Selon Serge Klarsfeld, 10 147 enfants de moins de 18 ans ont été déportés de France. Si on ajoute à ce chiffre les enfants décédés dans les camps d’internement, on arrive à un total de 11 600 enfants. Parmi les enfants déportés durant le second semestre de l’année 1942, Lucien Lazare dénombre 1 032 enfants juifs de moins de 6 ans, 2 557 enfants de 6 à 12 ans, et 2 464 enfants de 13 à 17 ans[1].
Sur une population juive en France estimée à 360 000 personnes en 1940, le nombre denfants a été estimé à 84 000. Parmi eux, Lucien Lazare[2] estime que 62 000 sont restés avec leurs parents ou ont été confiés par eux à des institutions ou des familles non- juives. 8 000 à 10 000 des enfants ont été sauvés par des organisations juives qui leur ont permis d’émigrer vers les Etats-Unis ou la Suisse, mais surtout les ont confiés à des non- Juifs.
Le rôle occupé par l’Union Générale des Israélites de France pendant la Seconde Guerre mondiale ne cesse encore aujourd’hui de diviser les historiens, et demeure un sujet brûlant.[3] Créée par la loi du 29 novembre 1941, la mission officielle de l’U.G.I.F., placée sous la tutelle du Commissariat Général aux Questions juives, est d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics, notamment pour les questions d’assistance, de prévoyance et de reclassement. L’U.G.I.F.. a donc un rôle d’interface entre les Juifs et l’occupant en zone nord, et entre les Juifs et le gouvernement de Vichy dans les deux zones. Elle est instituée à l’initiative des nazis, à l’image des Judenrats - Conseils Juifs - des pays occupés en Europe et s’avère rapidement destinée à servir les desseins de l’occupant.
En effet, la création dune telle institution na rien dexceptionnel, puisque lU.G.I.F.. possède des organisations jumelles dans tous les pays occupés par les nazis, que ce soit le Judenrat de Varsovie en Pologne - dont le premier président se suicide le 23 juillet 1942 au moment où il comprend que le Conseil facilite les projets d’extermination des nazis -, le Joodshe Raad de Hollande ou l’Association des Juifs de Belgique qui siège à Bruxelles. En France, comme le souligne Pierre Vidal-Naquet[4] , la particularité de l’U.G.I.F.. est que sa création fut précédée de longues négociations entre les notables Juifs et Xavier Vallat , et que la naissance de cette institution fut officialisée par un texte français publié au Journal Officiel le 2 décembre 1941. Étrange " établissement public ", elle fonctionne jusqu'à la Libération, sur la base d’un financement strictement privé. C’est elle qui, par exemple, est chargée de mettre en recouvrement l’amende d’un milliard de francs réclamée à la communauté juive par les Allemands, au plus tard pour le 1er janvier 1941[5].
Tous les Juifs sont obligatoirement affiliés à lU.G.I.F.. et toutes les associations juives sont dissoutes. Elles constituent 7 directions de lU.G.I.F.[6] : - 1ère direction : L’aide sociale - 2ème direction : L’O.R.T. - 3ème direction : O.S.E. - 4ème direction : les E.I.F. - 5ème direction : Le C.A.R. Fédération Commission des Camps - 6ème direction : L’H.I.C.E.M. - 7ème direction : L’Alliance Israélite Universelle
Les dirigeants de lU.G.I.F. sont tous des notables israélites, cest-à- dire des Juifs titulaires de la nationalité française de longue date. Il semble que nombre de dirigeants de lU.G.I.F. se soient crus à labri parce quils étaient français. Pourtant, la plupart des dirigeants de lU.G.I.F.. ont connu le sort de leurs coreligionnaires immigrés et ont péri dans les camps dextermination. Tenter de retracer les activités de lU.G.I.F. au niveau du sauvetage des enfants et d’en délimiter la ligne de conduite est une entreprise périlleuse. Sa mission première est l’assistance aux populations juives. C’est cette raison qui aurait motivé nombre de dirigeants à accepter d’occuper des postes où ils devaient collaborer avec la Gestapo ou Vichy. Dautre part, la façade de lU.G.I.F.. a servi de couverture à de nombreux membres dorganisations de la résistance juive, mais pratiquement toujours à linsu des dirigeants de cette institution qui refusèrent de se compromettre dans des actions illégales.
De plus, par son rôle dassistance, et notamment sur le plan financier, lU.G.I.F.. a permis à nombre de familles de survivre, et beaucoup de Juifs lui ont été redevables pour cela. Il nen demeure pas moins que le rôle joué par lU.G.I.F. au niveau des enfants fut lourd de conséquences et pose la question de sa responsabilité dans les arrestations des enfants de ses centres dans les années 1943-1944, de l’ambiguïté du rôle de l’U.G.I.F. face aux enfants juifs placés dans ses établissements. Si toutes les organisations juives sont administrativement rattachées à lU.G.I.F., celle-ci possède ses propres maisons d’enfants, créées les 16 et 17 juillet 1942 au moment de la Rafle du Vel d’Hiv. L’U.G.I.F.. a la charge de regrouper des enfants isolés, cest-à-dire ceux dont les parents ont été déportés ou internés.
Le 24 juillet 1942, un appel est lancé dans le Bulletin officiel de lU.G.I.F.. afin quils soient regroupés, dans le but de constituer un fichier central de ces enfants. LU.G.I.F.. prend également en charge des enfants dits " libres ". Il s’agit d’enfants qui lui ont été confiés directement par leurs parents dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins. Les enfants " libérés " des camps de Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, Poitiers, doivent être placés dans les centres de l’U.G.I.F., ils sont des enfants bloqués, confiés à lU.G.I.F.. par le biais des préfectures et de la Gestapo. Leurs noms sont consignés dans un registre de police spécial :
" Ces libérations toutes particulières étaient en réalité fictives. Ces enfants, quils fussent libérés après avoir fait lobjet dune arrestation, dirigés sur Paris à la suite de larrestation en province de leurs parents, ou libérés de Drancy sur lintervention de lU.G.I.F. en tant qu’enfants isolés, c’est-à-dire n’ayant aucune famille au camp, ne pouvaient être confiés qu’aux seuls centres de l’Union. L’initiative de ces placements revenait aux autorités occupantes. Ces enfants qualifiés de bloqués, se trouvaient sous le double contrôle des Allemands et de Vichy.[7]"
Tous les enfants libérés de Drancy, et soumis ainsi au régime des enfants bloqués, sont confiés au service n° 5 de lU.G.I.F. dont la responsable est Juliette Stern, membre du conseil. Ce service a également en charge certains enfants " égarés " lors de la rafle du Vel d’Hiv. Les enfants " égarés " n’étaient pas des enfants perdus, mais des enfants qui étaient restés en liberté ou plus extraordinairement relâchés. Cela pouvait également être des enfants qui avaient trouvé refuge dans des familles non-juives. Ils pouvaient dès lors être considérés comme étant à l’abri. Or, l’U.G.I.F.. a manifesté rapidement la volonté de les reprendre, pour éviter " des placements intempestifs ", c’est-à-dire dans des milieux non-Juifs. Dans le communiqué suivant, l’U.G.I.F.. exprime sa volonté de réunir ces enfants alors quils pouvaient être considérés comme étant à labri de la déportation :
" Avis important. Nous constituons à l’Union Générale des Israélites de France un fichier central de tous les enfants Juifs dont les parents ont été arrêtés ces jours-ci. Si ces enfants ont été recueillis par un organisme privé ou par des familles particulières et que vous en ayez connaissance, nous vous prions de bien vouloir les signaler immédiatement, car il est porté à notre connaissance que quelques enfants se sont trouvés égarés. [8]"
Dans les centres de lU.G.I.F. coexistaient des enfants isolés, des enfants bloqués et des enfants libres qui par opposition nétaient pas fichés. Les ex-dirigeants de lU.G.I.F.. récapitulent ainsi les différentes catégories denfants :
" A) Les enfants bloqués étaient :
1) Les enfants ayant fait l’objet d’arrestations, puis ensuite libérés par les Autorités Allemandes et confiés pour être placés dans des maisons de l’U.G.I.F..
2) Des enfants arrêtés en province et séparés alors des parents par les Autorités locales et dirigés sur Paris par les soins de la Croix Rouge pour être remis à l’U.G.I.F..
3) Enfants ayant fait lobjet de mesures darrestations par la préfecture de police et dirigés sur lUG.I.F., au lieu dêtre dirigés sur Drancy. Enfants libérés de Drancy sur notre intervention comme enfants isolés, cest-à-dire nayant aucune famille au camp, ou que nous parvenions avec laide de la police judiciaire à faire reconnaître comme tels.
Ces enfants devaient rester dans nos maisons sous le contrôle théorique de la police judiciaire et des autorités allemandes, contrôle qui pratiquement ne fut jamais exercé et qui permit ainsi à lU.G.I.F. den disperser un très grand nombre.
B) Les enfants libres étaient :
les enfants confiés par les familles qui désiraient - pour des motifs légitimes disparaître de la circulation et pour qui les enfants auraient constitué une grosse charge.
Enfants abandonnés lors d’arrestations et cachés chez des voisins ou des concierges, et dont ceux-ci - malgré l’offre pécuniaire qui leur était faite - ne voulaient pas continuer à assumer la charge.[9]"
Certes, quelques centaines denfants de lU.G.I.F.. ont été placés dans des Institutions religieuses, notamment chez les Sœurs de Notre Dame de Sion et les Pères de Sion sous la responsabilité du père Devaux[10] qui a caché en région parisienne plus de 400 enfants. Mais, ceux-ci étaient rarement des enfants bloqués.
1.1. Les maisons d’enfants de l’U.G.I.F.. - Les asiles du centre de la rue Lamarck et de la rue Guy Patin prennent en charge les enfants qui sont placés sous la responsabilité de deux équipes des Eclaireurs Israélites de France, l’une à Lamarck sous la direction de Freddy Menahem, l’autre à Guy Patin sous la direction d’Eddy Florentin. L’U.G.I.F.. fournit la nourriture aux enfants.[11]
FreddyMenahem se souvient de ces enfants :
" Mes parents se sont cachés d’un côté avec ma sœur et moi je suis retourné avec ma sœur, rue Claude Bernard. Puisque c’était la rafle du Vel d’Hiv, on nous a donné comme charge de prendre en main l’asile de nuit de la rue Lamarck. (...) C’était une espèce d’énorme bâtiment avec d’une part un asile pour les clochards pour qu’ils passent la nuit, et d’autre part la crèche israélite pour les bébés comme n’importe quelle crèche. (...) Nous avons reçu à peu près 200 enfants, qui étaient soit des isolés du Vel d’Hiv, c’est-à-dire des enfants qui n’avaient pas de parents et pour lesquels la note d’information de Laval n’avait pas encore été diffusée. (...) Nous leur avons organisé le couvert, le lit. On a organisé également des activités, comme des activités scouts, en patrouille, en clan, avec des responsables qui les faisaient chanter, qui les occupaient. Le curé du Sacré Cœur avait mis à notre disposition, toujours rue Lamarck, de l’autre côté du trottoir, le patronage catholique. (...) Nous pouvions ainsi désengorger la rue Lamarck pour emmener les enfants jouer sous le patronage catholique. [12]"
Ces deux centres sont des lieux de rassemblement de toutes les catégories d’enfants. Jusqu'à 160 enfants pouvaient s’y trouver simultanément. Comme l’explique Jean Laloum :
" A leur arrivée dans l’un de ces deux centres, une fiche d’identité complète comprenant notamment l’adresse de leur ancien domicile, la description de leur état sanitaire et social était adressée au service 42 Enfants Isolés, dans le double but de mettre à jour le fichier des enfants que tenait l’U.G.I.F. et de permettre leur éventuel placement, si un changement intervenait quant aux mesures contraignantes auxquelles ils étaient astreints.[13]"
Les enfants sont ensuite répartis selon les différents centres : Louveciennes, l’orphelinat Rothschild, la pension Zysman à La Varenne, Montreuil, à Saint-Mandé - ce centre est financé entièrement par la communauté séfarade du XIème arrondissement -, Neuilly, Paris, rue Vauquelin et rue des Rosiers à l’Ecole du Travail. Dans tous les centres, personnel comme enfants sont tenus de porter l’étoile jaune dès l’âge de six ans révolus. Fin 1942, le nombre des pupilles de l’U.G.I.F. s’élève à 1 500. En juin 1943, ses sept centres regroupent encore 386 enfants[14] . En dehors des internats qu’elle gère, l’U.G.I.F. assure le suivi d’enfants placés dans des familles par ses soins ou directement par leurs parents. En avril 1943, le C.G.Q.J. décide d’abolir cette pratique sous le prétexte que ces familles sont rémunérées au-dessus de ce que verse l’assistance publique. En fait, il s’agit de regrouper ces enfants pour effectuer un contrôle policier. C’est l’U.G.I.F. qui envoie ses collaborateurs pour récupérer ces enfants et parfois même les conduire directement à Drancy, ce qui n’est pas fait pour redonner du crédit à l’organisation[15] .
Après septembre 1942, lU.G.I.F.. obtient la libération dune centaine denfants. Pendant cette période, le nombre des convois vers lEst diminue : après le départ de 38 convois de Drancy de juin à septembre 1942, 4 convois de déportés sont acheminés vers Auschwitz entre octobre 1942 et janvier 1943. Entre juin et décembre 1942, le service 14 de l’U.G.I.F.. responsable de la liaison avec les autorités doccupation, a multiplié les démarches pour tenter de sortir des internés du camp de Drancy, l’antichambre d’Auschwitz. 4 487 demandes sont expédiées, elles permettent d’obtenir la libération de 817 personnes, dont 192 enfants de moins de 16 ans.
1.2. Les rafles dans les centres de l’U.G.I.F. - Il n’y avait ni agents de la Gestapo, ni policiers pour garder les centres, il aurait donc pu être organisé l’évacuation des homes qui au fil des ans sont devenus de véritables souricières. Selon Jacques Adler :
" Composée de Juifs français, la direction de lU.G.I.F. avait continué de croire que la déportation visait uniquement les étrangers et que si les Allemands arrêtaient aussi des Français, c’était seulement faute de trouver suffisamment d’immigrés. C’est parce qu’ils s’obstinèrent à penser que le Judaïsme survivrait de toute façon que les dirigeants optèrent pour une stratégie aussi désastreuse.[16] "
Les enfants ont été délibérément maintenus dans les centres à l’exception de certains d’entre eux, quasiment kidnappés par les organisations qui opèrent depuis longtemps dans la clandestinité. Cette activité se faisait exclusivement en dehors de toute approbation des dirigeants de l’U.G.I.F. qui refusaient de disperser les enfants maintenus dans ses établissements, par crainte que des évasions massives ne remettent en cause lexistence même de lU.G.I.F.. Le nombre des enfants sortis clandestinement demeure aujourd’hui encore difficile à évaluer. André Kaspi[17] a indiqué par exemple que 163 enfants ont été sortis clandestinement des foyers de l’U.G.I.F.. en février 1943, par le mouvement Solidarité qui regroupe différentes organisations juives d’obédience communiste. Un certain nombre d’enfants raflés dans les homes avaient été sortis auparavant de Drancy évitant une première fois la déportation, mais ces enfants bloqués furent repris à partir de 1943 par la police française et en 1944 par la Gestapo. La première rafle eut lieu au centre de la rue Lamarck le 24 août 1942 où une quinzaine de femmes et d’hommes venus rendre visite aux enfants sont arrêtés. Cette première rafle qui ne concerne pas les enfants, n’alerte pas les responsables des maisons. Le 10 février 1943, la police française procède à l’arrestation des enfants de plus de douze ans, de parents russes ou polonais, dans les centres de la rue Lamarck, de la rue Guy Patin, à l’Orphelinat Rothschild et à l’Ecole du Travail. 42 enfants sont arrêtés et déportés [18].
Centres U.G.I.F. | Arrêtés | Survivants |
---|---|---|
Centre U.G.I.F. de Montreuil, 21 rue François Debergue | 21 | Deux sœurs nées en 1936 et 1931 et un garçon né en 1933 enfants déportés à Bergen Belsen. |
Orphelinat de la Varenne, 30, rue Saint-Hilaire | 18 | Aucun |
Pension Zysman au 57, rue Georges Clémenceau | 10 | Aucun des 28 enfants déportés de ces centres n’a survécu. Ils avaient entre 4 et 10 ans pour les plus vieux et ont été gazés dès leur arrivée à Auschwitz. |
Centre de la rue Lamarck et de la rue Sécrétan | 88 | 16 enfants. 3 sont libérés du camp de Drancy, 7 adolescents âgés de 13 à 17 ans survivront à leur déportation à Auschwitz- Birkenau, et 6 enfants âgés de 6 ans à 13 ans, déportés avec leurs mères à Bergen-Belsen, reviendront de déportation. |
Centre de Louveciennes | 40 | 7 enfants. Parmi eux, 2 x 3 frères et sœurs déportés à Bergen-Belsen, et une adolescente de 13 ans rescapée d’Auschwitz. |
O.R.T. rue des Rosiers, 4 bis, rue des Rosiers, Paris IVème | 9 | 4 adolescents revenus d’Auschwitz-Birkenau. |
Centre de la rue Vauquelin, 9, rue Vauquelin, Paris Vème | 28 | 19 adolescents revenus d’Auschwitz |
Maison de Saint-Mandé | 19 | Toutes les fillettes ainsi que leur institutrice à l’exception d’une adolescente de 14 ans ont péri à Auschwitz. |
Centre de Neuilly, 67, rue Edouard Mortier | 17 | Aucun des enfants n’a survécu |
TOTAL | 250 | 46 |
Au début du mois de juillet 1944, malgré les menaces qui se précisaient et les demandes réitérées des différentes organisations de faire sortir les enfants des centres, une dizaine de homes de lU.G.I.F. étaient encore ouverts : la rue de Sécrétan, la rue de Montevideo, la rue Vauquelin, ainsi que les maisons d’enfants de Neuilly, Boulogne, la Varenne, Montreuil, Saint-Mandé et Louveciennes. Le 6 avril 1944, deux semaines avant les rafles de 1944 dans les centres de l’Union, les 44 enfants de la maison d’enfants d’Izieu avaient été raflés et déportés à Auschwitz.
Mais cette alerte n’avait pas suffi à résoudre les dirigeants à disperser un maximum d’enfants, tant que cela était encore possible. En juillet et août 1943, Raymond Raoul Lambert et André Baur sont les premiers responsables de l’U.G.I.F.. arrêtés avec leurs familles et déportés[20] . En juillet 1944, le Comité d’Union et de Défense, un mouvement clandestin juif, propose aux responsables de l’U.G.I.F.. d’organiser l’évasion massive des centres, Georges Edinger[21] refuse . Quelles étaient les motivations de ces responsables ? Sans doute ont-ils eu peur de représailles pour eux-mêmes, leurs familles, les enfants qui ne pourraient être évacués. Jacques Adler décrit ainsi les hésitations de Georges Edinger :
" Ces quatre jours de rafles dans les maisons d’enfants sont peut-être l’élément le plus grave qui puisse être retenu contre l’U.G.I.F. Le 20 juillet, la Gestapo commença ses opérations en utilisant les listes en sa possession ; mais pour des raisons inexpliquées, il lui arriva d’oublier certains enfants inscrits ; dans un des foyers (de la région parisienne), quelques-uns furent aussi épargnés vu leur âge. Informé de la situation, Edinger ordonna immédiatement aux employés de disperser les rescapés et de disparaître eux-mêmes. Le 24, effrayé des conséquences possibles de sa décision, il annula et fit revenir tout le monde, y compris les enfants. Deux heures plus tard, sur instruction de Brunner, la Gestapo arrêta tous les présents. [22]"
Sur les 250 enfants arrêtés sur ordre d’Aloïs Brunner, 15 d’entre eux furent déportés vers le camp de Bergen-Belsen. Il s’agissait d’enfants remplissant les conditions d’enfants de prisonniers de guerre qui ont été déportés seuls ou ont retrouvé leur mère à Drancy. 3 enfants parmi ceux arrêtés au centre de la rue Lamarck ont été libérés de Drancy, enfin, 32 adolescents sont revenus d’Auschwitz-Birkenau[23]. Dans la région parisienne, ce sont 300 enfants âgés de 3 à 14 ans qui ont été arrêtés et déportés le 31 juillet 1944, après un bref passage à Drancy, dans les derniers jours de l’occupation. Placée sous le contrôle des nazis, les possibilités d’action de l’U.G.I.F.. en faveur des enfants étaient certes limitées. Il n’en demeure pas moins qu’en regroupant les enfants dans des centres sans même tenter d’en disperser le plus possible, et en allant rechercher des enfants qui étaient à l’abri, l’Union Générale des Israélites de France a facilité le travail meurtrier que les nazis se sont acharnés à accomplir dans les derniers mois de l’occupation. Toutefois, le bilan de l’U.G.I.F.. est à nuancer et une monographie[24] sur l’U.G.I.F.. serait indispensable pour mesurer le bilan de son action dans les deux zones.
Le devoir dassistance de lU.G.I.F.. fut bien réel. Lorganisation a fourni des colis aux internés, versé des allocations à des familles qui sans elle se seraient retrouvées à la rue, sans ressources à la merci dune arrestation. Le soutien financier de lU.G.I.F.. a ainsi permis à de nombreuses familles de se cacher, de quitter la zone occupée, parfois de gagner la Suisse. De plus, cette institution a obtenu des centaines de libérations denfants en multipliant les démarches auprès des autorités françaises et allemandes. Si lU.G.I.F.. fut attaquée avec virulence par les différentes organisations juives en raison des rafles qui se sont déroulées dans ses antennes et maisons denfants, on peut toutefois conclure avec Serge Klarsfeld que " le rôle de survie joué par l’UGIF contre la volonté des Allemands a été infiniment plus grand que le rôle de perdition. "
2.1. La genèse de l’O.S.E. - L’OSE, principale œuvre d’assistance aux populations juives, a effectué un travail de premier ordre dans la préservation de l’enfance juive, en décidant dès 1941, de disperser les enfants en zone occupée. Née en 1912, dans la Russie tsariste où les Juifs subissent les pogroms ajoutés à un antisémitisme traditionnellement virulent et de plus institutionnalisé, elle a pour mission d’assister les populations et en particulier les enfants. Alexandre III (1845-1894) dont le règne débute en 1855, décide de poursuivre les mesures antisémites dans la lignée de son prédécesseur et de régler " le problème Juif ". Le procureur du Saint Synode déclare : " Un tiers des Juifs se convertira, un tiers émigrera, un tiers périra. " Le 3 mai 1881, les lois discriminatoires anti-juives sont promulguées en Russie. Des zones de résidence sont imposées aux Juifs, essentiellement en Ukraine, en Lituanie, en Pologne en Russie Blanche. Les populations vivent entassées dans des shtettleh, dans des conditions d’hygiène quasiment inexistantes.
L’intelligentsia juive de Saint-Petersbourg et de Moscou décide d’apporter des solutions au problème des shtetleh, où la misère et le manque d’hygiène provoquent des ravages. Le 28 octobre 1910, l’assemblée constituante de l’O.S.E. est formée. L’O.S.E. avec la première guerre mondiale étend le champ de son action. Ses 123 institutions agissent dans trois directions différentes : les consultations, les foyers, les opérations gouttes de lait dont la première a lieu à Minsk en 1916, et les terrains de jeu. En moins de deux ans, 1 300 enfants sont placés sous la tutelle de l’O.S.E. En 1923, le siège de l’O.S.E. est transféré à Berlin, puis, en 1933, déplacé de Berlin à Paris. En juin 1934, la première colonie de vacances est fondée à La Varenne dans le département de la Seine et Oise. Elle accueille des enfants de 3 à 6 ans provenant d’Allemagne et de Pologne principalement, sous la responsabilité d’un personnel de la même origine. En 1935, l’Union-O.S.E. inaugure la première filiale française. En 1938, l’œuvre s’oriente vers la protection de l’enfance et ouvre 5 homes pour accueillir les enfants juifs envoyés d’Allemagne après les premiers déferlements de haine contre les Juifs. Mais à la déclaration de la guerre, les enfants qui ont atteint l’âge de 15 ans deviennent, en vigueur des nouvelles lois, " des ressortissants ennemis " qu’il convient de préserver de l’internement.
2.2. Un homme visionnaire : le docteur Joseph Weill - L’efficacité de l’O.S.E. dans le sauvetage des enfants réside dans la volonté précoce de disperser les enfants dans un milieu non-juif et, de ce fait, dans la compréhension rapide des desseins nazis à l’égard du peuple juif. Joseph Weill est médecin à Strasbourg, et l’un des dirigeants de la communauté juive de cette ville avant la guerre. Strasbourg est aussi la ville française la plus proche de l’Allemagne, qui accueille les Juifs réfugiés après les premières mesures discriminatoires et les persécutions. Georges Loinger, strasbourgeois, explique :
" (...) Il était conseiller médical à l’O.S.E.(...) Il a très vite compris que le nazisme était une chose terrifiante, et c’est un des premiers à avoir compris les futurs projets d’extermination. Il est venu à Paris pour alerter la communauté juive, il a été reçu ici, à un moment comme il est écrit dans ses mémoires, par le Consistoire, mais personne n’a vraiment cru à tout cela.[25] "
En 1939, il quitte Strasbourg comme tous les alsaciens lorrains et s’installe à Terrrasson à une vingtaine de kilomètres de Brive. En décembre 1939, il accepte le poste de directeur d’hygiène à la préfecture d’Angoulême et de Commissaire sanitaire des évacués de la Moselle en Charente. Il apporte également une aide efficace aux réfugiés espagnols et obtient de la préfecture leur relogement. Son engagement dans l’O.S.E. le conduit à participer à la libération des enfants internés dans les camps de la zone sud. Dès septembre 1942, au cours d’une réunion secrète organisée à Lyon, le docteur Joseph Weill encourage à la fermeture des maisons de l’O.S.E. qu’il considère comme des souricières qui mettent en péril la vie des enfants dont il préconise la dispersion.
2.3. L’O.S.E. dans la tourmente de la guerre : les premières mesures de protection des enfants - Les enfants juifs allemands et de familles déshéritées de la région parisienne, sont les premiers pris en charge par l’O.S.E. en zone nord, en raison de la crainte des bombardements. L’œuvre loue ou achète des châteaux dans le centre de la France et les enfants d’Eaubonne et Montmorency y sont évacués. Au mois de juin 1940, la direction de l’O.S.E. s’installe à Montpellier. A Paris, il ne reste qu’une représentation de l’O.S.E. qui prend l’appellation de Comité-O.S.E. La ligne de démarcation inaugure la séparation des politiques entre la branche de l’O.S.E. en zone nord et l’O.S.E. en zone sud. Les activités de ces deux sections de l’O.S.E. s’adaptent à la situation respective dans les deux zones et les actions sont conduites indépendamment.
2.4. L’action du comité-O.S.E en zone nord - Le comité-O.S.E. ne comporte qu’un nombre restreint de personnes : le docteur Eugène Minkowski[26] , Valentine Cremer[27] , Falk Walk[28], Enéa Averbouh[29]. L’O.S.E. comme toutes les oeuvres juives, est intégrée à l’U.G.I.F.. et en constitue la Troisième Direction-Santé. Les responsables de l’O.S.E. tels que le docteur Eugène Minkowski, utilisent l’U.G.I.F.. comme couverture. La carte officielle qu’elle délivre permet à l’O.S.E. de mettre en place des actions clandestines, qui impliquent financement et faux papiers, sous le couvert de la légalité. Aux antipodes de l’action de l’U.G.I.F., l’O.S.E. s’efforce de disperser les enfants dans le milieu non-juif.
Eugène Minkowski assure la direction du Comité O.S.E. en zone nord. La permanence des bureaux se tient au 78, avenue des Champs Elysées, puis en juin 1940, l’O.S.E. ouvre un dispensaire 35, rue des Francs-Bourgeois. Il est fortement fréquenté par des familles juives immigrées originaires d’Europe Centrale. Dès novembre 1940, un premier patronage est ouvert 14, Place des Vosges sous l’impulsion de la doctoresse Valentine Cremer. Il accueille 100 à 150 enfants les jeudi et dimanche. Le second patronage est ouvert rue Julien-Lacroix en mars 1941. Les patronages permettent de transmettre aux enfants les traditions juives, développer des activités culturelles, animer des jeux et des sorties. Les rafles de Juifs étrangers en zone occupée au cours de l’année 1941 produisent l’effet d’un signal d’alarme et le Comité-O.S.E. tente de trouver des solutions pour épargner les enfants si des mesures identiques étaient prises contre eux. L’O.S.E. en zone nord décide alors de placer les enfants juifs dans des familles non-juives, principalement en dehors de Paris. Le témoignage de Valentine Cremer relate ainsi un événement qui motiva cette décision :
" (...) Tout à coup, une voiture remplie d’Allemands s’est arrêtée au bas de la maison.[30] Nous avons eu peur pour les enfants et nous les avons cachés au grenier. Les officiers sont restés là, à observer nos fenêtres éclairées. Par chance ils n’étaient pas venus pour nous. [31]"
L’idée de placer les enfants chez des particuliers, qui émerge dès les mois de juillet-août 1941, sans fondement a priori puisque pour l’instant il n’est pas encore question d’arrêter les enfants, est concrètement mise en application dès les mois de septembre-octobre 1941, c’est-à-dire 10 mois avant l’arrestation des enfants lors de la rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942. Au milieu de l’année 1941, le docteur Eugène Minkowski a défini ainsi les trois lignes de l’activité de l’O.S.E. : un soutien est maintenu envers les familles juives nécessiteuses, l’organisation du camouflage des enfants et leur suivi dans la clandestinité.
2.4.1. Le camouflage des enfants en zone nord par le Comité-O.S.E. - A partir de 1941, les patronages de l’O.S.E. deviennent progressivement des vitrines légales pour l’activité clandestine. En effet, le Comité-O.S.E. profite de la présence des mères de familles pour les convaincre de leur confier les enfants et les préserver ainsi d’une menace potentielle. Les enfants de Juifs immigrés sont les premiers pris en charge par l’O.S.E. D’une part parce qu’ils pourraient être les premiers exposés aux rafles, d’autre part, parce que nombre d’entre eux ne maîtrisent pas encore le français et sont de ce fait plus repérables. Ces enfants issus souvent d’une famille où le père a été raflé au printemps 1941, sont ceux dont les familles disposent des plus faibles ressources. Les activités légales de l’O.S.E. en zone occupée sont maintenues jusqu’en 1943, date à laquelle elles sont définitivement abandonnées en raison de la multiplication des arrestations qui rendent ces activités légales dangereuses tant pour les organisateurs que pour les participants. A partir de 1942, le Comité-O.S.E. qui a été rejoint par Hélène Matorine, juive dont le conjoint est français fait appel au dévouement de nouvelles personnes pour assurer le convoi et le suivi d’enfants à camoufler. Céline Vallée, qui est assistante sociale et dirige un patronage autonome (le centre n° 35), Simone Kahn, sans profession, fille du colonel Kahn, direction de la 5ème section de l’U.G.I.F.. en zone sud de 1942 à 1944, et Jeanine Lévy, étudiante, toutes trois françaises, intègrent successivement le Comité-O.S.E. Les femmes les moins typées, et donc les moins repérables, prospectent hors de Paris en vue de trouver des familles pour accueillir les enfants. Leur rôle est délicat, car en présentant la situation des enfants elles essuient de nombreux refus. De plus, les familles qui les acceptent doivent tenir secrète leur identité et prévenir leurs voisins de la venue prochaine d’un neveu, cousin ou parent quelconque.
La législation anti-juive impose de telles contraintes aux assistantes de l’O.S.E. dans leurs déplacements, qu’elles ont recours à de fausses identités :
" A un moment, nous avions décidé toutes de nous appeler Céline Vallée et les paysans chez lesquels nous tentions de placer les enfants ne connaissaient que Céline Vallée, qu’elle que fût celle d’entre nous qui venait les voir. [32]"
Les assistantes sociales de l’O.S.E. sont réparties par secteurs géographiques. Les plus âgées, Enéa Averbouh et Hélène Matorine, prospectent le plus souvent dans la périphérie immédiate de Paris, tandis que les plus jeunes, Céline Vallée, Jeanine Lévy ou Simone Kahn, se chargent de trouver des familles dans les départements les plus éloignés. Le manque de familles volontaires conduit ces femmes à se rendre jusqu’en Bretagne, en Vendée ou dans la Nièvre. Les principaux départements où les assistantes de l’O.S.E. se rendent sont le Loiret, la Sarthe, la Seine-et-Marne et la Seine-et-Oise. L’O.S.E. s’assure également du bien-être des enfants. Ainsi, il n’est pas question de placer un enfant s’il n’est accueilli qu’à la seule fin de le faire travailler.
Enéa Averbouh explique ainsi au sujet d’une femme qui lui avait été envoyée dans le but de prendre un enfant :
" J’ai tout de suite compris qu’elle voulait héberger un enfant dans le but de le faire travailler dans les champs. Après une longue discussion, elle est repartie sans enfant. [33]"
Des familles sont motivées par les pensions versées plus que par les enfants. Ces pensions constituaient un appoint non négligeable en raison de cette période de privation et souvent servaient à d’autres fins que celles d’assurer l’existence des enfants. L’O.S.E. restait en contact avec les enfants pour payer les pensions et en même temps s’assurer de leur bien être. François Rosenthal, de parents juifs hongrois, né lui- même à Budapest le 29 octobre 1933, et enfant caché par l’O.S.E. avec son frère et sa sœur dans le Maine et Loire témoigne ainsi de son expérience :
" (...) Ma sœur a été placée dans une famille Hainault au bourg de la Prévière. Mon frère et moi, chez une dame qui tenait un café, également dans le village de la Prévière dans le Maine et Loire. Et cette dame, il faut le reconnaître, elle nous a accueillis, mais il faut le dire c’était quand même un peu pour l’attrait, parce que l’O.S.E. payait une indemnité de pension. [34]"
Son frère André Rosenthal explique lui aussi :
" Et on a dit à cette dame [35] qu’on ne se plaisait pas trop ici, que les clients du café nous regardaient d’un drôle d’air, que la patronne, je me souviens disait : " Ce sont des petits Juifs que je garde. " Elle nous gardait évidemment contre pécule, parce qu’elle était payée pour cela (...) Donc, cette femme est venue payée par pension de mon frère et moi, et je lui ai dit : " Il y a une ferme à côté où j’ai demandé au fermier s’il pouvait garder mon petit frère, parce que nous on n’est pas bien ici et le fermier est d’accord et il veut bien garder François. (...) Alors, elle est partie avec mon frère chez ce fermier, et puis ils ont discuté ensemble, puis elle est revenue dire à la patronne du café qu’elle nous reprenait moi et mon frère.[36]
Le travail des assistantes du Comité-O.S.E. ne se limite pas au seul placement des enfants. Elles s’assurent dans la mesure du possible de leur bien-être, ce qui pour les assistantes multiplie le facteur risque, car le mauvais placement d’un enfant implique la recherche d’une nouvelle famille d’accueil, de nouveaux déplacements avec des enfants qui ne peuvent voyager que sous de fausses identités et doivent apprendre à s’y conformer. Le changement de lieux pour les enfants n’est pas exceptionnel. Après avoir quitté le cafetier, François Rosenthal est recueilli par une famille de fermiers qui a proposé de prendre l’enfant après avoir constaté son désarroi. André Rosenthal est placé dans une nouvelle famille où il est à nouveau maltraité en attendant d’être à son tour caché chez des fermiers bienveillants :
" (...) Elle a donc placé mon frère chez ce fermier et moi je lui avais dit que je nétais pas bien ici, mais je navais pas de place, ils ne pouvaient pas en prendre deux. Elle avait trouvé une famille à 10-15 kilomètres de là. Je me rappelle ils sappelaient Maçon (...) et là non plus, je nétais pas très bien. Elle avait des enfants cette femme-là. Son mari était mineur (...) et ses enfants ils avaient à peu près mon âge et quand ils faisaient des bêtises cela retombait toujours sur moi : " Ah, ce nest pas moi, cest le Juif ". Ils ne mappelaient même pas par mon nom. Et jétais battu aussi. Pour rien parce que les fautes que faisaient ses mômes retombaient sur moi. (...)
" Et je racontai ça au fermier qui gardait mon frère et il me dit : " Cela te plairait d’être dans une ferme aussi ?[37]"
Le petit André Rosenthal est placé dans une famille de fermiers recommandée par le paysan qui prend soin de son frère. Le placement des enfants et leur suivi n’est pas le seul problème auquel se heurte le Comité-O.S.E. En effet, trouver le financement pour régler les pensions et rechercher des cartes d’alimentation impliquent des opérations délicates.
2.4.2. Le financement de l’action clandestine - Enea Averbouh, témoigne des risques qu’elle a encourus pour trouver de nouvelles cartes d’alimentation, indispensables à la survie des Juifs qui se cachent :
" Un jour, on nous a dit quil ny avait plus de cartes dalimentation pour les Juifs qui se cachaient. Jallai dans le village où se trouvait mon mari (dans la Nièvre), jenlevai mon étoile et sur place, je rencontrai le secrétaire de mairie. Je suis donc allée lui exposer la situation : " Les Juifs se cachent, mais ils nont pas de carte dalimentation, ils meurent de faim. "
" Ecoutez, voilà ce qu’on va faire : vous m’attachez à la chaise et mes cartes sont là. Vous les prenez et dans une demi-heure, je crierai : " C’était en plein bois et il y avait des résistants qui se cachaient ! " Je dirai que j’ai été attaqué et qu’on m’a pris les cartes. " C’est ainsi que je suis rentrée à Paris avec une pile de cartes. [38]"
Le financement ne constitue pas une des moindres difficultés, car la plupart des familles qui prennent en charge les enfants comptent fermement sur cet appoint et pour nombre d’entre elles, il n’est pas question de garder les enfants bénévolement. Une partie des fonds du Comité-O.S.E. pour les enfants provient de l’U.G.I.F.. dont certains membres cautionnent le travail clandestin. Ce fond, qui est obtenu pour les activités officielles du " service O.S.E ", est détourné en faveur de l’action souterraine. Mais l’affiliation de l’O.S.E. à l’U.G.I.F.. comporte de nombreux risques et l’O.S.E. est sous contrôle notamment du Commissariat Général aux Questions juives. Un rapport secret du 18 mai 1943 sur lequel figure la mention SECRET adressé par le service 14 de lU.G.I.F. à destination du S.S. Obersturmfürer Röthke, comporte des indications sur l’action clandestine conduite derrière le paravent de l’U.G.I.F. [39]:
" Lors de l’élaboration du texte qui est devenu l’arrêté interministériel du 18 mars 1943, les autorités d’occupation ont entendu rappeler indirectement l’interdiction formulée à l’égard des aryens d’héberger des enfants juifs. Ces dispositions auraient provoqué une vive émotion à l’U.G.I.F., car elles risquaient de neutraliser les efforts de placements clandestins avec faux état-civil fonctionnant tant au dispensaire La Mère et l’Enfant, 36 rue Amelot (bureau secret au 2ème étage) qu’au dispensaire des Francs-Bourgeois (également au 2ème étage, bureau Averbouh). (...) Le dispensaire dont il s’agit ne serait d’ailleurs pas la seule œuvre à but d’auto-défense fonctionnant derrière le paravent de l’U.G.I.F., il ne serait que la plus répréhensible. Une autre, l’ancienne O.S.E, poursuivrait également une activité spécialement limitée aux enfants et aux jeunes gens juifs, de préférence étrangers, en se chargeant de les soustraire aux éventuelles recherches au moyen de mise en pension chez des gens sûrs, les frais étant couverts par des ressources d’origine aussi incertaine que celle du dispensaire, mais en tout cas distinctes des sommes que l’U.G.I.F. consacre dans son budget à l’enfance et à la jeunesse. Il a été insinué qu’une enquête, à condition qu’elle soit inopinée et menée par des policiers perspicaces, faites dans les bureaux de Madame Stern et du juif Kaminski (service médico-social), pourrait peut-être permettre de relever les traces laissées dans les dossiers d’assistance sociale par les manœuvres ci- dessus signalées, comme une enquête du même ordre chez les juifs Rabinovitch (service juridique) et Averbouh (Champs-Elysées) mettrait peut-être sur la voie de l’origine des ressources de fonctionnement clandestin, tout au moins de l’O.S.E. plus ou moins reconstituée. Il n’est pas superflu de noter en passant que, sur les quatre personnages cités ci-dessus, trois sont des étrangers maintenus en fonction à la demande instante de l’U.G.I.F., qui ne pouvait manquer d’avoir des motifs puissants de s’intéresser spécialement à eux. "
Dans une autre partie de ce rapport, il est fait allusion à une caisse noire :
" Sous diverses formes et notamment par prélèvement occulte et frauduleux sur les sommes mises à la disposition de l’Union par le Commissariat. De fausses signatures apposées par une personnalité de l’administration centrale sur les états d’émargement permettraient de dégager constamment assez de disponibilités pour d’une part, ne pas condamner les bénévoles à un épuisement de ressources prématuré, et d’autre part, pour compléter certains secours distribués apparemment d’après les barèmes officiels et volontairement maintenus à un taux assez modique pour ne pas appeler l’attention indiscrète du contrôle administratif, sans compter quelques autres affectations à caractère moins précis. "
L’O.S.E. est donc sous la surveillance étroite du Commissariat Général aux Questions juives. Par mesure de sécurité, les assistantes sociales ne connaissent rien de l’organisation du comité. Les ramifications de l’action clandestine de l’organisation sont étroitement cloisonnées. Elles ignorent la provenance des fonds. Elles ont seulement la charge de régler les pensions des enfants aux particuliers, la plupart du temps au moyen de mandats. La Croix Rouge française a également apporté sa contribution au sauvetage clandestin des enfants, le docteur Minkowski en témoigne :
" Un jour, à court de fonds, soucieux du paiement des pensions pour les enfants placés à la campagne, je madressais à la Croix Rouge française. Jy trouvais un accueil des plus sympathiques malgré les interdictions, à nos enfants juifs.
" Une subvention de 100 000 francs par mois me fut accordée. Mais cette somme ne pouvait être versée à mon nom, moi qui portais l’étoile jaune... Il fallait trouver un " aryen " qui veuille bien servir de truchement. Le docteur Raoul Causse, sans la moindre hésitation, se chargea de ce rôle délicat et périlleux. [40]"
Le Joint assure également une part importante du financement des activités de l’O.S.E. sur l’ensemble de la France. Le docteur Joseph Weill, ex-responsable du service médico-social qui s’est exilé à Genève depuis 1943, assure la relation avec le Joint. Georges Loinger [41], moniteur d’éducation physique itinérant et dépendant de l’Education Nationale de Vichy convoie des fonds de la Suisse vers la zone nord. Les fonds du Comité- O.S.E. en zone nord sont déposés dans la cave de Monsieur Titoff, un particulier, principal trésorier de l’action clandestine. Les listes contenant les véritables noms des enfants et la comptabilité secrète sont dissimulées dans les livres de prières du pasteur Henry Vincent ou dans la cave d’Hélène Matorine.
2.4.3. Le bilan de la guerre pour l’O.S.E en zone nord - La particularité de l’O.S.E. en zone occupée est d’avoir accompli un travail immense avec un nombre réduit de personnes. En effet, de 1941 au 19 août 1944, date de l’insurrection de Paris, la composition du comité est restée quasiment identique. Enéa Averbouh qui circulait sous le nom de Letourno depuis le 27 octobre 1943, était de plus en plus menacée. Etroitement surveillée, on lui conseilla de se cacher. Elle gagna alors la Nièvre, et le Comité-O.S.E. fut privé de son efficacité. En janvier 1943, Falk Walk fut le premier membre du Comité-O.S.E. à être arrêté. Juif polonais, il avait refusé la carte de légitimation de l’U.G.I.F.. Il est déporté par le convoi n° 47, le 11 février 1943.
A la même période, Hélène Matorine, dénoncée parce qu’elle possédait une machine à écrire en yiddish, fut à son tour arrêtée. Son statut de conjoint d’aryen lui permet d’être rapidement libérée. Eugène Minkowski est arrêté avec son épouse, le 23 août 1943, sous le prétexte de non port de l’étoile. Ils sont libérés après l’intervention de Marcel Cenac et de Marcel Stora, administrateur délégué de l’U.G.I.F.. Les menaces étant de plus en plus pressantes, à partir de novembre 1943, le Comité-O.S.E. abandonne toutes ses activités légales et bascule jusqu'à la fin de la guerre dans la clandestinité.
2.5. Les activités de l’O.S.E. en zone sud - En zone libre, l’O.S.E. se confond avec l’Union-O.S.E., -la société mère réunissant toutes les filiales internationales de l’O.S.E.- et établit son bureau officiel à Montpellier après une brève halte à Vichy. L’Union-O.S.E. est représentée par les fondateurs russo-polonais de l’œuvre, à savoir Lazare et Olga Gourvitch, Aaron Lourié, Le docteur Julius Brutzkus et Joseph Millner. Le choix de Montpellier -alors que la plupart des oeuvres juives ont élu Marseille- tient au fait que cette ville se situe au centre de l’aire où sont localisés le plus grand nombre de Juifs et à la volonté d’offrir une aide médico-sociale en zone libre aux Juifs qui viendront se réfugier dans cette région.
Des centres de l’O.S.E. dans les grandes villes telles que Lyon, Marseille, Chambéry, Toulouse, Montpellier, apportent un réconfort tant humain que matériel aux familles juives nombreuses à avoir quitté la zone occupée. L’O.S.E. a également créé des foyers dans des villes secondaires comme à Valence, Périgueux, Dun-le-Paleteau, Guéret, Châteauroux et Pau. Jusqu’en 1942, l’Union O.S.E. reste dans la stricte observance de la légalité, et se conforme à apporter assistance aux enfants et adultes avec les moyens dont elle dispose. A partir de 1942, le docteur Joseph Weill proclame la nécessité de fermer les homes d’enfants qui peuvent être raflés à tout moment.
2.5.1. Georges Garel [42] - L’action clandestine de l’O.S.E. consacrée au sauvetage des enfants de la zone sud a été incarnée par le circuit Garel. Georges Garel, de son vrai nom Grigori Garfinkel est né le 1er mars 1909 à Vilnus. Il passe son enfance à Kiev entouré de sa sœur Raya et de ses parents jusqu'à la mort de Lénine en 1924, date à laquelle il quitte la Russie avec sa famille pour s ‘installer à Berlin où il vit pendant trois ans avant de gagner Paris en 1926. Il passe avec succès un bac Math Elem, puis s’inscrit au Polytechnicum de Zurich d’où il ressort avec le titre d’ingénieur électricien. De son arrivée en France jusqu’en 1942, Georges Garfinkel n’a aucune activité communautaire.
En août 1942, il se trouve à Lyon et travaille en tant qu’ingénieur électricien en charge d’un service important de constructions électriques pour la Compagnie électro-mécanique. Dans une pension où il prend ses repas, il rencontre l’Abbé Glasberg, Nina Gourfinkel, Raymond Winter, tous engagés dans des actions clandestines. L’Abbé Glasberg et Charles Lederman représentant de l’O.S.E. en zone sud l’introduisent dans le fort de Vénissieux transformé en camp pour y regrouper les 1 200 Juifs étrangers arrêtés le 26 août 1942 et destinés à être déportés.
2.5.2. Les Enfants de Vénissieux - Grigori Garfinkel, qui devient alors Georges Garel, est chargé de faire sortir les enfants de moins de 16 ans qu’il est encore possible de libérer. Il s’agit, au cours de cette nuit d’épouvante qui sera le catalyseur de son basculement dans la clandestinité, de séparer à l’aide d’une petite équipe, ceux qui doivent partir de ceux qui doivent rester. Ce travail consiste surtout à arracher des enfants aux mères qui refusent de les leur confier. Georges Garel décrit ainsi le climat à l’intérieur du camp de Vénissieux [43]:
" J’avais conscience du fait que le sort de ces gens serait vite réglé. Mais nous ne pouvions pas dire brutalement : vous, vous êtes condamnés à mort, permettez au moins à vos enfants de survivre. Nous pensions donc les convaincre en leur disant le minimum de choses possible sur le sort réservé aux parents. Cependant, avec la panne d’électricité, nous nous sommes trouvés dans l’impossibilité de repérer les baraques où restaient encore les enfants, les familles auxquelles il aurait fallu parler de nouveau. En plus, notre tâche était rendue difficile par le fait que constamment on venait nous interrompre (...) Voyant le temps qui passait, nous sommes devenus plus autoritaires et nous avons déclaré aux parents : " Nous venons chercher vos enfants. Quelques familles se sont exécutées. Mais cette autorité n’a pas toujours suffi, et sans aller jusqu'à nous battre, il est des cas où il a fallu retirer leurs enfants aux parents malgré leur résistance physique. Lorsqu’une mère se cramponnait à son enfant, il fallait le lui arracher d’une manière aussi civilisée que possible... "
Il faut encore, pour multiplier les sauvetages, falsifier des papiers pour deux soeurs ; l’une avait seize ans et deux mois et l’autre dix-huit ans. Garel a l’idée de modifier les papiers pour faire de ces sœurs, des jumelles de 16 ans. Au matin, 108 enfants ont pu être réunis pour être libérés provisoirement du Fort de Vénissieux. Les enfants sont provisoirement à l’abri, mais le préfet de Lyon, Angeli, obéissant aux instruction de Vichy souhaite les reprendre. Avec l’aide de l’Abbé Glasberg, et l’Amitié Chrétienne, du révérend père Chaillet, de Monseigneur Gerlier et de Georges Garel, les enfants sont placés pendant quelque temps par l’O.S.E. avant d’être cachés. De cette nuit au fort de Vénissieux date l’engagement de Georges Garel dans l’action clandestine au service de la préservation des enfants traqués.
2.6. L’organisation du réseau Garel - En rapport avec la volonté du Docteur Joseph Weill, estimant que les enfants ne seront pas épargnés et que la seule possibilité de les sauver après l’échec de l’émigration légale réside dans la mise en place de filières clandestines, le réseau de camouflage des enfants s’organise en zone sud. Joseph Weill a pu constater l’efficacité de Garel lors du sauvetage des enfants de Vénissieux, de plus, il est conscient que cette tâche ne peut incomber à un des responsables officiels de l’O.S.E. dont l’activité est étroitement surveillée par Vichy et la Gestapo. Il propose donc à Garel de prendre en charge le camouflage des enfants dans la zone sud, alors qu’au même moment, celui-ci se voit proposer par la Résistance le poste de responsable des armements pour la zone sud. Georges Garel qui ne peut mener de front deux activités clandestines, décline cette dernière proposition et devant l’urgence du sauvetage des enfants décide de se consacrer à cette dernière mission. Il faut trouver à Georges Garel des institutions religieuses, laïques ou familles chrétiennes où cacher les enfants. Monseigneur Salièges, archevêque de Toulouse, est le premier prélat à avoir protesté contre les traitements infligés aux Juifs à travers sa lettre pastorale du 23 août 1942. Cette lettre incite Charles Lederman, accompagné du père jésuite de Lubac, à prendre contact avec Monseigneur Salièges pour lui demander d’apporter son soutien dans le sauvetage des enfants. Une entrevue est ainsi planifiée entre Garel et Monseigneur Salièges en décembre 1942. Ce dernier confirme sa volonté d’apporter une aide inconditionnelle à Georges Garel dans son entreprise. Monseigneur Salièges introduit alors Georges Garel avec son coadjuteur, Monseigneur de Courrèges qui à son tour le met en contact avec l’œuvre diocésaine de Sainte Germaine dirigée par Mademoiselle Thèbes qui accepte d’accueillir 24 des 108 enfants sortis de Vénissieux et placés temporairement dans des familles par l’O.S.E. Les enfants sont placés sous une fausse identité et inscrits sur les registres de l’œuvre. Avec l’appui de Monseigneur Salièges, le sauvetage des enfants commence immédiatement et le premier maillon du réseau Garel est constitué pour le département de la Haute Garonne. Garel circule muni d’une carte sur laquelle est inscrit : " Je recommande à votre bienveillance le porteur de la présente et ses intentions. [44]"
La réussite de la collaboration entre Monseigneur Salièges et Garel incite ce dernier à prendre contact avec l’Evêque de Montauban Monseigneur Théas, qui comme Monseigneur Salièges s’était illustré par ses propos en faveur des Juifs, le 30 août 1942 [45] . Ainsi en quelques mois, 300 enfants sont placés dans des institutions religieuses et laïques dans la Haute-Garonne et du Tarn-et-Garonne. Garel suit les conseils de l’archevêque de Toulouse et prospecte auprès d’une vingtaine d’évêques et entreprend de trouver de nouveaux lieux de placements dans les collèges, internats et couvents de l’ancienne zone libre. Le cloisonnement régional des oeuvres diocésaines ajoute à la sécurité des enfants. Mais le soutien de l’archevêque ne suffit pas et Georges Garel recherche sans cesse de nouveaux placements, de nouvelles couvertures pour les enfants.
Le bureau de l’O.S.E. à Toulouse choisit parmi les enfants placés dans ses centres, ceux qui peuvent facilement passer pour des non-juifs et de faux papiers leur sont attribués. Ces enfants sont acheminés par des convoyeuses vers leurs lieux de placements. Le camouflage des enfants est ramifié en deux circuits séparés : le premier est constitué par les différents bureaux de l’O.S.E. et maintient dans la mesure du possible le contact avec l’environnement initial des enfants. Mais, les enfants confiés à l’O.S.E. sont pris en charge par le deuxième circuit totalement souterrain qui fait basculer les enfants dans la clandestinité en les dissimulant au sein de la majorité protégée. Cette seconde filière est constituée par le circuit Garel. Il établit un contact entre l’enfant et le milieu où il est caché.
Le réseau Garel s’étend rapidement, et à la fin de l’été 1943 couvre 30 départements. Il s’appuie, outre les établissements religieux, sur des organismes officiels tels que le Secours National, [46] organisme pourtant destiné à diffuser au sein des couches populaires la propagande en faveur du régime de Vichy. Le réseau Garel est structuré selon l’organisation décrite dans le tableau ci-après. Un contact permanent est maintenu entre le quartier général de Lyon et les différents départements. Des assistantes sociales, en général deux ou trois par département, effectuent un suivi des enfants et sillonnent les lieux de placement pour s’assurer de leur bien-être et régler le montant des pensions.
Les assistantes sociales du réseau sont divisées en deux catégories. Une dizaine de femmes non-juives sont appelées " les aryennes " ou " les pures ", par Garel lui-même. Les femmes juives dont l’accent et l’apparence peuvent passer inaperçus sont dénommées les " synthétiques " ou les " aspécifiques ". Elles sont recrutées parmi les cadres de l’O.S.E, car la diminution des activités légales de l’organisation les rendent plus disponibles. Les assistantes sociales juives sont couvertes par leur affiliation à des oeuvres légales ou des associations non-juives. Elles circulent munies de fausses cartes d’identité, pour leur éviter d’être prises dans des rafles ou arrêtées lors de contrôles d’identité. Le réseau Garel s’assure également du soutien d’autres organisations telles que la section clandestine des Eclaireurs Israélites de France, la Sixième en zone sud, le Mouvement de la Jeunesse Sioniste, l’Amitié Chrétienne du Père Chaillet et de l’Abbé Glasberg. Le réseau Garel n’a jamais pu être démantelé par Vichy ou l’occupant. La réussite de ce réseau de grande envergure, qui a assuré le camouflage de 1 600 enfants, repose tout d’abord sur les conditions de placement des enfants ; en effet, tous les enfants placés ne constituaient qu’une minorité dans un milieu protégé et leur identité était soigneusement maquillée. Pour la sécurité des enfants placés, des listes contenant des renseignements les concernant étaient remis à des personnes de confiance dans des lieux différents. L’une des listes contenait le nom réel des enfants et la localisation de leurs parents, une autre liste faisait correspondre aux noms réels, l’identité sous laquelle les enfants étaient cachés, enfin sur la dernière liste figurait simplement la fausse identité des enfants ainsi que leur lieu de résidence. Les listes étaient de surcroît codées. Germaine Masour [47] explique :
" J’avais toutes les listes des faux noms et des vrais noms avec des numéros inversés. Par exemple, 5 341 sur une liste était 1 435 sur l’autre. Si donc on trouvait un nom juif sur une liste avec le n° 1 435, on ne trouvait pas son correspondant sur l’autre liste. "
Décédé en 1979, Georges Garel demeure une figure emblématique de la résistance juive en France. Le circuit Garel qui a incarné l’activité clandestine de l’O.S.E. en zone libre, a été la principale organisation souterraine vouée à la protection des enfants.
Structure du réseau | Poste de commande régional | Responsables | Départements | Enfants pris en charge |
---|---|---|---|---|
Région Centre-Est | Lyon | Victor Savre alias Souvard | Rhône, Ain, Loire, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Cantal, Allier | 350 enfants |
Région Sud-Est | Valence | Robert Ebstein, alias Evrard et Fanny Loinger alias Laugier Edith |
Drôme, Ardèche, Isère, Haute-Savoie, Basses et Hautes-Alpes | 400 enfants |
Région Centre | Limoges poste déplacé à Châteauroux | Scheftel alias Jacqueline Estager, puis Pauline Gaudefroy puis Simone Weil alias Werlin |
Haute-Vienne, Creuse, Corrèze, Dordogne, Indre puis Vienne et Cher | 450 enfants |
Région Sud-Ouest | Toulouse | Solange Zitlenok, alias Rémy | Haute-Garonne Basses et Hautes Pyrénées, Tarn, Tan et Garonne, Lot, Lot-et- Garonne, Gers, Hérault, Aveyron, Lozère | 400 enfants |
Organisations catholiques | Organisations protestantes | Organismes officiels | Organismes privés |
---|---|---|---|
Œuvre de Sainte-Germaine à Toulouse dirigée par Mademoiselle Thèbes | La C.I.MA.D.E. représentée par Madeleine Barot et Jeanne Merle d’Aubigné. La maison le Coteau Fleuri sert de relais aux enfants et parents en transit vers la Suisse. | Secours National de Limoges et Périgueux | La Ligue des Familles Nombreuses à Agen |
Secrétariat Social à Clermont-Ferrand | Oeuvre du Pasteur Monod à Lyon | L’Inspection d’Hygiène-Assistance Publique à Châteauroux | Le Mouvement Populaire des familles à Limoges, Lyon et Saint-Etienne |
Conférence de Saint-Vincent de Paul à Annecy | Enfants à la Montagne en Haute-Loire | Assistance Publique de Périgueux | Aide aux Mères de Famille à Saint-Etienne dirigée par Marinette Guy et Juliette Vidal |
Caisse de Compensation et Allocations familiales de Grenoble | Œuvre de Rancher à Tarbes |
Selon les données chiffrées établies par Sabine Zeitoun, l’O.S.E. a sauvé 5 000 enfants sur l’ensemble de la France, ce qui équivaut à dire, si l’on s’en tient aux estimations de Lucien Lazare, que l’O.S.E. a sauvé à elle seule plus de la moitié des enfants pris en charge par des organisations juives. 3 000 enfants ont été cachés et sauvés dans le cadre du circuit Garel 1 500 ont été placés à l’abri en Suisse, et 600 ont été préservés en zone nord par l’équipe du docteur Eugène Minkowski. Ces 5 000 enfants en comparaison avec les 11 000 enfants déportés de France, atteste de l’importance de cette ?uvre et témoigne des difficulté de la préservation de l’enfance juive dans une France à l’heure allemande
Les Eclaireurs Israélites constituent un mouvement antérieur à la Seconde Guerre mondiale. L’initiative de ce mouvement scout revient à Maurice Liber qui déclara en 1922 lors d’un congrès international sur le scoutisme :
" Les jeunes gens israélites doivent pratiquer le scoutisme (...) Le but et l’idéal sont les mêmes que ceux des organisations scoutistes qui veulent donner à la jeunesse une bonne santé physique et morale. [50]"
En 1923, la première patrouille scoute est créée par Robert Gamzon. C’est la naissance du mouvement qui prendra l’appellation d’Eclaireurs Israélites de France en janvier 1927. En octobre 1938, les Eclaireurs Israélites sont officiellement affichés au bureau interfédéral du scoutisme français grâce à l’appui du Baron Robert de Rothschild qui ne cessera d’apporter son soutien moral et financier aux Eclaireurs. Les Eclaireurs Israélites de France constituent un des mouvements phare de la résistance juive en France. Leur mouvement de résistance " La Sixième " est né de l’action des E.I. qui en 1939 recueillirent les enfants juifs évacués depuis la région parisienne dont ils prirent soin et qu’ils furent conduits à préserver de la déportation à partir de 1942. Collaborant fréquemment avec l’O.S.E., les E.I. ont opéré dans la légalité, puis pendant l’été 1942 ont basculé dans la clandestinité après la grande rafle du 26 août en zone libre. Le mouvement des Eclaireurs Israélites de France devenait ainsi la Sixième tandis que le 10 avril 1943, la filière clandestine de la Sixième voyait le jour en zone occupée à Paris.
3.1. Genèse de maisons d’enfants - En 1939, les Eclaireurs Israélites s’occupent comme de nombreuses autres organisations de l’évacuation des enfants des grands centres urbains. Trois maisons sont ainsi ouvertes par Denise Gamzon [51]: l’une à La Ruffie dans le Lot, et deux dans l’Aveyron, l’une à Villefranche de Rouergue et l’autre à Saint-Affrique. Si les enfants de familles françaises sont facilement évacués, il n’en va pas de même les enfants de nationalité étrangère qui se trouvent à Paris et dans les grandes villes de Province. Les Eclaireurs Israélites décident donc de venir en aide aux familles étrangères qui n’ont pas les ressources suffisantes ni la possibilité de mettre leurs enfants à l’abri des bombardements. Les départs sont organisés en collaboration avec l’O.S.E. et le C.A.R. Un centre rue de Ségur prend en charge les inscriptions. Les trois premiers centres accueillent fin septembre 1939 quelque 200 enfants encadrés par des cheftaines qui dans l’urgence se sont improvisées monitrices. Les maisons d’enfants des E.I. sont des bâtiments réquisitionnés par les Préfets pour servir de centres d’accueil aux réfugiés. Le Baron Edmond de Rothschild qui a des appuis au Ministère de l’Intérieur, a facilité les démarches du mouvement.
Quelque temps après, Denise Gamzon passe le relais à Shatta Simon qui prend en charge la gestion des maisons d’enfants. Elle effectue une inspection dans les trois maisons existantes et prospecte pour en trouver de nouvelles. Elle décide alors de fermer La Ruffie, et ouvre une maison à Beaulieu-sur-Dordogne en Corrèze dont Madame Gorlin-Buggati responsable E.I de Paris prend la direction. Les garçons qui étaient à la Ruffie gagnent une nouvelle maison d’enfants dans le Lot, à Saint-Céré, dirigée par Pierrot Kauffmann. Shatta Simon ouvre une cinquième maison à Moissac, qui accueille le 5 décembre 1939 les premiers enfants :
" A Moissac, au bord du Tarn, sur le quai du port s’alignent de grandes maisons patriciennes anciennes résidences des minotiers du XVIIIème siècle. Les grandes pièces du devant serviront de dortoir, quant aux anciens dépôts de blé, sur l’arrière, ils serviront pour les ateliers et les fêtes. Et puis, ces maisons ont une double issue, ce qui peut toujours servir. " Ces " maisons car, au fur et à mesure du temps, Moissac s’étendra du n° 18 au n° 10 du quai du port. [52]"
Les maisons sont destinées à recréer un cadre de vie normal pour les enfants séparés de leurs parents, à partir de méthodes scoutes. Dans les maisons des E.I. les enfants découvrent souvent la campagne pour la première fois. Un grand nombre d’entre eux provient de la région parisienne et n’a jamais voyagé. Les camps E.I. organisés pour les vacances avant la guerre n’étaient jamais situés au-delà d’une centaine de kilomètres de Paris. Les effectifs des maisons ne cessent de croître. 270 enfants y vivent quand elles sont pleines. Les E.I. assurent l’éducation des enfants. Pour les adolescents, les E.I. ont créé des chantiers ruraux entre autres à Viarose près de Moissac, puis à Lautrec dans le Tarn et à Taluyers dans le Rhône.
En effet, aux enfants évacués en 1940, se sont ajoutés ceux qui ont été sortis des camps d’internement [53]. Malgré la guerre, puis l’occupation d’une partie de la France, les Eclaireurs Israélites décident de poursuivre leur action et même de l’étendre. En raison de l’ampleur de l’exode, le 7 juin 1940, le secrétariat du mouvement de la rue de Ségur est transféré à Moissac, future plaque tournante de l’action clandestine. Les E.I. fonctionnent en relation principalement avec trois organismes : l’O.S.E, avec laquelle ils sont en rapport quasi permanent tant à l’échelon local que national, l’O.R.T. et le Mouvement de Jeunesse Sioniste [54] dirigé par Simon Lévitte et qui s’établit à Grenoble pendant l’été 1942. A Montpellier, Raymond Winter organise pour les enfants de l’O.S.E. des camps de vacances en alternance avec les camps de son groupe local. L’O.S.E. en contrepartie met des médecins à la disposition des E.I. de la région.
3.2. La Sixième -
3.2.1. Naissance de la Sixième clandestine - La rafle du Vel d’Hiv en zone occupée constitue un premier choc. La lettre de Bouli adressée aux responsables E.I. le 3 août 1942 n’est certainement pas sans rapport avec la décision de basculer totalement dans la clandestinité :
" Je crois que mon devoir est de te tenir au courant des derniers événements qui frappent nos coreligionnaires étrangers. Tu sais peut-être que tout étranger né depuis 1933 et âgé de plus de 18 ans (ceci n’a pas encore été modifié- s’il est isolé peut être remis aux autorités en zone occupée. Pour ceux qui sont en famille, on peut les ramasser de 5 à 60 ans. " OFFICIELLEMENT " il s’agit paraît-il de reconstruire un " Etat Juif " en Europe Centrale. (...) Or, tu n’ignores pas qu’à Minsk, récemment, 35 000 Juifs ont été passés à la mitrailleuse, et que, depuis l’occupation allemande, 700 000 Juifs ont été tués en Pologne, femmes, vieillards, enfants et hommes, tout y est passé, soit chambres à gaz, soit massacres. C’est ce qu’on appelle reconstruire un " Etat Juif ". Plus de 3 600 hommes, femmes et enfants, même intransportables ont été livrés aux camps de concentration. (...) Et ce n’est qu’un commencement, il s’agit pour la France de livrer maintenant 11 000 Juifs de la zone libre. [55]"
A la veille de la rafle du 26 août en zone libre, la plupart des chefs et cheftaines E.I. campent avec leurs troupes. Le 25 août 1942, Robert Gamzon à Vichy est prévenu par Gilbert Lesage, du Service Social des Etrangers, qu’une rafle doit avoir lieu le lendemain. Simultanément, il apprend que le mouvement des Eclaireurs Israélites de France est dorénavant interdit. Néanmoins, il a obtenu de l’U.G.I.F.. d’intégrer le mouvement E.I.F. dans la Sixième Section de la Quatrième direction de l’U.G.I.F.. -la Direction Jeunesse-, d’où l’appellation du futur mouvement clandestin. Les E.I. intègrent officiellement le Service Social des Jeunes.[56] Robert Gamzon décide que le mouvement officiel doit disparaître, mais que les structures existantes doivent continuer à œuvrer.
Il réunit les chefs E.I. dans les bureaux de l’U.G.I.F.. et les somme de se rendre à Moissac le lendemain. En attendant, les responsables du mouvement présents s’efforcent d’alerter les familles juives qui vivent à Vichy afin qu’elles se mettent à l’abri. A Moissac, le 26 août 1942, sont posées les bases du futur mouvement clandestin, dont le cloisonnement total ne sera effectif qu’à partir de la fin du premier trimestre 1943. Castor, totem de Robert Gamzon, lance un appel aux jeunes chefs et cheftaines E.I. afin de procéder à la mise en œuvre des premières opérations de sauvetage.
Denise Lévy se souvient des circonstances dans lesquelles elle fut amenée à procéder aux premiers sauvetages d’enfants :
" (...) Ayant participé pendant juillet-août à divers camps de louveteaux, dans des conditions peu aisées, de retour à Moissac, j’aspirais à prendre un peu de repos. Quand, à brûle-pourpoint, Bouli (Edouard Simon) me demande ce que je fais à présent, et vu ma réponse me dit : - " Tu pars ce soir à Beaulieu ? " Quoi faire " Il m’emmène dans un coin de la maison et me révèle que des rafles sont imminentes, Gamzon ayant été prévenu par des relations à Vichy, qui lui ont donné les listes de jeunes de Moissac devant être arrêtés. Ces listes concernent des étrangers de plus de seize ans.... Mais comment procéder ? Ne pouvant partir le soir même, le lendemain matin, train Moissac-Mautauban-Montauban- Brive-Beaulieu où j’arrive en fin d’après-midi et réunis les chefs de la maison pour les mettre au courant de la situation et prendre les décisions qui s’imposaient. Quelques-unes des filles concernées pourraient être prises en charge aux environs immédiats. Que faire des autres ?Ayant de bonnes relations à Montauban, je décide d’y emmener trois filles, alors que la doctoresse du centre (Jacqueline Duckeim) propose d’en convoyer deux (ou trois) dans une région où elle a des connaissances. Arrivée à Montauban, je me rends chez une personne à qui je savais pouvoir parler en toute confiance et qui me propose aussitôt d’héberger ces filles. (...)[57]
" Je retourne aussitôt à Beaulieu et apprends que des policiers sont venus le matin pour procéder aux arrestations, et n’ayant trouvé aucune des filles concernées, ont emmené en prison à Tulle, deux chefs de la maison (qui seront heureusement libérés quelques jours plus tard). Au cours de l’après-midi, trois ou quatre policiers viennent interroger tous les membres de l’équipe de la maison pour savoir où sont ces filles. Naturellement, nous disons que nous ignorons où elles peuvent être. [58]"
3.2.2. L’Organisation de la Sixième en zone libre - Le mouvement est hiérarchisé. Au niveau national, un état-major composé d'Henry Wahl qui agit sous l’identité du résistant de Moissac Jean Gainard, ainsi que Marc Haguenau et Ninon Haït-Weill- dont le nom de guerre sera Ninon Harcourt, assurent la direction du mouvement. La zone libre est divisée en six régions[59] avec à leur tête un responsable et des adjoints : Lyon-Grenoble, Marseille, Montpellier, Toulouse, Clermont-Ferrand, Limoges. Soixante-huit sous-officiers sont répartis dans les différentes villes de ces régions afin que le mouvement couvre une aire géographique suffisamment importante. Des agents semi-permanents ou non-permanents sont ensuite placés sous la responsabilité des sous-officiers.
Une partie du travail consiste à dépister les enfants en danger dans les familles. Les premiers enfants pris en charge sont ceux qui ont pu échapper à la rafle du 26 août 1942. Arrivent également des enfants dont les familles ont fui la zone occupée au lendemain de la rafle du Vel d’Hiv. De partout en zone libre, des enfants sont confiés par le circuit Garel quand celui-ci ne peut en assumer la charge, ou d’autres organisations juives. Certains proviennent de maisons d’enfants en zone occupée. D’autres encore sont confiés directement par leurs parents. La Sixième, en complémentarité du circuit Garel, prend essentiellement en charge des adolescents.
Pour ces derniers, des placements sont trouvés dans l’agriculture, dans des fabriques employant de jeunes ouvriers qualifiés, des usines ou des ateliers ne travaillant pas pour l’Allemagne. La plupart des enfants sont ainsi dirigés vers des écoles professionnelles ou artisanales qui tendent à orienter les jeunes vers des métiers manuels.[60] La plupart des enfants les plus jeunes -parfois accompagnés de leurs familles- sont conduits clandestinement de l’autre côté de la frontière franco-helvétique.
3.2.3. Tisser des réseaux d’aide pour le sauvetage des enfants - A l’échelon local, les responsables régionaux s’évertuent à tisser des liens avec le non-juifs pour cacher les enfants. Les Eclaireurs Israélites sont en contact avec de nombreux représentants des organismes de résistance : Jean-Pierre Lévy du Conseil National de la Résistance, le Général Brissac de l’Armée Secrète, L’Ecole des Cadres du Maquis, le Groupe Témoignage Chrétien avec André Weill, Monseigneur Salièges, Monseigneur Théas, le Révérend-Père Chaillet. Le Pasteur Gaillard pour l’U.C.J.G. à Lyon, le Colonel Dreyfuss du Génie Militaire, les F.F.I. des zones sud-ouest et centre et l’Abbé Glasberg du Maquis du Tarn et Garonne. Les pasteurs de la Drôme, du Var, de l’Ardèche et du Gard permettent à la Sixième de cacher des enfants au sein de nombreuses familles protestantes.
A quelques kilomètres de Moissac, Sigismond Hirsch dit Djigo a réussi à tisser un réseau d’entraide. A Auvillars, il a ainsi noué des contacts avec le maire et des personnalités du village, qui pour certains œuvrent déjà dans la résistance locale : gendarmes, membre de la municipalité, religieuses et quelques habitants soucieux du sort des enfants juifs. Djigo, avec l’aide d’Edouard Rakowski, parvient ainsi à cacher une centaine d’enfants dans un secteur dont les limites s’étendent jusqu’au Gers .[61]
3.2.3.1. La région de Toulouse - Lucien D. Fayman, Hibou, à la tête de la région de Toulouse, entouré de Nicole Bloch -Roseau- Paulette Meyer, alias Cathos, s’adresse à Monseigneur Salièges. Monseigneur de Courrèges le munit d’une carte qui lui ouvre les portes de quelques institutions religieuses. Son réseau d’aide s’appuie essentiellement sur le Père René de Naurois, aumônier de Notre Dame de la Compassion, une communauté de femmes située au cœur de Toulouse. Cette institution sert de lieu de transit pour des jeunes filles qui pourront y demeurer trois ou quatre jours. Dans le Tarn, le père Audouard, prêtre dominicain propose de cacher quelques enfants au Collège de Sorèze dans le Tarn. De son côté, Nicole Bloch qui a de nombreuses relations dans les milieux protestants du Tarn, cache quelques enfants, notamment à Castres et à Mazamet, villes de moyenne importance, situées au pied de la Montagne Noire. Paulette Meyer[62] , quant à elle, s’enquiert de trouver des tampons de mairie pour la fabrication des faux papiers. Elle est aidée dans cette tâche par le Père Gau qui blanchit avec elle cartes d’identité et d’alimentation.[63]
3.2.3.2. Roger Climaud : la région centre[64] - Roger Climaud agit sous le nom de guerre de Jean-Charles Pierron. Il assume la responsabilité de la région Centre-sud-sud-ouest : une aire géographique qui représente onze départements et s’étend des Pyrénées Orientales jusqu’au Puy de Dôme incluant les départements de l’Aveyron, la Lozère, l’Ardèche et le Gard. Une sous-direction située à Rodez est confiée à Raymond Winter[65]. Il a pour tâche d’assurer la coordination avec les assistantes sociales de l’O.S.E. Dans la région sous la responsabilité de Roger Climaud, une centaine d’enfants sont cachés.
En 1941, Roger Climaud avait séjourné au Chambon sur Lignon[66]. Les liens tissés avec les habitants de ce village lui permettent d’y placer des enfants. Dans la région de Clermont-Ferrand, des collèges tenus par les Jésuites accueillent des garçons. D’autres sont cachés au collège de Figeac dans le Lot. Des filles sont confiées à des couvents dans l’Aveyon à Rodez, Millau, Villefranche de Rouergue, d’autres sont placées à Marvejols, Mende et Florac. Dans les collèges, seul le proviseur est au courant de la véritable identité des enfants. Roger Climaud relate ainsi la difficulté de sa tâche : " Notre problème était surtout de trouver des endroits où on avait une certaine garantie, une certaine assurance que les enfants seraient noyés dans un ensemble pourraient s’intégrer. [67]"
3.2.4. Le suivi des enfants - Les enfants cachés dans des familles d’accueil ou des institutions sont visités par les cheftaines. Liliane Klein-Lieber, appartenant au mouvement clandestin à Grenoble se souvient du rôle qui lui avait été assigné :
" Nos tâches étaient multiples. Avec nos camarades, il était urgent de trouver des planques sûres pour des adolescents qui nous étaient confiés. Avec la complicité fraternelle et courageuse des mouvements scouts, des Eclaireurs Unionistes et la Fédération Française des Eclaireuses -la célèbre FFE- en particulier, mais aussi auprès de religieux catholiques, de familles laïques et chrétiennes, de cultivateurs et même pour la région de Grenoble auprès des Compagnons de France, mouvement de jeunesse créé par Pétain, dont certains chefs de camp étaient simultanément de grands résistants comme Emmanuel d’Astier de la Vigerie à Voiron en Isère. [68]"
A Grenoble, le directeur du Secours National, un protestant nommé Monsieur Dormoy détourne de la marchandise telle que blousons, chaussures, chemises et autre matériel qui permettent aux cheftaines qui assurent les visites aux enfants dans la clandestinité, d’améliorer sensiblement leur quotidien.
De nombreux enfants étant cachés dans des collèges et pensions, il est nécessaire de les faire sortir en moyenne une fois toutes les deux semaines. Ces sorties sont l’occasion de préserver l’identité juive des enfants. Roger Climaud explique :
" Les enfants placés dans ces collèges représentaient une difficulté. Dans les collèges, dans les couvents et même dans les milieux protestants, ils représentaient la difficulté qu’au moment des périodes de vacances ou en fin de semaine, la plupart des enfants rentraient à leur domicile, chez leurs parents. Les nôtres ne pouvaient pas, pour des raisons faciles à comprendre : nous ne pouvions pas risquer, si vous voulez, les gens étant inscrits sous de faux noms, de mettre en péril la vie d’autres. Nous n’avions donc qu’une solution, la solution que nous avions trouvée, c’était de nous répartir la tâche, tant des assistantes sociales que des chefs de secteur, que des responsables régionaux ou autres, que d’aller dans ces collèges le dimanche, les sortir pour la journée, les emmener à la campagne, pouvoir discuter avec eux des problèmes autres que ceux qu’ils étudiaient aux endroits où ils étaient, et en même temps de leur apporter un minimum, je dis bien un minimum, parce que nos compétences n’étaient pas toujours la compétence de ceux qui pouvaient enseigner les principes de la religion ou autres. Mais nous avons fait tout ce que nous avons pu dans ce domaine et on leur a quand même donné le sentiment d’être quand même des Juifs, même si pendant un certain temps ils devaient se cacher sous un autre nom, il ne fallait pas qu’ils oublient qu’ils appartenaient à une religion qui était la religion juive. [69]"
Le suivi des enfants implique des déplacements fréquents pendant lesquels leur sécurité doit être assurée. Les Eclaireurs Unionistes de confession protestante fournissent des cartes et insignes de leur mouvement, ce qui facilite le déplacement d’enfants en groupe. Roger Climaud se souvient de sa couverture qui lui permettait d’emmener avec lui des enfants à l’hôtel Broussy où un étage lui était réservé :
" En réalité à l’hôtel Broussy, il y avait un étage qui était entièrement réservé aux SS, il y avait un étage qui était réservé aux gens de passage, les voyageurs de commerce et autres... Et il y avait un étage qui était réservé à Monsieur Pierron, car Monsieur Pierron était inspecteur de l’Assistance Publique et Monsieur Pierron recevait des enfants qui venaient à cet endroit-là pour être placés dans des endroits... C’était si vous voulez ce qu’on a appelé chez nous une " couverture " d’activité qui permettait de nombreux déplacements et d’avoir avec nous des enfants qui nous accompagnaient. (...) Il est bien évident que ces enfants qui ont séjourné à l’hôtel Broussy avec moi pendant 24 heures, parfois 48 heures, mais c’était un maximum, mangeaient dans la salle à manger du restaurant de l’hôtel à la table voisine de celle des SS.
" Les SS et moi nous nous saluions régulièrement comme des gens de connaissance, de proximité. Ca peut paraître paradoxal, mais on est mieux caché près de ceux qui vous abhorrent. [70]"
3.2.5. Le camp de Florac : un défi - Pendant les vacances de Noël 1943, avec l’accord des responsables nationaux, les Eclaireurs Israélites organisent un camp scout pour les enfants éparpillés en zone libre dans la région de Florac où les E.I. bénéficient de l’appui d’un certain nombre de responsables locaux. Roger Climaud évoque ce camp :
" Nous avons donné une nourriture surabondante pendant ces quinze jours où les enfants n’ont eu à s’occuper de rien, (...) ni vaisselle, ni épluchage, ni tambouille à faire, ni autre chose. C’est quand même un défi que d’avoir rassemblé cent personnes dont aucune n'avait une identité véritable (…) [71]"
Au camp de Florac, sont réunis les principaux chefs E.I. Nombreux seront ceux qui périront en 1944.
3.3. La Sixième en zone occupée - Le 10 avril 1943, la filière clandestine de la Sixième en zone occupée est opérationnelle. Elle a été fondée par Fernand Musnik [72], Juif d’origine lituanienne, mutilé de la guerre 1939-1940, commissaire national adjoint des E.I.F. et membre du Conseil d’administration de l’U.G.I.F.. zone nord, Marc Amon, ingénieur physique et chimie, Sam Kugel, ingénieur radioélectricien et Freddy Menahem. Dès janvier 1943, avait été créé à Paris un service Sixième.
En mars 1943, Henri Wahl, chef de la Sixième, avait rapporté au cours de l’un de ses voyages en zone occupée, le premier cachet destiné à la fabrication de faux papiers. Le 10 avril 1943, une réunion met en contact les futurs responsables du mouvement. Le travail d’assistance peut alors commencer. A cet effet, un bureau est ouvert au 24, rue de Copernic. Micheline Cahen se souvient des prémisses de la Sixième en zone occupée :
" Le Service Social est né comme ça. Les uns faisaient les cartes, les autres essayaient de passer en zone libre pour aller chercher de l’argent. D’autres de la zone libre, essayaient de passer pour nous apporter tout l’argent du Joint qui arrivait par la Suisse pour payer les pensions des enfants.[73]"
3.3.1. Organisation du travail clandestine - La Sixième clandestine à Paris est inaugurée en même temps que le service des faux papiers. Freddy Menahem se souvient de son entrée dans la clandestinité :
"En avril 1943, un Monsieur est arrivé de zone sud. (....) Il s’appelait Simon Lévitte. (...) Il a mis des gardes dans l’escalier devant des portes, il m’a attrapé, il m’a mis dans un bureau, et il a sorti de sa poche un bout de linoléum et un tampon encreur. Et, il a pris le bout de linoléum, l’a mis sur le tampon encreur, l’a tapé sur une feuille blanche, et j’ai vu apparaître le dessin d’une mairie. C’est comme ça que j’ai fait mon apprentissage de la clandestinité. [74]"
La Sixième développe un service de faux papiers qui prend un essor considérable. Celui-ci est placé sous la responsabilité de Sam Kugel, dessinateur brillant, chef du laboratoire de faux papiers, situé rue Claude Bernard dans le bureau du Directeur. Le service prend une importance telle qu’il fournira en papiers contrefaits de tous genres, le Mouvement de Libération Nationale pour toute la France [75].
Le service clandestin est créé en priorité en direction des enfants. A cet effet, l’organisation se divise en trois niveaux. Marc Amon conduit un service de dépistage, accompagné de Monsieur et Madame Melamed, un couple parlant parfaitement le Yiddish. Immergés dans les quartiers Juifs de la capitale, ils tentent de se porter au secours des familles qui souhaitent leur remettre leurs enfants. Freddy Menahem explique :
" Ils parlaient le Yiddish, ils parlaient le Français aussi, bien entendu. Nous nous sommes occupés en priorité des enfants E.I. que nous connaissions directement et qui se trouvaient dans une période particulièrement délicate. Par exemple, les Juifs d’origine grecque qui ont été arrêtés, qui ne portaient pas l’étoile, qui avaient été dispensés de l’étoile mais qui ont été arrêtés brutalement le 8 novembre 1942, ont vécu ensuite dans une clandestinité totale, alors, ces enfants-là, nous les connaissions, on s’en est occupé en priorité. [76]"
Un deuxième service recherche des lieux où cacher les enfants et organise le transport. Enfin, un suivi des enfants est assuré par une troisième équipe qui a la charge de régler les pensions et de s’assurer de leur bien-être. L’organisation est cloisonnée entre les différents services de sorte qu’on ne puisse pas retrouver les enfants en cas d’arrestations. Freddy Menahem prend contact avec Monseigneur Grenthe, archevêque du Mans, qui lui ouvre les portes d’institutions pour placer les enfants, et lui adresse une liste des mairies de la Sarthe susceptibles de fournir des éléments utiles à la fabrication des faux papiers et d’indiquer des familles qui prendront des enfants. Dans la Sarthe, le Président du Secours National apporte également une aide précieuse. La Sixième couvre une demi- douzaine de départements à l’Ouest et l’Est de Paris. Une centaine d’enfants sont placés entre l’Oise et la Seine et Marne.
En 1944, la Sixième en zone occupée participe au sauvetage de quelques enfants dans les centres de l’U.G.I.F.. Serge Akerberg décrit ces opérations de kidnapping : " Il s’agissait de retirer des maisons de l’U.G.I.F., des gosses connus de la Gestapo, où ils étaient menacés. Pour ne pas éveiller les soupçons, il fallait procéder très progressivement. Des réunions hebdomadaires avaient lieu avec Juliette Stern du Service social de l’U.G.I.F., qui donnait les informations nécessaires. Puis, à l’occasion d’une visite chez le dentiste, un ou deux enfants étaient kidnappés et mis à l’abri à la campagne. [77]"
3.3.2. L’activité clandestine à l’ombre de l’organisation légale - La particularité des Eclaireurs Israélites en zone occupée est qu’ils ont pendant la quasi totalité de l’occupation continué à faire vivre le judaïsme à travers les activités scoutes. Célébrant les fêtes juives à l’occasion desquelles les différentes organisations envoyaient des enfants pris en charge dans leurs circuits officiels. Dans les locaux de la rue Claude Bernard, ces activités se poursuivent sous le couvert de l’U.G.I.F.. jusqu'à l’arrestation de Fernand Musnik en juillet 1944 :
" Il y avait une vie officielle, les jours où nous nous transformions en éclaireurs, cest-à-dire en responsables des E.I, ces jours-là, nous avions notre véritable identité, nous allions rue Claude Bernard, (...) nous sortions avec le chapeau à quatre bosses, avec des foulards de scouts, avec des bonnets de David sur la poitrine, avec les tables de la Loi sur le chapeau, nous avons été jusqu'à à peu près 600. (...) Mais les visages changeaient tout le temps, cest-à- dire que quand les gens ne se représentaient pas dans leur troupe ou dans leur section, nous savions quils étaient à Drancy ou ailleurs. Cela, c’était la ligne officielle. (...) Et nous avions une vie clandestine, c’est-à-dire, une autre identité pour habiter dans des endroits cachés. Nous n’habitions plus chez nos parents, nous avions une fausse identité avec laquelle nous faisions notre trafic. [78]"
Ces activités se déroulaient rue Claude Bernard où Fernand Musnik avait trouvé un local. Les habitants des immeubles qui donnaient sur la cour, ont vu défiler les troupes entonnant des chants en hébreu, mais sans dénoncer personne. Après l’arrestation de Fernand Musnik, les Allemands ont semblé oublier les E.I.
3.3.3. Micheline Bellair : une aide précieuse au service des E.I. en zone occupée[79] - Micheline Bellair appartenait avant guerre à la Fédération Française des Eclaireuses. Fréquemment en rapport avec le scoutisme israélite, c’est presque naturellement qu’elle décida de prêter main forte aux éclaireuses israélites dès le début de la guerre. En 1940, après trois ans à Florence, elle obtint une agrégation d’italien, mais mesurant la gravité de la situation, mit son diplôme en suspens et décida de s’inscrire dans une école de service social. En 1941, son diplôme obtenu, elle put intégrer le Groupement d’Action des Services Sociaux de la Seine, le G.A.S.S. Entre 1940 et 1942, elle s’occupe du scoutisme israélite. Son activité au sein du G.A.S.S. lui permet d’obtenir par le biais du Service social du Centre d’Hébergement de la Préfecture de la Seine, le Centre Alexandre Luquet situé rue Nationale, une carte de la Préfecture très utile pour les déplacements avec les enfants.
Elle commence à prospecter dans les villages de Normandie pour trouver des lieux de placement pour les enfants. Elle est à Paris lors de la rafle du Vel d’Hiv. Elle est internée volontaire à Beaune-la-Rolande. Dès son retour de ce camp, où elle a assisté à la séparation des mères et des enfants et au départ des convois, elle entreprend, secondée par les cheftaines E.I, de cacher le plus d’enfants possible. Elle développe tout un réseau en Normandie avec l’aide des assistantes sociales non-juives de la Préfecture :
" On allait voir dans les villages, le maire, le curé, l’instituteur et on demandait : " Dans quelle famille pensez-vous que nous puissions mettre tel enfant ? Devons-nous avouer qu’il est Juif ou ne rien dire ? " De toutes façons, ils avaient de faux papiers, de fausses cartes d’alimentation que faisait le Service Social des Jeunes avec Loutre et Menahem (Girafe). [80]"
Micheline Bellair cache des enfants pour plusieurs organisations juives dont l’O.S.E. Les enfants sont déposés chez des concierges dans le quartier de la gare Montparnasse :
" Et les braves concierges, dont je n’ai plus les noms me décousaient les étoiles, et toute la journée répétaient à l’enfant : " tu ne t’appelles plus Jacob, tu t’appelles Jacques. [81]" "
Arrivés en Normandie, les enfants sont déposés à la beurrerie près de la gare de Vire. Puis un à un, Micheline Cahen et les cheftaines emmènent les enfants sur le porte- bagages des bicyclettes vers les familles de paysans prêtes à les accueillir. Micheline Cahen évoque ainsi un problème survenu avec un enfant à cause d’une querelle de voisinage :
" Ils [deux voisins dont lun cachait un enfant] se sont disputés et pour se venger lagresseur est allé à la Kommandantur dire " Mon voisin cache un enfant juif. " On a pensé quelle allait se déplacer, mais entre temps linstituteur ma vite téléphoné à Paris. Donc jai pris le premier train et je suis allée là-bas. (...) Linstituteur mattendait. (...) Dabord le maire ma dit : " Il sappuie sur le fait que lenfant ne va pas au catéchisme le jeudi. (...) Alors, jai été voir le curé, et le curé ma dit jen fais mon affaire. Alors la Kommandantur est arrivée le lendemain. Jétais encore là. Elle est allée voir le curé (...) qui leur a dit : " Ah, vous vous étonnez quil ne vienne pas le jeudi au catéchisme ? Quest-ce que vous voulez, cest un petit parisien, ils savent tout ! Il en sait plus que moi !
" Qu’est-ce que vous voulez que je lui apprenne ? Je ne peux pas le mettre au niveau des enfants d’ici : il est beaucoup trop doué. Mais par contre, ce que vous n’avez pas l’air de savoir, c’est que je le prends tout seul, le jeudi soir, après le départ des autres, pour le faire travailler plus avant. " Alors, ils se sont contentés de ça, par miracle, et ils sont partis. Mais à partir de là, le second miracle, c’est que le curé a appris l’hébreu à l’enfant ! Il l’a pris effectivement tous les jeudis à 17h30 et il lui a appris l’hébreu.[82] "
3.4. Les chiffres - [83]
Laboratoire des faux papiers:
1/04/1943 | 1/06/1943 | 1/09/1943 | 1/12/1943 | 1/03/1944 | 1/03/1944 | |
Nombre de cachets utilisés | 20 | 45 | 80 | 140 | 250 | 700 |
Nombre de jeux d'identité délivrés par mois | 150 | 300 | 420 | 500 | 700 | 1500 |
Synthétisation/Doublage :
1/01/1944 | 1/03/1944 | 1/06/44 | 1/08/44 | |
Nombre de cachets utilisées | 2 | 10 | 35 | |
Nombre de jeux d’identité délivrés par mois | 50 | 180 | 250 | 400 |
1/04/1943 | 1/12/1943 | 1/03/1944 | 1/05/1944 | 1/06/1944 | |
Places disponibles | 10 | 120 | 370 | 410 | Transports impossibles |
Nombre d’enfants cachés | 8 | 92 | 110 | 190 | 240 |
Nombre de visites aux enfants | 3 | 60 | 160 | 170 | Déplacements impossibles |
Statistiques du service des adultes :
1/04/1943 | 1/12/1943 | 1/05/1944 | 1/08/1944 | |
Familles secourues régulièrement | 3 | 30 | 88 | 350 |
Secours distribués par mois | 5 000 | 10 000 | 90 000 | 220 000 |
Animé par des jeunes entre 16 et 20 ans, soudés par leurs activités communes et leur vie scout, le mouvement des Eclaireurs Israélites de France fut l’une des organisations juives principales dans le sauvetage des enfants Juifs qui a constitué pendant les années de guerre leur principale activité. Comme le signifie Liliane Klein-Lieber :
" Combattant sans armes, garçons et filles frôlent mille fois la mort parcourant la France à la recherche de cachettes pour ceux dont ils assument la responsabilité. Travail anonyme, ardu, accomplissement d’un devoir. Les Eclaireurs Israélites de France sont déjà préparés à cette tâche. Leur devise était " servir ". Elle le restera jusqu’au bout. [84]"
Au sein de la Sixième en zone libre comme en zone occupée, plus de cent cinquante responsables du mouvement furent arrêtés. Les E.I. qui avaient su placer, dès 1939, les enfants issus de familles défavorisées à l’abri des bombardements, ont su tout mettre en œuvre pour les préserver de la déportation.
4.1. A l’origine de l’organisation - Le Comité de la rue Amelot fut un groupement d’organisations tournées vers l’assistance aux populations juives. Il possédait quatre cantines et des dispensaires. Le 14 juin 1940, jour de l’entrée des Allemands dans Paris, une réunion se tient dans le bureau de Léo Glaeser[86] , avocat originaire de Russie. Y participent Glaeser, Reuben Grinberg[87] , Kurtzberg, membre de la F.S.J.F. Elie Tcharnobroda et Madame Ika du Bund, Jacoubovitch de la Colonie Scolaire, Falk Walk de l’O.S.E, Oks et Madame Topcza du Paole Zion de gauche. Le lendemain, se joignent à la réunion Monsieur et Madame Shapiro du Yiddische Vinkl [88]. A l’issue de cette réunion qui rassemble des hommes et des femmes issus de mouvements politiques aux idées divergentes, il est décidé de regrouper en une seule organisation, la Colonie Scolaire, les cantines populaires du Bund, du Paole Zion de gauche, Fédération et Yiddische Vinkl. Le Comité de la Rue Amelot est ainsi fondé le 15 juin 1940. Les oeuvres sociales juives réunies sont donc " La Colonie Scolaire " dont le dispensaire est " La Mère et l’Enfant ", " Les cantines populaires ", " le Foyer Ouvrier Juif ", " Le Foyer Amical " et " La Fédération des Sociétés Juives."
Aucun nom n’est donné à cette nouvelle organisation. Le local du siège de l’organisation étant situé au 36, rue Amelot, à l’emplacement de la Colonie Scolaire, la nouvelle organisation prit le nom de Comité de la Rue Amelot. Celui-ci se singularise dès sa création par son refus d’obtempérer aux exigences de l’occupant. Ainsi, pour la Rue Amelot il n’est pas question ne serait-ce que d’un simulacre de légalité. L’organisation n’est pas enregistrée à la préfecture pour éviter tout contrôle policier ou une main mise sur l’organisation par les Allemands. Elle a été fondée par des hommes de gauche, tous Juifs immigrés travaillant dans l’assistance aux populations et qui ont conscience du danger que fait peser le nazisme sur les communautés juives. C’est également en vertu de ce refus d’obéissance qu’elle ne fera jamais partie de l’U.G.I.F.. dont elle parviendra à obtenir de largent sans y être affiliée.
David Rapoport qui assume la direction de la Rue Amelot dès septembre 1940, est originaire de Russie où il est né en 1883 dans une famille orthodoxe. Il entreprend des études rabbiniques, tout en cultivant un intérêt pour les sciences sociales et la littérature. Il milite au sein du Paole Zion de gauche où il fait ses premiers pas dans la clandestinité. Il parcourt l’Europe avec son épouse puis s’installe à Paris où il monte une petite agence de photographie. Il participe à l’accueil des premiers réfugiés qui ont fui le nazisme. En septembre 1940, il décide de mettre son expérience de l’action clandestine et du travail social au service de la gestion du Comité de la Rue Amelot.
4.2. L’aide sociale - La Rue Amelot dispense aux Juifs étrangers une aide alimentaire et financière importante. Jacoubovitch explique le rôle social déterminant de ces cantines :
" La première année, les cantines fournissaient l’essentiel de l’aide : plus de 1 000 repas quotidiens ou bon marché (3 F). Mais leur rôle social était bien plus grand. C’était le seul endroit où la communauté juive pouvait se rassembler, où l’on pouvait rencontrer ses amis, discuter avec des inconnus. (...) Les directeurs des cantines avaient une forte influence sur leurs clients, elle était même colossale. (...) Par ailleurs, ces mêmes directeurs avaient la possibilité de connaître les peines d’un grand nombre de familles. Ils signalaient à notre comité ceux qui avaient le plus besoin d’aide. [89]"
La cantine de la rue Elzevir sert 10 000 repas en septembre et octobre 1940, dont 2 500 gratuits. A cette même époque, la cantine de la rue Richer en délivre 6 000 repas et celle de la rue Béranger, 5 000. Les cantines de la Rue Amelot distribuent de nombreux repas gratuits. Après les rafles de 1941, des familles entières, privées de ressources viennent y prendre leurs repas.[90] Cette lettre émanant d’une femme dont le mari a été interné en 1941 à Beaune-la-Rolande est tout à fait significative du désarroi dans lequel se trouvent plongées de nombreuses mères qui n’ont d’autre choix que de se tourner vers les organisations juives, dont la Rue Amelot :
"Cher Comité, Mon mari est à Drancy, ça fait déjà neuf semaines. Sans aucun secours je suis resté. Je suis avec gosses. Mon petit garçon est malade, il a la bronchite. Il est très faible, je n’ai pas d’argent pour le soignez. Vous serez gentil de me donnez un secours. Je compte que vous me refuserez pas. Merci d’avance. Recevez monsieur mes salutations distinguées. Signée : Madame Moszkowicz 29, cité industrielle, Paris XI.[91] "
Selon Jacoubovitch, la Rue Amelot distribue, fin 1941 une aide sous forme de repas ou en argent à 1 500 familles. Par le biais de cette assistance, l’organisation assure un suivi quotidien de nombreuses familles dont Rappoport examine personnellement les demandes et dont les enfants pourront intégrer la filière souterraine.
4.3. Le sauvetage des enfants internés dans les camps en zone occupée - [92]
4.3.1. Le camp de Monts - En avril 1941, la Rue Amelot délègue Enéa Averbouh au camp de Monts où 400 Juifs qui avaient passé la ligne de démarcation et s’étaient établis près de Bordeaux furent internés. Marcelle Valensi[93] la rejoint. Elle obtient la libération des enfants du camp qui sont placés dans des familles de la région.
4.3.2. Les enfants du camp de Poitiers - En septembre 1941, Marcelle Valensi est détachée au camp de Poitiers. Officiellement, elle travaille pour la Croix Rouge Française. Cette ouverture dont l’idée est de Rappoport[94] facilite les démarches auprès des autorités et administrations locales. Avec l’aide du rabbin Bloch, elle entreprend de faire libérer les enfants du camp. Claude Lévy a relevé qu’à partir du 15 juillet 1941 jusqu'à la veille de la première déportation, 195 enfants qui représentent près de 27 % des internés du camp y sont enfermés.[95] Marcelle Valensi et le rabbin Bloch parviennent à faire libérer entre le 24 novembre 1941 et le 3 janvier 1943, 106 enfants. Parmi ces enfants, 88 sont transférés dans les centres de l’U.G.I.F.. où 53 d’entre eux seront repris dans les rafles de 1944[96] . Les autres ont été placés dans des familles du Poitou que la Rue Amelot rémunère à concurrence de 10 Francs par jour et par enfant.
4.4. Cacher les enfants - La Rue Amelot préconise aux parents avant la Grande Rafle du Vel d’Hiv, de cacher les enfants en province, et dès cette époque prend à sa charge les frais de placement quand les parents ne peuvent subvenir seuls aux besoins des enfants. Mais elle se refuse dans un premier temps à confier des enfants à des non-juifs.
4.4.1. Le tournant du 16 juillet - La Rue Amelot prend en charge des enfants quelques jours avant et après la rafle du Vel d’Hiv. C’est le cas de la famille de Georges Gutman. Né en 1931, issu d’une famille polonaise arrivée à Paris en 1930, il est emmené dans une famille de paysans dans le Maine et Loire quelques jours après la rafle du Vel d’Hiv. Ses parents sont visités régulièrement par une assistante sociale de la Rue Amelot , Mademoiselle Rosenthal, qui leur apporte une aide financière leur permettant de subsister. Georges Gutman se souvient des conditions dans lesquelles s’est effectué son départ à la campagne :
"(...) Mademoiselle Rosenthal a proposé à mes parents de nous envoyer à la campagne (...). Hésitation de mes parents, bien sûr, mais nous sommes tout de même partis, nous avons quitté Paris. Nous étions tout un groupe de gosses. Mon frère, moi et d’autres encore. Et celle qui nous conduisait était censée être une infirmière. " Elle nous répartissait chez des paysans à la campagne. C’est elle qui devait payer les paysans, c’est elle qui avait les adresses dans sa tête et elle ne faisait que ça. Après nous, elle faisait d’autres voyages, avant nous, elle en avait certainement fait beaucoup d’autres. [97]"
Les dirigeants de la Rue Amelot ont été avertis de la rafle du Vel d’Hiv :
" Nous avons eu connaissance, bien avant le 16 juillet, des préparatifs d’une énorme rafle qui devait avoir lieu aux environs du 14 juillet. On savait qu’une nouvelle fois les Juifs étrangers seraient concernés, et que cette fois les hommes et les femmes jusqu'à un certain âge seraient touchés. On ignorait quelles catégories seraient visées, les limites d’âge et le sort des enfants. Le comité " Rue Amelot " a répondu la nouvelle à travers la ville et a recommandé de se cacher. " Malheureusement cette mise en garde fut reçue avec un certain scepticisme par un grand nombre de Juifs. Ne pas savoir qui était visé à beaucoup gêné la prise au sérieux de la mise en garde.[98]
Au même moment, Rappoport et Jacoubovitch obtiennent avec le concours d’André Stora, la carte de légitimation de l’U.G.I.F..[99] Elle leur parvient le 5 août et permet au comité de reprendre ses activités. Jusqu’en juillet 1942, la Rue Amelot a tenté de sensibiliser la communauté juive sur la nécessité de mettre les enfants à l’abri dans des familles à la campagne, quitte à subvenir à leurs besoins. A partir de la rafle du Vel d’Hiv, est créé en priorité au sein du comité un service spécial destiné au camouflage des enfants, avec à sa tête Jacoubovitch.
4.4.2. Organisation du service enfance - Le service de l’enfance tourne autour de Jacoubovitch assisté par Berthe Zysman future Madame Dutruel. Jeune femme polonaise, couturière, elle décide de venir en aide aux Juifs dès les premières arrestations de 1941. Sur les conseils de Rappoport, elle se rend à l’U.G.I.F.. puis revient à la Rue Amelot où elle travaille à la cantine de la rue Elzévir, où elle est chargée de distribuer des sommes allouées aux familles nécessiteuses, avant de présider avec David Rapoport et M. Byl[100] à la fabrication des faux papiers dont sont dotés enfants et adultes. Des placements sont trouvés pour les enfants, de préférence à la campagne. La Rue Amelot prospecte prioritairement dans les départements de la Seine et de la Seine et Oise, Jacoubovitch en explique la raison :
" La surveillance des enfants était plus facile dans le département de la Seine et celui de la Seine et Oise. Selon la définition allemande du " Grand Paris " les Juifs pouvaient circuler dans ces deux départements mais en dépasser les limites leur était interdit. La seule sentence en cas de désobéissance était la déportation.[101] "
Pour ne pas compromettre la sécurité des collaborateurs de la Rue Amelot, des non- juifs principalement sont en charge de cette tâche. Au mois de juillet 1942, la Rue Amelot ne possède aucun lieu où cacher les enfants. C’est dans la confusion et l’urgence que se met donc en place ce service. Comme l’explique Jacoubovitch :
" Il y avait bien quelques adresses en région parisienne, mais elles étaient utilisées par la Colonie Scolaire comme lieux de repos pour les enfants affaiblis. Les premières recherches ont été effectuées à partir de là en région parisienne, puis on a eu la chance d’entrer en contact avec la province. [102] "
Les enfants arrivent au dispensaire après chaque rafle. Arrachés à leurs parents, ils partent vers leur lieu de planquage. Jacoubovitch relate ainsi les circonstances dans lesquelles arrivaient les enfants après les rafles :
" Des femmes aux yeux effrayés et à l’assurance brisée, qui avaient réussi à se sauver avec leurs enfants au milieu de la nuit, nous les amenaient. Elles n’avaient pas dormi, tremblaient de froid et nous les abandonnaient le plus vite possible afin de trouver une cache pour elles-mêmes. Parfois, les enfants nous étaient amenés par des voisins chrétiens qui les avaient enlevés à leurs parents à la dernière minute, souvent arraché avec scandale des mains des policiers et parfois avec leur accord. Des parents, ils ne recevaient qu’une seule recommandation, une adresse : 36, rue Amelot. La séparation d’avec leurs parents, ou même d’avec leur tuteur provisoire provoquaient des scènes déchirantes. Surtout lorsqu’il s’agissait de tout petits enfants. Il n'était pas rare, en ces jours particuliers, qu’au milieu des adultes désemparés surgisse un enfant qui demandait à voir Rapoport, car ce nom lui était familier. Il était envoyé par une mère cachée dans une cave et lui-même gelé et n’ayant pas dormi, pour demander du secours pour elle et l’enfant. " C’était tout mais nous savions ce que cela signifiait : envoyer quelqu’un vers la mère et emmener l’enfant ailleurs. Cela se terminait toujours par des pleurs hystériques. [103] "
En quelques minutes, les responsables de la filière doivent résoudre les parents à leur abandonner complètement leurs enfants, ce qui ne va pas sans poser de problèmes. La filière du sauvetage des enfants est structurée autour de trois axes : camouflage au sein de familles non-juives, hébergement à l’Orphelinat de la Varenne et enfin placement dans des familles juives. Berthe Zysman explique le fonctionnement du planquage des enfants :
" A l’époque, on ne pouvait pas disposer de papiers attestant de la planque des enfants. Il fallait que nous conservions tout dans notre tête. Le téléphone, les adresses, le nom des enfants, le nom des nourrices, tout cela était dans notre tête. Il n’y avait aucun agenda, aucune liste. Il ne devait y avoir aucune trace de ces enfants. C’était terrible. Rapoport, par mesure de sécurité avait imposé aux mères de ne pas connaître l’adresse où se cachaient leurs enfants. Moi, bien entendu, je le savais et mon rôle consistait, avec Jacoubovitch, à planifier le sauvetage, dans le plus grand secret pour que ces enfants ne risquent pas d’être arrêtés.[104] "
La Rue Amelot procède à une enquête avant de confier les enfants. Puis, les assistantes sociales les convoient vers leurs familles d’accueil. Le secrétariat est assuré par deux jeunes femmes, Marie et Bella qui seront déportées en 1944 ainsi que par Berthe Zysman. Il permet d’assurer via le dispensaire de la Mère et l’Enfant, une correspondance entre les parents et les enfants. La Rue Amelot met en place un fichier comportant des numéros attribués aux enfants. Sur ce fichier apparaît le nom de l’enfant, son âge, la situation de sa famille. L’adresse des parents et des enfants placés à la campagne est codifiée. Par mesure de sécurité, une copie du fichier est confiée à Madame Chevalley,[105] qui sert également d’agent de liaison entre la zone libre et la zone occupée.
Le financement de l’action clandestine est financé principalement par le Joint. Rapoport pour que le Comité de la Rue Amelot puisse supporter l’ensemble des actions auxquelles il s’est voué, contracte régulièrement des emprunts sur son nom, en attendant que les fonds rentrent. Le cercle des Juifs français de New-York a également proposé son aide, sans qu’une suite puisse être donnée. La Rue Amelot parvient à utiliser des fonds en provenance de l’U.G.I.F.. Les Quakers lui allouent également une somme d’argent. Jacoubovitch indique qu’en 1943, la Rue Amelot dépensait pour l’ensemble de ses activités 1 000 000 de francs par mois.[106]
4.4.3. Placement dans des familles non-juives - Le suivi des enfants pour les départements de l’Oise et de la Seine et Oise est assuré par deux femmes, les Docteurs Opolon et Levinson. Les assistantes se rendent auprès des enfants deux fois par mois dans la mesure du possible :
" Elles voyageaient des journées entières vers les petites villes et les petits villages où ils se trouvaient. [107] "
Pour les départements les plus éloignés, cette tâche était confiée à des non-juives. Ainsi, Madame Flament a assuré le planquage et le suivi d’une soixantaine d’enfants dans la Nièvre et la Sarthe. Parallèlement à ses activités au sein de la Rue Amelot, elle travaille dans un dispensaire du quartier du Marais où elle est chargée de placer les enfants de parents tuberculeux à la campagne. Cette tâche lui permet d’avoir de nombreux contacts avec des familles de la Nièvre. Avec les premières mesures anti-juives, des familles du quartier lui confient leurs enfants. Elle place ainsi une centaine d’enfants clandestinement. Elle entre alors en contact avec la Rue Amelot, pour laquelle elle sera une des principales convoyeuse d’enfants[108] . Camille Laborde, assistante sociale du refuge de la Préfecture de la Seine, aidée de deux autres assistantes sociales, Mademoiselle Beller et Mademoiselle Mention, ainsi que Marthe Laborde, assistante sociale à l’hôpital intercommunal de Créteil et Jeanne Laborde, assistante sociale à la mairie de Créteil cachent et visitent les enfants dans la Sarthe, l’Ille-et-Vilaine, la Manche et la Mayenne, les départements les plus éloignés. Marthe Laborde, membre du réseau de résistance Libération-Vengeance, cacha elle aussi plus de 200 enfants juifs. Membre de la Croix Rouge, elle hébergeait à son domicile la famille Musnik et lors de la rafle du Vel d’Hiv, elle prit en charge la famille Goldenberg qui comptait quatre enfants en bas âge.
Au début de l’année 1942, elle avait été contactée par Madame Getting, responsable du Service de placement des enfants à l’U.G.I.F., qui lui avait demandé de placer des enfants à la campagne dans des familles non-juives. Puis elle fut amenée à travailler pour la Rue Amelot. Elle explique comment elle procédait au sauvetage des enfants :
" Mes absences étaient justifiées dans mon service, chaque fois que j’accompagnais un ou deux enfants en convalescence, j’en profitais pour emmener quelques enfants juifs. (...). Nous communiquions par téléphone, avec l’Orphelinat ou la Rue Amelot. Le rendez-vous était pris à la gare. ; le personnel juif n’avait pas le droit de voyager, j’emmenais donc seule six ou sept enfants. S’il y en avait davantage, ma belle-s?ur m’aidait. Bien entendu, nous avions décousu l’étoile jaune de leurs vêtements. (...) " Ceux que je plaçais gardaient leur nom, mais nous avions à la mairie de Saint-Maur, un " spécialiste " qui effaçait le tampon " juif " sur les pièces d’identité. C’était indispensable pour l’obtention des cartes de ravitaillement dans les localités d’accueil. Dans l’ensemble, les familles ignoraient que les enfants étaient juifs, mais les instituteurs s’en doutaient. [109] " .
A l’échelon local, des maires, instituteurs, religieux gardent un œil vigilant sur les enfants. Monsieur Ricordeau, instituteur dans la Sarthe adressait à la Rue Amelot des rapports réguliers concernant les enfants cachés dans le département. A Versailles, Monsieur Leroy, membre de la Société des Amis des Quakers venait lui-même rendre visite aux enfants placés dans la ville.[110] Jacoubovitch explique la difficulté de cette organisation :
"Nous naurions jamais pu réaliser ces opérations de sauvetage denfants et dadultes sans laide de la population non-juive. En région parisienne, le service de lenfance pouvait agir avec des collaborateurs juifs aidés par des chrétiens. Mais en province, la situation était différente. Nous ne pouvions pas nous y rendre quen courant dénormes dangers. Nous navions pas le droit de jouer avec la vie de collaborateurs dont le dévouement et lhonnêteté nauraient pu être que très difficilement remplacés. Nous ne pouvions trouver en province des collaboratrices chrétiennes permanentes comme à Paris.
" Chaque fois que l’une d’elle acceptait le poste, elle en démissionnait rapidement en raison du nombre important d’endroits à visiter. En effet, nous nous efforcions de ne concentrer que très peu d’enfants un même village. Nous devions nous contenter d’inspectrices de hasard, d’assistantes sociales, d’organisations chrétiennes qui acceptaient cette charge en plus de leur travail ou encore de leur bénévolat. L’aide spontanée nous arrivait d’inconnus ou du Ministère de la Santé des provinces nous réjouissait tout particulièrement. Nous prenions contact avec eux pleins de méfiance et nous apercevions vite que nous avions affaire à des amis.[111] "
Des chrétiens viennent parfois directement au 36, rue Amelot pour proposer d’héberger chez eux des enfants. Ce fut le cas de Madame Duchesne à qui il fut décidé de confier deux fillettes. De même, en région parisienne, Madame Dufresnes, infirmière à Créteil, Monsieur et Madame Noël à La Varenne prirent des enfants sous leur responsabilité. Un document relatif au placement des enfants fait état de 313 enfants placés dans 23 départements différents dont 50 en Seine et Oise, 95 dans la Nièvre, 24 dans le Loir et Cher, 16 dans le département de la Seine, 13 à Paris, 23 dans l’Orne, 8 en Ille-et- Vilaine, 10 dans la Manche.[112]
4.4.4. L’orphelinat de la Varenne - Cet orphelinat, centre de lU.G.I.F.. fut pour la Rue Amelot une plaque tournante dans le sauvetage des enfants. Après la création du Comité, la Colonie Scolaire se vit confier la gestion de l’Orphelinat de la Varenne où elle fit réaliser de nombreux travaux de construction afin d’augmenter les capacités d’accueil du centre. Le Docteur Wolf Perel, né en Pologne en 1913 est détaché à l’orphelinat par Madame Youchnovetzki -Madame Y .- et Monsieur Byl en qualité de médecin et de surveillant. Madame Y.[113] s’occupe des problèmes sociaux au sein du centre, tandis que son époux est en charge du suivi médical des enfants du centre. Wolf Perel restera à l’orphelinat pendant les années 1942 et 1943, alors qu’est créée la filière souterraine de la Rue Amelot pour les enfants.
Le Service de l’Enfance y place des enfants pour quelques jours quand elle n’est pas en mesure de les évacuer immédiatement vers les familles où ils demeureront cachés. Jacoubovitch se souvient " qu’une trentaine d’enfants se trouvaient en permanence dans ce centre. " Madame Boyer évoque ainsi ces enfants dont elle eût à s’occuper : " C’était pour la plupart des enfants dont les parents avaient été déportés. On les conduisait à la Varenne. Moi, je m’en occupais, je changeais leurs vêtements, je faisais leur toilette. Ils étaient en général pleins de poux.[114] "
En 1943 avec les premières arrestations dans les centres de lU.G.I.F., la Rue Amelot décide d’évacuer les enfants et de les placer à la campagne. Entre le 3 et le 6 mars 1943, dix-sept enfants répartis en trois groupes, sont évacués et placés à la campagne. Madame Flament assure leur convoyage dans des familles de la Nièvre. En 1944, dix-huit enfants de cette institution furent déportés. Il n’est pas possible d’établir si certains d’entre eux étaient des enfants placés provisoirement par la Rue Amelot . La Rue Amelot fut incontestablement la première organisation clandestine, dont le premier acte de résistance fut de ne pas se déclarer en juin 1940. Elle parvint à soustraire un millier d’enfants à la déportation. En ce qui concerne les enfants cachés par la Rue Amelot , il est difficile d’évaluer combien furent arrêtés, notamment à l’Orphelinat de la Varenne. Organisation dont le but premier était l’assistance, elle était plongée au cœur de la réalité des Juifs immigrés et fut une des organisations les plus à même de les secourir. Le sauvetage des enfants par la Rue Amelot est devenue légendaire. Avec l’arrestation de Rapoport le 1er juin 1943, les activités de la Rue Amelot furent provisoirement confiées au Docteur Minkowski de l’O.S.E, puis reprirent. Le secrétariat fut assuré par Mademoiselle Papino depuis son domicile, en raison de la surveillance exercée par la Gestapo. En zone occupée, l’organisation fut une des plus importantes pour le sauvetage des enfants.
Toutes les organisations juives qui ont œuvré pour le sauvetage des enfants ont fait leurs premiers pas dans la clandestinité au c?ur de la tourmente :
" Habituellement, quand une action est à entreprendre dans un domaine quelconque, celui qui en a pris l’initiative y réfléchit longuement et contacte les gens qui lui semblent les mieux qualifiés pour y contribuer. Rien de cela n’est à l’origine de ce qui sera connu par la suite comme la Sixième où tout a dû être improvisé d’une minute à l’autre et sans qu’aucun des participants n’est eu au préalable, la moindre compétence en ce domaine. [115]"
Ce propos de Denise Lévy s’applique à toutes les organisations juives qui ont travaillé à la survie des enfants pendant la seconde guerre mondiale. Mais cette dimension est sans doute la plus difficile à restituer à posteriori. Prenant des enfants tous azimuts, ces organisations aux orientations politiques et idéologiques différentes ont su sauver la vie à des milliers d’enfants confiés in extremis par leurs parents ou des tiers. Pendant les quatre années de la guerre, l’ensemble des organisations juives, soutenues par de nombreux Français, ont développé une immense chaîne de solidarité, les unes palliant les manquements des autres.
Sommaire - Introduction - I Enfants cachés, enfants en danger - II Les organisations juives - III Deux organisations laïques - IV Juifs et chrétiens - V Le réseau Marcel dans la région de Nice - VI La Maison de Sèvres - VII Conclusion - VIII Bibliographie - Iconographie
[1] Lucien LAZARE, la Résistance juive en France, Editions Stock, Judaïsme Israël, Paris, 1987, 424 pp, p 191
[2] Idem
[3] La littérature concernant l’U.G.I.F.. est peu abondante. Le livre de Maurice RAJSFUS, Des Juifs dans la Collaboration, L’U.G.I.F.. 1939-1944, Editions E.D.I., Paris, 1980, 403 pp est peut-être lunique ouvrage à traiter de lU.G.I.F.. en exclusivité. Maurice RAJSFUS est journaliste. Né en 1928, il avait 14 ans lorsque ses parents, Juifs polonais, ont été déportés vers Auschwitz doù ils ne sont pas revenus. Il est le seul à avoir tenté dès 1980 un dépouillement systématique des archives de lU.G.I.F.. Ce livre a suscité une véritable polémique au sein de la communauté juive pour sa prise de position concernant le rôle de lU.G.I.F.. dans la Solution Finale. Outre celui-ci, les deux principaux ouvrages concernant l’U.G.I.F.. sont celui de Jacques ADLER, Face à la Persécution, les organisations juives de Paris, Editions Calmann-Lévy, Paris, 1985, 328 pp, et celui de Richard COHEN, The Burden of conscience. Voir également, Bernard FRIDE, Une mauvaise histoire juive, Editions Ramsay, Paris, 1991 et Raymond-Raoul LAMBERT, Carnet d’un témoin, Editions Fayard, Paris, 1985.
En ce qui concerne lU.G.I.F.. voir aussi le bulletin n° 6 des Enfants Cachés, Rencontre avec Serge Klarsfeld article de Betty KALUSKI-SAVILLE et LU.G.I.F.. les actes, daprès Bernard FRIDE, Les Enfants Cachés, Bulletin n° 7.
[4] Préface de Pierre VIDAL-NAQUET pp 10-21, in Maurice RAJSFUS, Des Juifs dans la Collaboration, L’U.G.I.F.. 1939-1944, Editions E.D.I., op. cit. pp 20-21
[5] C.D.J.C. CMXX-20
[6] C.D.J.C. CMXX-20, source YIVO code 210
[7] Cf. Article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Les enfants de l’U.G.I.F.. en région parisienne, daprès une conférence de Jean LALOUM, jeudi 10 avril 1997. Les Enfants Cachés, Bulletin n° 19, juin 1997, p 3.
[8] CDJC-XLVIII
[9] CDJC-CDXXX-39
[10] Voir Partie 2, Chapitre III
[11] Cf. Article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Les enfants de l’U.G.I.F.. en région parisienne, daprès une conférence de Jen LALOUM, jeudi 10 avril 1997. Les Enfants Cachés, Bulletin n° 19, juin 1997, p 3.
[12] Témoignage de Freddy MENAHEM, Paris, le 2 avril 1997.
[13] Idem
[14] D’après Jacques ADLER, Les Organisations juives de Paris, op. cit, pp 149-150.
[15] Idem p 149, voir en particulier, Les Foyers de l’U.G.I.F.. et le sort des enfants pp 148-154.
[16] Jacques ADLER, Face à la Persécution, les organisations juives sous Vichy, op. cit. p 156
[17] André KASPI, Les Juifs pendant l’occupation, Editions du Seuil, 1991, 421 pp, pp 347-348.
[18] Article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Les enfants de l’U.G.I.F.. en région parisienne, d’après une conférence de Jean LALOUM, jeudi 10 avril 1997, art. cit. p 3, indique 42 enfants. Selon Serge Klarsfeld " environ 35 d’entre eux ont été déportés. " Voir l’article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Rencontre de janvier : l’U.G.I.F.. avec Serge Klarsfeld, Les Enfants Cachés, Bulletin n° 6, mars 1994, p 2.
[19] D’après les chiffres établis par Serge Klarsfeld, Mémorial de la Déportation des Enfants Juifs de France, op. cit.
[20] Article de Betty KALUSKI-SAVILLE, Rencontre de janvier : l’U.G.I.F.. avec Serge Klarsfeld, Les Enfants Cachés, Bulletin n° 6, mars 1994, p
[21] Georges EDINGER est le successeur d’André BAUR à la tête de l’U.G.I.F..
[22] Jacques ADLER, Face à la persécution : les organisations juives de Paris, op. cit. p 154.
[23] Tableau et données chiffrées d’après Serge Klarsfeld
[24] La plupart des archives concernant l’U.G.I.F.. se trouvent à lInstitut YIVO à New-York. Depuis quelques années le C.D.J.C. possède une copie de ces documents sur microfilm.
[25] Entretien avec Georges LOINGER réalisé par Irène SAVIGNON-VALACHS, le 17 mai 1983 pour les Enfants Cachés.
[26] Né en 1885 en Russie, Eugène MINKOWSKI arrive en France en 1915 où il poursuit des études de psychiatrie. Il devient en 1933 membre de l’Union O.S.E. et publie quelques ouvrages dont le Temps Vécu.
[27] Née en 1895 à Saint-Petersbourg, elle est la fille de Maxime VINAVER, député juif à la Douma et premier mécène de Marc CHAGALL. Docteur en médecine, Valentine CREMER est collaboratrice bénévole de l’O.S.E. dès 1915. Ne pouvant exercer son métier de médecin en raison des statuts des Juifs, elle travaille en tant que radiologue à l’hôpital Rothschild.
[28] Juif d’origine polonaise, Falk WALK est né à Saint-Petersbourg en 1883. Il est un collaborateur dévoué de l’O.S.E. dès sa création, et membre du comité directeur depuis le transfert du siège de l’œuvre à Berlin.
[29] Enéa AVERBOUH, originaire de Bessarabie russophone, arrive en France en 1929. De 1930 à 1939, elle anime les patronages de la baronne de Rothschild dans le XIème arrondissement. A la déclaration de la guerre, elle procède à l’évacuation des enfants à Coutrat en Gironde. De retour à Paris, elle intègre l’O.S.E.
[30] Il s’agit du patronage de la place des Vosges.
[31] Témoignage de Valentine CREMER, citée par ZEITOUN Sabine, in L’Œuvre de Secours aux Enfants sous l’occupation en France, op. cit. p 41.
[32] Témoignage de Simone KAHN, citée par Sabine ZEITOUN, in L’Œuvre de Secours aux Enfants sous l’occupation en France, op. cit. p 43
[33] Témoignage d’Enea AVERBOUH, cité par Sabine ZEITOUN, in L’Œuvre de Secours aux Enfants sous l’occupation en France, op. cit. p 43
[34] Témoignage de François ROSENTHAL recueilli par Robert FRANK, pour les Enfants Cachés, le 10 janvier 1995.
[35] Il s’agit de l’assistante sociale de l’O.S.E., qui a convoyé les trois enfants ROSENTHAL et les a placés dans le Maine et Loire.
[36] Témoignage d’André ROSENTHAL recueilli par Robert FRANK pour les Enfants Cachés, le 19 janvier 1995.
[37] Idem
[38] Article de Jean Laloum, Une résistante de l’O.S.E. en zone nord, Enéa AVERBOUH, Les Enfants Cachés Bulletin n° 7, juin 1994
[39] C.D.J.C. XXVIII-159
[40] Allocution du docteur Eugène MINKOWSKI, citée in L’Œuvre de Secours aux Enfants sous l’occupation en France, op. cit. p 55. D’après, Docteurs MINKOWSK, BESSIERE, CREMER et ALPERINE, Du temps de l’étoile jaune, A. Montourcy, avril 1945, 46 pp
[41] Nous reviendrons sur l’action menée pendant la guerre par Georges LOINGER dans le cadre du passage des enfants en Suisse, dernier maillon du circuit Garel.
[42] Biographie établie d’après le Bulletin n° 13, décembre 1995 , Les Enfants Cachés, Georges Garel l’organisateur du circuit clandestin de l’O.S.E.
[43] D’après Anny LATOUR, La Résistance juive en France, Chapitre 4, Les Réseaux de la Résistance juive, Les réseaux souterrains de sauvetage d’enfants, p 59
[44] Idem p 147
[45] Idem. Selon Sabine ZEITOUN, Monseigneur THEAS est arrêté au printemps 1944 et interné au camp de Compiègne. Le 2 décembre, le presbytère de la commune de Montpeza dans le Tarn-et-Garonne est incendié.
[46] Nous aurons l’occasion de revenir longuement sur le Secours National dans le cadre du chapitre concernant la Maison d’Enfants de Sèvres (Partie III, Chapitre II).
[47] In Anny LATOUR, La Résistance juive en France, op. cit., p 65
[48] Tableau établi d’après le Bulletin n° 13, Les Enfants Cachés, décembre 1995 p 3
[49] Peu d’ouvrages existent à l’heure actuelle sur les Eclaireurs Israélites de France pendant la guerre. Le mémoire de maîtrise d’Alain MICHEL, sous la direction d’Antoine PROST et Michel LAUNAY, Les Eclaireurs Israélites de France pendant la Seconde Guerre mondiale septembre 1939-septembre 1944, Action et Evolution, , Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, Centre de Recherche d’Histoire Sociale et Syndicale, année Universitaire 1981-1982, pp fut un ouvrage pionnier, mais une monographie sur l’action des E.I. au niveau du sauvetage des enfants reste à faire. Sur cette organisation, on pourra également consulter Les Eclaireurs Israélites de France dans la guerre, Le Monde Juif, Revue dHistoire de la Shoah, n° 161, septembre-décembre 1997, Editions du C.D.J.C, Paris, 280 pp, numéro où sont reproduit les actes du colloque tenu à la mairie du XIème arrondissement de Paris en janvier 1997 ainsi que larticle de Robert FRANK, Les EI et la Sixième, Les Enfants Cachés, septembre 1998.
[50] Maurice LIBER cité par Lucien LAZARE , E.I.F : Les débuts du mouvement, Le Monde Juif, Revue d’Histoire de la Shoah, n° 161, op. cit. p 15.
[51] Denise Gamzon est l’épouse de Robert Gamzon. Après la guerre, le couple émigre en Palestine où elle sera professeur à l’Université de Tel Aviv.
[52] Extrait de Michel Alain, Les Eclaireurs Israélites de France pendant la Seconde Guerre mondiale septembre 1939- septembre 1944, Action et Evolution, op. cit.
[53] D’après l’article de Robert FRANK, Les E.I. et la Sixième, Les Enfants Cachés, Bulletin n° 24, septembre 1998.
[54] Les différents mouvements de jeunesse sioniste décident à partir de 1941 d’effectuer un regroupement qui aboutit après le Congrès de Montpellier de mai 1942 à la création du Mouvement de Jeunesse Sioniste.-MJS-
[55] Lettre de BOULI citée par Michel ALAIN, Les Eclaireurs Israélites de France pendant la Seconde Guerre mondiale septembre 1939-septembre 1944, Action et Evolution, op. cit. page 82.
[56] Le 5 janvier 1943, le C.G.Q.J. exige dans une lettre de Darquier de Pellepoix adressée à l’U.G.I.F.. à Marseille, la dissolution de la Quatrième direction de lU.G.I.F.. Les E.I. parviendront à intégrer deux autres directions de lU.G.I.F. : la troisième (direction Santé) et la Seconde (chargée du Travail). (Voir larticle de Robert FRANK, Les E.I. et la Sixième, Les Enfants Cachés, Bulletin n° 23, septembre 1998.
[57] Il s’agit de Madame DULAUT, qui recevra la médaille des Justes à titre posthume.
[58] Allocution de Denise LEVY, Les E.I. et la Sixième en zone sud pendant la guerre, Le Monde Juif n° 161, op. cit. pp 67-72.
[59] Nice constituera plus tard une septième région.
[60] C.D.J.C. C.M.XX-23, Rapport sur l’activité du Service Social des Jeunes, Lyon, 1er octobre 1944.
[61] D’après l’allocution de Roger FICHTENBERG, La Sixième en zone sud, Le Monde Juif n° 161, op. cit pp 54-63.
[62] Paulette MEYER née en 1926 à Colmar sera arrêtée et déportée par le convoi n° 48 du 13 février 1943.
[63] D’après l’allocution de Lucien D. FAYMAN, Genèse de la Sixième. Zone Sud, Le Monde Juif n° 161, op. cit. pp 49- 54.
[64] Mobilisé au moment de la guerre, il est réformé en 1941. Il gagne alors le Chambon-sur-Lignon Il pense alors rejoindre la Résistance à Londres en passant par l’Espagne. Arrêté à la frontière, il est conduit à la prison de Saint Gaudens. Il est libéré après avoir obtenu par un juge d’instruction bienveillant une condamnation de quatre jours avec sursis au nom de Jean-Charles PIERRON qui deviendra son nom de guerre, et rejoint la Sixième.
[65] Originaire de Strasbourg, il gagne la région de Montpellier au moment de l’exode avant de partir pour Rodez où il participe au sauvetage des enfants. Ayant rejoint la Résistance armée, il est arêté le 10 juin 1944 et fusillé le 14 en même temps qu’Edgar LEVY et Marcel et Roger GRADWOHL.
[66] Voir Chapitre III.
[67] Témoignage de Roger CLIMAUD, Les Enfants Cachés
[68] Allocution de Liliane KLEIN-LIEBER, Les E.I. et la Sixième en zone sud pp 63-67, Le Monde Juif n° 161, op. cit.
[69] Témoignage de Roger CLIMAUD, op. cit.
[70] Témoignage de Roger CLIMAUD, op. cit.
[71] Idem
[72] Fernand Musnik est arrêté et déporté en avril 1944.
[73] Témoignage de Micheline CAHEN née BELLAIR dite Topo -Topolino- réalisé par Betty KALUSKI-SAVILLE, le 31 mars 1994.
[74] Témoignage de Freddy MENAHEM, Paris, le 2 avril 1997.
[75] Cf. Les statistiques du Service des faux papiers.
[76] Témoignage de Freddy MENAHEM, Paris, le 2 avril 1997.
[77] Albert AKERBERG cité par Robert FRANK, Les E.I. et la Sixième, art. cit. p 23
[78] Témoignage de Freddy MENAHEM, op. cit.
[79] D’après les témoignages de Micheline CAHEN née BELLAIR, Les Enfants Cachés, 21 décembre 1992 et deuxième témoignage, le 31 mars 1994, réalisé par Betty KALUSKI-SAVILLE.
[80] Témoignage de Micheline CAHEN née BELLAIR, réalisé par Betty KALUSKI-SAVILLE, Les Enfants Cachés, le 31 mars 1994.
[81] Témoignage de Micheline CAHEN née BELLAIR réalisé par Les Enfants Cachés, le 21 novembre 1992.
[82] Idem
[83] Source : C.D.J.C. CMXX-23, Rapport d’Albert AKERBERG, chef du Service Social des Eclaireurs Israélites et du Mouvement de Jeunesse Sioniste, 60 rue Claude Bernard, Paris, Octobre 1944
[84] Allocution de Liliane KLEIN-LIEBER, Les EI et la Sixième en zone sud , Le Monde Juif n° 161, op. cit. pp 63-66.
[85] Les seules références à ce jour sur cette organisation clandestine sont l’ouvrage de Jacqueline BALDRAN et Claude BOCHURBERG, " La Mère et l’Enfant " 36, rue Amelot, Editions Montorgueil-C.D.J.C, 1994, 255 pp et le document Rue Amelot, par J. JACOUBOVITCH, traduit du Yiddish par Gabrielle JACOUBOVITCH-BOUHANA, in Le Monde Juif, revue d’Histoire de la Shoah, n° 155, septembre-décembre 1995, C.D.J.C, Paris, 265 pp.
[86] Léo GLAESER est né à Riga en 1877. Militant au sein du parti sioniste socialiste, il est arrêté en 1906 et contraint à l’exil. Arrivé en France en 1908, il entreprend des études de droit et devient avocat. Il devient Président de la Ligue pour les Juifs opprimés et fonde la Kultur Ligue à Paris en 1920. Membre du Comité de la rue Amelot, il sera arrêté par la Milice en juin 1944 alors qu’il se trouvait dans la région de Lyon et sera fusillé le 29 juin à Rillieux-le-Pape.
[87] Né le 12 septembre 1888 en Ukraine, il arrive à Paris en 1907 pour suivre des études de mathématiques. Il travaille à la Banque juive puis se retrouve à la tête de l’O.R.T. Membre de la Fédération des Sociétés Juives de France, ses liens avec David RAPPOPORT le conduisent à participer au Comité de la Rue Amelot.
[88] Le Yiddische Vinkl était un foyer juif dirigé par SHAPIRO. Sa vocation était d’être un salon littéraire où étaient organisés débats et rencontres. Il y était également servi des repas chauds et dispensé une assistance pour les Juifs étrangers principalement.
[89] Extrait de Rue Amelot, par J. JACOUBOVITCH, traduit du Yiddish par Gabrielle JACOUBOVITCH-BOUHANA, in Le Monde Juif, revue d’Histoire de la Shoah, n° 155, septembre-décembre 1995, C.D.J.C, Paris, 265 pp, p 196.
[90] Statistique des cantines d’après Jacqueline BALDRAN et Claude BOCHURBERG, " La Mère et l’Enfant " 36, rue Amelot, op. cit. p 90.
[91] Document YIVO, 0123, citée par Jacqueline BALDRAN et Claude BOCHURBERG, " La Mère et l’Enfant " 36, rue Amelot, op. cit. p 112.
[92] La Rue Amelot a tenté d’apporter une aide globale aux internés de tous les camps en zone occupée, tant en région parisienne qu’en province. A la Caserne des Tourelles, où se trouvaient une vingtaine de Juifs, Rapoport faisait porter des repas chauds. Dans les camps, la Rue Amelot, sous le couvert de la Croix Rouge ou du dispensaire, La Mère et l’Enfant, déléguait des assistantes sociales pour faire parvenir des colis et soulager les internés. Après le départ des premiers convois, la Rue Amelot fournit couvertures, vêtements et nourriture aux déportés. Dès 1941, les enfants constituèrent une priorité et tout fut mis en œuvre pour les faire sortir des camps, et les préserver de la déportation.
[93] Marcelle VALENSI était assistante sociale de la Croix Rouge et amie de Madame HALINA BOYER née ROZENBERG qui travaillait dans les dispensaires communistes de la banlieue. Elle fut assistante sociale au dispensaire de la Mère et l’Enfant et était en rapport avec l’orphelinat de la Varenne. Son époux a travaillé dans les camps d’internements, prenant le relais de Marcelle Valensi quand celle-ci en tant que Juive ne pouvait plus y pénétrer. (D’après Rue Amelot, par J. JACOUBOVITCH, traduit du Yiddish par Gabrielle JACOUBOVITCH-BOUHANA, Le Monde Juif n° 155, art. cit. p 228 et 236.
[94] La Rue Amelot n’étant pas une organisation officielle, elle ne peut déléguer elle-même des équipes d’internés volontaires.
[95] D’après Claude LEVY, Le Camp de Poitiers, p 225.
[96] Claude LEVY, Le Camp de Poitiers, op. cit. p 258.
[97] Interview de Georges GUTMAN, réalisée par Robert FRANK, Les Enfants Cachés, le 21 octobre 1994.
[98] Extrait de J. JACOUBOVITCH, Rue Amelot, Le Monde Juif n° 155, art. cit. p 211.
[99] Les membres de la cantine du Bund et certains de la cantine du Paole Zion de gauche refusèrent de bénéficier de la carte de légitimation. (D’après JACOUBOVITCH, Rue Amelot, art. cit. p 211).
[100] Né en Pologne en 1889, il s’installe à Paris en 1926. Il fait partie des fondateurs de la Colonie Scolaire et s’engage dans les activités clandestines de la Rue Amelot. Arrêté en 1944, deux mois avant la Libération de Paris, il échappe à la déportation en se faisant passer pour un prisonnier de droit commun. Il poursuivra son œuvre sociale à la Colonie Scolaire après la guerre. Il finira sa vie en Israël où il s’éteindra en 1985.
[101] Extrait de J. JACOUBOVITCH, Rue Amelot, Le Monde Juif n° 155, art. cit. p 216.
[102] Idem p 215.
[103] Idem page 216.
[104] Témoignage de Berthe DUTRUEL née ZYSMAN, in Jacqueline BALDRAN et Claude BOCHURBERG, " La Mère et l’Enfant " 36, rue Amelot, op. cit. p 169.
[105] Lucie Chevalley est la présidente de l’Entraide Temporaire. Voir Partie 2, Chapitre II.
[106] J. JACOUBOVITCH, Rue Amelot, Le Monde Juif n° 155, art. cit. p 213
[107] Idem p 216
[108] D’après Les Orphelins de la Varenne, par le Groupe Saint-Maurien contre l’Oubli, Edité par la Société d’Histoire et d’Archéologie " Le Vieux Saint-Maur ", 1995, 174 pp, p 78.
[109] Idem voir p 44 et le témoignage de Marthe ABRAMOWITCH née LABORDE, pp 75-77.
[110] D’après Jacqueline BALDRAN et Claude BOCHURBERG, " La Mère et l’Enfant " 36, rue Amelot, art. cit. pp 181- 186.
[111] J. JACOUBOVITCH, Rue Amelot, Le Monde Juif n° 155, art. cit. p 213
[112] Document YIVO 005, cité par Jacqueline BALDRAN et Claude BOCHURBERG, La Rue Amelot, op. cit. p 252.
[113] Monsieur et Madame Y. proches du Paole Zion de gauche, participèrent activement au sauvetage des enfants au sein de la Rue Amelot.
[114] Témoignage cité par Jacqueline BALDRAN et Claude BOCHURBERG, La Rue Amelot, op. cit. p 188.
[115] Allocution de Denise LEVY, Les E.I. et la Sixième en zone sud pendant la guerre, Le Monde Juif n° 161, art. cit pp 67-72. 70