pas être découvertes, d’où parfois la difficulté de retrouver certains enfants après la guerre.

[55] Maurice BRENNER était également le banquier de la Sixième et du M.J.S. en zone occupée. -Voir Partie II, chapitre I-

[56] Voir C.D.J.C. CCXVII-7, Mémorandum récapitulant les sources de financement des organisations juives de Nice par les oeuvres américaines.

[57] Voir article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Le Réseau de sauvetage ABADI, art. cit.

[58] A partir des fiches signalétiques des enfants, des fiches de regroupement familial et de la liasse concernant quelques enfants du réseau et constituée par Odette ABADI probablement au moment de la remise des enfants à l’O.S.E, on peut reconstituer avec plus ou moins d’éléments l’itinéraire de 89 garçons et 88 filles cachés par Odette et Moussa ABADI entre 1943 et 1944.

[59] AN 8 AV 270, Témoignage de Odette et Moussa ABADI réalisé par Annette WIEVIORKA , 18 avril 1995, quatrième cassette.

[60] On ignore la filière par laquelle Albert a été sorti du camp. Sa mère qui se trouvait également à Gurs n’a pas été déportée, il est donc possible que l’enfant et/ou sa mère se soient enfuis -sans doute avec l’aide d’une des organisations présentes dans les camp de la zone sud- ou aient été libérés.

[61] Nous avons connaissance, à partir du dépouillement des archives conservées par les ABADI, de la situation de 168 enfants, ce qui constitue un échantillon réduit par rapport au nombre total d’enfants pris en charge. Ce nombre fluctue selon les données exploitées, puisqu’à partir d’archives annexes consultées au C.D.J.C. ou des avis de recherche des bulletins de l’association Les Enfants Cachés nous avons pu compléter soit les renseignements relatifs à certains enfants, soit ajouter des enfants aux listes initiales.

[62] C.D.J.C. CMLa/14. Documents autour de la remise de la Médaille des Justes à Sœur Anne-Marie, Sœur Emmanuelle, Sœur Rose le 24/03/1992 : Témoignages de Hélène RAPPAPORT, Glika RAPPAPORT-ZALEMAN et Raphaël RAPPAPORT et Lisette FALL-LEVY.

[63] Dans le Bulletin n° 19, juin 1997 des Enfants Cachés, Sœur Marie-Sophie PLAGNES lançait un avis de recherches (n° 285) afin de retrouver d’anciennes pensionnaires clandestines de l’institut.

[64] Entretien avec Marthe KUPERMINC, mai 1997

[65] Entretien avec Jeannette WOLGUST, Noisy-le-Sec, mai 1997.

[66] Nombreux furent les enfants à passer des examens sous de fausses identités. Au lendemain de la guerre, Moussa ABADI dut multiplier les démarches pour prouver leur état civil.

[67] C.D.J.C. CCXVIII-91 a, Témoignage de Sœur Marie recueilli par Lazare KELBERINE du Centre de Documentation Juive sur la Persécution nazie à Nice, le 27 juillet 1945.

[68] Cf. Carte ci-contre de la région de Nice.

[69] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. p 50.

[70] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. pp 49-50.

[71] Témoignage de Armand MORGENSZTERN réalisé par Edith SOREL pour la Fondation Spielberg.

[72] AN 8 AV 270, Témoignage de Odette et Moussa ABADI réalisé par Annette WIEVIORKA, le 18 avril 1995, quatrième cassette.

[73] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. p 54.

[74] Témoignage de Armand MORGENSZTERN réalisé par Edith SOREL pour la Fondation Spielberg, Paris, le 12 juin 1996.

[75] C.D.J.C. CMLa/14, Témoignage de Hélène RAPPAPORT-ZALEMAN.

[76]Témoignage de Armand Morgensztern réalisé par Edith SOREL pour la Fondation SPIELBERG, Paris, le 12 juin 1996.

[77] Joseph JOFFO est l’auteur de Un sac de billes, Editions J-C Lattès, Paris, 1973, 253 pp, récit autobiographique dans lequel il relate comment il fut sauvé par Monseigneur REMOND.

[78] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. p 54.

[79] Il s’agit des enfants du réseau Marcel qui venaient subir les séances de " dépersonnalisation ".

[80] C.D.J.C. CMLa/14, Témoignage de Hélène RAPPAPORT.

[81] D’après Moussa ABADI, AN 8 AV 270, Témoignage de Odette et Moussa ABADI réalisé par Annette WIEVIORKA , 18avril 1995, quatrième cassette.

[82] D’après l’article de Morvan LEVESQUE, journal Carrefour , 1948.

[83] On peut émettre quelques hypothèses quant à la déportation de certains enfants du réseau Marcel en confrontant les archives du réseau Marcel aux listes des enfants déportés dans Le Mémorial de la Déportation des enfants juifs de France. Dans le convoi n° 66 du 20 janvier 1944, figure une fillette née le 23 juillet 1935 à Saint-Mandé et qui pourrait avoir un lien de parenté avec Serge BERCU, né le 3 septembre 1930 et dont le père a été également déporté. Mais, le manque d’informations concernant Serge BERCU ne permet pas de définir si la jeune Anne-Marie est sa sœur, sa cousine, si elle a été prise en charge ou non par le réseau Marcel ou encore si elle était sous la responsabilité du circuit au moment de son arrestation. Dans le convoi n° 69 du 7 mars 1944 est déporté Maurice STUMMER. Sa sœur est prise en charge par le réseau, cachée sous le nom de STROUX Nella à la colonie de vacances de Nazareth, et dans une institution de Nice. Toute la famille originaire de Pologne n’est arrivée en France qu’au début de la guerre. Nella est née le 24 mars 1930 et sa fiche indique qu’elle a un frère dénommé Maurice né le 4 juillet 1929. La date de naissance de Maurice STUMMER sur la liste des enfants déportés par le convoi n° 69 est le 14 juillet 1928, mais cette divergence au niveau de la date de naissance relève vraisemblablement d’une erreur de typographie ; les noms, prénoms et dernière adresse connue étant identiques. Maurice STUMMER est parti en même temps que Brosnil STUMMER , probablement apparenté au garçon, ce qui indiquerait qu’il n’était pas caché au moment de son arrestation.

[84] A un détail près : pour la mère, sur l’état civil qui figure dans le Mémorial de La Déportation des Juifs de France, le prénom est Frymeta, tandis que sur la fiche d’entrée de Maurice HASLIGMAN on trouve celui de Fanny. Le prénom de la mère des enfants aura sans doute été francisé, à moins qu’il ne s’agisse d’une tante -peu probable-. De même dans le Mémorial, le nom est HAJLIGMAN tandis que sur les fiches figure HASLIGMAN, ce qui indique la transcription différente d’un nom de consonance allemande.

[85] Etant donné la différence d’âge entre les trois enfants, le fait qu’il y ait deux filles et un garçon, il est pratiquement impossible qu’ils aient été cachés au même endroit. Les difficultés de ravitaillement excluent également qu’une famille les ait tous accueillis. Les enfants ne pouvaient être dans un établissement religieux, étant donné que ceux- ci réprouvent la mixité. Si les enfants avaient été arrêtés alors qu’ils étaient cachés, cela aurait supposé un démantèlement important du réseau, compte tenu du cloisonnement des structures, et du fait que les parents ignoraient où se trouvaient les enfants, cette hypothèse est à rejeter. Il est à noter que Maurice STUMMER, Marzjez HASLIGMAN sont des adolescents, qui à 14 ans étaient en âge de pouvoir quitter l’institution où ils étaient cachés et aller retrouver leurs parents. Il est arrivé dans certains cas que des adolescents qui ne se plaisaient pas dans une institution décident d’aller voir leurs parents de leur propre chef. Si on ne peut émettre que des hypothèses sur les conditions de l’arrestation de la famille HASLIGMAN et de Maurice STUMMER, on peut pratiquement assurer qu’il ne s’agit pas d’arrestations à leurs lieux de camouflage, car dans ce cas le nombre total d’arrestations d’enfants sur l’ensemble des structures d’accueil aurait été beaucoup plus important. Il n’en demeure pas moins que ces arrestations reflètent le climat de terreur instauré par les Allemands sur la région de Nice et la difficulté de survivre pour les Juifs.

[86] Serge KLARSFELD, Mémorial de la déportation des enfants juifs de France, op. cit. p 256.

[87] Idem p 262

[88] Serge KLARSFELD, Mémorial de la déportation des enfants juifs de France, op. cit p 262

[89] Voir la fiche d’entrée de l’adolescent, reproduite ci-après.

[90] A.N. 8AV270 Témoignage de Odette et Moussa ABADI, réalisé par Annette WIEVIORKA , 18 avril 1995, Troisième cassette

[91] Serge KLARSFELD, Mémorial de la Déportation des Juifs de France, Edité par Serge KLARFELD , 1978

[92] C.D.J.C. XLVI a-46 correspondance entre la Gestapo de Nice et Paris. Pièces d’archives reproduites ci-après.

[93] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe, op. cit. p 53

[94] Article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Le réseau de sauvetage Abadi, Bulletin n° 8 des Enfants Cachés, article remis à jour en mai 1997

[95] Allocution de Moussa ABADI, in Actes du Colloque des Enfants Cachés au Sénat pp 43-60, Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe , op. cit. p 54

[96]Témoignage de Armand MORGENSZTERN réalisé par Edith SOREL pour la Fondation Spielberg, Paris, le 12 juin 1996

[97] Idem

[98] Le 28 septembre 1944 est libéré le camp de Lublin Majdanek, Auschwitz est libéré par les avant-gardes de l’Armée Rouge le 27 janvier 1945, Buchenwald et Dora sont libérés le 11 avril 1945, suivent ensuite les libérations de Bergen-Belsen le 15 avril 1945 -le camp est mis en quarantaine, Dachau et Ravensbruck les 28 et 29 avril 1945. Le retour des déportés s’échelonne entre février et juin 1945. Voir La libération des camps et le retour des déportés, sous la direction de Marie-Anne MATARD-BONUCCI et Edouard LYNCH, Editions Complexe, Bruxelles, 1995, 285 pp.

[99] Ce fonds provient de nombreux témoignages recueillis par le Centre de Documentation sur la Persécution nazie à Nice.

[100] Le Yad Vashem est une institution israélienne qui a pour vocation de retrouver les " Justes ", non juifs qui ont sauvé des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

[101] Avis de recherche n° 40, Bulletin n° 10, mars 1995

[102] Sabine ZEITOUN, Ces enfants qu’il fallait sauver, Editions Albin Michel, Paris, 1989, 288 pp. 242

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