Traduit du yiddish par Gabrielle Jacoubovitch-Bouhana
Jusqu'en juillet 1942, avant la grande rafle, notre comité préconisait simplement de cacher les enfants à la campagne et prenait à sa charge, lorsque c'était nécessaire, les frais d'entretien. Après juillet 1942, il s'est avéré que le conseil n'était pas suffisant, et nous avons alors organisé la totalité du sauvetage. Un service spécial a été créé dont Jacoubovitch eut la charge. Les principaux frais de ce service étaient causés par la recherche, de préférence à la campagne, de familles qui accepteraient d'héberger des enfants. Elles devaient passer outre la menace des Allemands, et faire passer les enfants pour des enfants chrétiens. Il fallait munir les enfants de faux papiers, organiser leur transport vers ce nouveau lieu d'accueil, exercer une surveillance permanente sur eux, leur procurer le nécessaire, notamment des vêtements et prendre en charge les frais de leur entretien. Contrairement à ce qui se pratiquait pour l'aide aux adultes, nous demandions aux parents de prendre en charge, quand ils le pouvaient, ces dépenses. Cependant, lorsqu'ils étaient arrêtés ou qu'ils étaient dans l'obligation de se cacher, leur participation devenait impossible. La situation financière du service s'en trouvait alourdie.
Nous avions de grosses difficultés pour la fourniture du linge et des vêtements. Notre vestiaire, sous la direction de Mme Youchnovetzki, s'en occupait. De véritables miracles y ont été réalisés pour se procurer d'énorme quantité de marchandises dans des temps difficiles.
Le système de protection - On demandait aux parents de ne pas chercher à voir leurs enfants et de ne leur adresser du courrier que par notre entremise afin de protéger au maximum leur sécurité. Le service de l'enfance devait donc assurer la liaison entre les parents et leurs enfants sous couvert du dispensaire La mère et l'enfant. Ni les services de l'occupant en province, ni la population n'ont jamais pensé qu'il s'agissait là d'une institution juive. Sous cette dénomination, la correspondance a toujours pu passer. Il fut difficile, les premiers temps de demander aux parents de mettre leurs enfants sous notre seule responsabilité. On s'attendait cependant à ce que leur nombre, devenant important, la tenue d'un registre s'imposât. On mit au point un fichier chiffré sur lequel apparaissaient le nom de l'enfant, son âge, l'état de sa famille et un certain nombre de chiffres qui étaient la clef destinée à connaître l'adresse des parents ou des responsables ainsi que celle de l'enfant. Cette clef, bien entendu, n'était connue que des seuls responsables du service de l'enfance. Ce fichier pouvait être détruit. En prévision de cette éventualité, Mme Chevalley, responsable dans ce service, en possédait une copie. C'est là l'occasion de rendre hommage à une femme qui nous a rendu d'inestimables services. Elle servait d'agent de liaison avec les amis de la zone libre. Passant souvent d'une zone à l'autre, elle transportait d'importants documents, souvent compromettants, des lettres et de l'argent.
Dans la région parisienne - Lors de sa création, le service de l'enfance ne possédait aucun lieu où placer les enfants. Il y avait bien quelques adresses en région parisienne, mais elles étaient utilisées par la Colonie Scolaire comme lieux de repos pour les enfants affaiblis. Les premières recherches ont été effectuées à partir de là en région parisienne, puis on eut la chance, petit à petit, d'entrer en contact avec la province. La surveillance des enfants était plus facile dans le département de la Seine et celui de la Seine et Oise. Selon la définition allemande du "Grand Paris" les Juifs pouvaient circuler dans ces deux départements mais en dépasser les limites leur était interdit. En zone occupée, la seule sentence en cas de désobéissance était la déportation. Pour la surveillance en région parisienne, on fit appel à deux femmes : Dr Opolon et Mme Levinson. Elles avaient pour mission de visiter les enfants deux fois par mois. Elles voyageaient des journées entières vers les petites villes et les villages où ils se trouvaient. Deux fois par semaine, elles apportaient des rapports sur la vie des enfants et leurs besoins. Elles l'ont fait jusqu'au bout, tout au moins là où cela restait possible. Les parents et les tuteurs pouvaient ainsi échanger des nouvelles avec les enfants. Le secrétariat de ce service était très compliqué. Il était tenu par trois jeunes filles: Marie, Bella (toutes les deux déportées en 1944), Berthe Zissman (Mme Sutruelle) la collaboratrice la plus proche, la plus dévouée et la plus digne de confiance de Jacoubovitch.
Journées de rafle massive - Le travail de ce service était pénible et faisait appel à l'entière disponibilité de ses collaborateurs.
On vit dans nos locaux, après chaque rafle, des scènes particulièrement douloureuses. Des enfants, désemparés et sans défense, en étaient souvent l'objet. Des mères aux yeux effrayés, à l'assurance brisée, qui avaient réussi à se sauver avec leurs enfants au milieu de la nuit, nous les amenaient. Elles n'avaient pas dormi, tremblaient de froid et nous les abandonnaient le plus vite possible afin de trouver une cache pour elles-mêmes. Parfois les enfants nous étaient amenés par des voisins chrétiens qui les avaient enlevés à leurs parents à la dernière minute, souvent arraché avec scandale des mains des policiers, et parfois aussi avec leur accord. Des parents ils ne recevaient qu'une seule recommandation, une adresse: 36, Rue Amelot.
La séparation d'avec leurs parents, ou même d'avec leur tuteur temporaire, provoquait des scènes déchirantes. Surtout lorsqu'il s'agissait de tout petits enfants. Il n'était pas rare, en ces jours particuliers, qu'au milieu des adultes désemparés surgisse un enfant qui demandait à voir Rappoport car son nom lui était familier. Il était envoyé par une mère, cachée dans une cave, et lui-même gelé et n'ayant pas dormi, pour demander du secours pour elle et l'enfant. C'était tout, mais nous savions ce que cela signifiait: envoyer quelqu'un vers La mère et emmener l'enfant ailleurs. Cela se terminait toujours par des pleurs hystériques. Les collaboratrices du service de l'enfance étaient de très jeunes filles. Elles étaient souvent déprimées par ces scènes. Il fallait parfois les stimuler. Même l'auteur de ces lignes, réputé pour être d'une forte trempe, était parfois abattu. Rappoport, l'homme aux nerfs d'acier et au cœur plein de compassion, venait lui redonner le courage de poursuivre sa tâche. Des rumeurs circulant au sujet du service de l'enfance venaient encore compliquer la tâche déjà fort difficile de nos collaborateurs. De temps en temps, circulaient en ville des bruits selon lesquels notre organisation était à la solde des Allemands et qu'elle ne réunissait les enfants que pour les leur remettre. Dans de tels moments, les locaux étaient envahis par des mères qui nous suppliaient de leur rendre leurs enfants. Les résultats d'une telle propagande étaient dramatiques : entre le moment où les mères récupéraient leurs enfants et le moment où elles trouvaient un autre endroit pour les cacher, elles se retrouvaient à Drancy. De plus, nos collaborateurs étaient accablés par de telles calomnies. Dans les journées qui suivaient les arrestations de masse, le travail au service de l'enfance dépassait nos forces. Nous étions en possession d'une liste de personnes chrétiennes disposées à recueillir chez elles des enfants. Parfois, mais pas souvent, elles ne savaient pas qu'il s'agissait d'enfants juifs et nous ne savions jamais, quant à nous, au moment d'utiliser la liste, si les places étaient toujours disponibles. Parfois encore, notre comité ne connaissait que des intermédiaires qui prenaient les enfants et les répartissaient parmi les habitants d'une région. On devait télégraphier partout, appeler des personnes qui venaient chercher les enfants, organiser leur transport et les faire voyager avec des personnes dûment autorisées à prendre le train. On ne pouvait pas toujours évacuer les enfants le jour même. Il fallait les garder une journée de plus. Dans ce cas ils étaient, la plupart du temps hébergés dans l'orphelinat religieux de La Varenne dont s'occupait la Colonie Scolaire.
La Varenne - Une trentaine d'enfants se trouvaient en permanence dans cet orphelinat: 8 orphelins, pensionnaires de cette institution avant-guerre, et des enfants de parents déportés que nous avions installés. La Colonie Scolaire avait réalisé des travaux de construction pour permettre l'accueil d'un plus grand nombre d'enfants. Cette institution fut considérée comme un lieu d'asile aussi longtemps que les Allemands ne s'étaient pas intéressés aux regroupements d'enfants. En 1943, alors que les Allemands ont commencé à arrêter ces enfants, nous avons immédiatement décidé d'évacuer l'orphelinat. Les enfants ont été, comme les autres, dispersés dans différentes familles à la campagne. L'orphelinat a cependant continué à servir de lieu d'accueil le temps de trouver quelques lieux de refuge.
C'est ainsi que nous avons réussi à sauver des centaines d'enfants, sinon même un millier. Nous n'avons eu la tristesse de n'enregistrer qu'une seule perte, un jeune homme de 15 ans qui n'avait pas observé nos instructions.
Nous n'aurions jamais pu réaliser ces opérations de sauvetage d'enfants et d'adultes sans l'aide de la population non-juive.
En région parisienne, le service de l'enfance pouvait agir avec des collaborateurs juifs aidés par des chrétiens. Mais en province, la situation était différente. Nous ne pouvions nous y rendre qu'en courant d'énormes dangers. Nous n'avions pas le droit de jouer avec la vie de collaborateurs dont le dévouement et l'honnêteté auraient été difficilement remplacés. Nous ne pouvions trouver en province des collaboratrices chrétiennes permanentes comme à Paris. Chaque fois que l'une d'elle acceptait le poste elle en démissionnait en raison du nombre important d'enfants à visiter. En effet, nous nous efforcions de ne pas concentrer d'enfants dans un même village. Nous devions, donc, nous contenter d'inspectrices de hasard, d'assistantes sociales d'organisations chrétiennes qui acceptaient cette charge en plus de leur travail, ou encore de bénévoles.
L'aide spontanée qui nous arrivait d'inconnus, ou de fonctionnaires du ministère de la Santé en province, nous réjouissait particulièrement. Nous prenions contact avec eux pleins de méfiance, et nous apercevions vite que nous avions à faire à des amis. Un jour, une lettre émanant de la préfecture du Loiret nous inquiéta vivement. Elle attirait l'attention du dispensaire La mère et l'enfant sur les enfants installés dans le département. Nous répondîmes, intrigués et inquiets, ne pas voir la raison de cet intérêt. Une deuxième lettre nous précisa que c'était eu égard à "la condition spéciale" de nos enfants. La méfiance s'est alors transformée en joie. Nous avons aussitôt dépêché une volontaire chrétienne pour éclaircir le problème. La préfecture voulait nous mettre en garde contre l'activité, dans le département, d'un officier SS qui montrait un intérêt tout particulier envers les enfants juifs.
Dès le lendemain, nous avons transféré ailleurs les 12 enfants séjournant dans le département. Les autres organisations de protection à l'enfance ont été avisées d'en faire autant. Une plus grande frayeur nous fut causée par un inspecteur du ministère de la Santé qui voulait que le dispensaire abandonnât son rôle d'aide à l'enfance et lui adressât immédiatement la liste des enfants séjournant dans son département. Nous ne pouvions déplacer les enfants sans attirer l'attention sur notre activité. Par ailleurs, il y avait davantage d'enfants dans ce département que dans celui du Loiret, ce qui rendait l'évacuation plus difficile. Nous avons donc décidé d'user de diplomatie. Nous nous sommes procuré une recommandation auprès d'une assistante sociale du département. Une de nos amis chrétienne s'est rendue auprès d'elle et lui a dévoilé la vérité. Nous avons pu joindre, grâce à elle, son inspectrice principale. Celle-ci a obtenu de son supérieur que la liste des enfants juifs ne figurât plus dans son fichier. On ne nous a posé qu'une condition, celle de leur transmettre la responsabilité de la protection de ces enfants. Ce fut là une aide incommensurable.
Rappelons encore les interventions d'inspectrices inconnues nous signalant des enfants se trouvant entre des mains non souhaitables.
Nous leur donnions, bien entendu, pleins pouvoirs pour trouver des foyers mieux adaptés. D'autres nous prévenaient, et nous en étions fort heureux, que certains enfants recevaient une éducation "trop" catholique, etc. Citons, simplement parmi tant d'autres, la lettre du maire d'une petite localité du Loir et Cher, Troo. Il nous signalait qu'en raison de la difficulté d'utilisation des cartes d'alimentation des enfants, il nous en fournirait d'autres. Notre comité recevait souvent la visite d'assistantes sociales venant nous indiquer des familles de notables prêtes à accueillir des enfants confiés à des paysans. Des personnalités de petites bourgades venaient spontanément nous demander de leur confier des enfants. Dans tous les cas, nous exigions que les enfants - bien qu'obligés de fréquenter l'église - connaîtraient leur origine juive. Des assistantes sociales, d'organisations parisiennes non juives, s'étaient chargées spontanément du placement des enfants en province ainsi que de leur surveillance. Cette solution était fort appréciée. Dans ces cas, de nombreux enfants, notamment les plus âgés se faisaient passer pour des "aryens" auprès de la famille d'accueil. Cela donnait lieu parfois à des incidents comiques : un paysan d'un village perdu se plaignit dans une lettre de ce que la jeune fille de 16 ans qui lui était confiée, n'allait à l'église qu'à contrecœur. Cette conduite lui paraissait tellement blâmable qu'il se demandait si elle était "vraiment civilisée" (il voulait dire "baptisée").
Dans de très nombreux cas, la population chrétienne dans son ensemble et surtout les dirigeants sociaux, politiques ou religieux, nous ont aidé à sauver des enfants juifs. Il ne faut pas en tirer la conclusion qu'ils aient refusé de le faire pour des adultes hommes ou femmes. Mais il y a moins à raconter car, vaille que vaille, ils se débrouillaient mieux que les enfants.
Comme déjà mentionné, nous avions installé un grand nombre d'adultes comme travailleurs de la terre à titre de proches ou d'amis de la famille d'accueil. Nous avons reçu l'aide d'un grand nombre d'hôtels, souvent dans un but lucratif. Il serait scandaleux de ne pas rappeler le grand nombre d'hommes politiques, d'édiles municipaux, de personnalités sociales, d'institutions catholiques ou d'hôpitaux qui nous ont soutenu. La protection des adultes entraînait également des situations curieuses. Nous nous contenterons d'en citer une, caractéristique. Le dispensaire de la Colonie Scolaire a largement participé a éviter des déportations. Y travaillaient les docteurs Arager-Ogusl, Bantchewski, Blum, Schana, Hoffman, Ferel, Rabinson, Stern, Opolon, Schudalski, Herschkovitz, Laub, Merenfeld, Veit, Baruch, Guinzbourg, Ogus et Youchnovetzki. Ces médecins avaient une méthode toute personnelle pour soigner : ils établissaient de vrais-faux diagnostics pour leurs patients. Ainsi ils pouvaient bénéficier d'une prise en charge par les hôpitaux de Paris ou de banlieue. De leur côté, les médecins de ces établissements faussaient autant qu'ils le pouvaient les dossiers de ces malades imaginaires afin qu'ils puissent rester à l'hôpital le plus longtemps possible. Ils étaient pratiquement assurés de ne pas être arrêtés dans les établissements hospitaliers. Cependant le séjour devait être déclaré et la sortie pouvait s'avérer pleine de risques.
Le professeur Baruch avait gardé longtemps un de ces malades imaginaires à l'hôpital psychiatrique de Saint-Maurice. Les gendarmes l'attendaient à la sortie. Ils s'emparèrent du malade - un étranger avec une carte d'identité périmée - et le conduisirent à la gendarmerie. Le capitaine l'interrogea puis invectiva ses subalternes: "Imbéciles, vous ne voyez pas que vous avez à faire à un Juif qui se cache dans un hôpital ? Jetez-le dehors."
En zone occupée, les policiers étaient à la solde des Allemands, d'où un plus grand nombre de déportés qu'en zone "libre". Cependant, un certain nombre de policiers ne servaient pas les Allemands avec loyauté et libéraient une partie des Juifs qu'ils arrêtaient.
Pour les enfants, notre comité essayait de ne pas frayer avec les institutions religieuses. Il n'en était pas de même avec les adultes pour lesquels les risques de conversion ne se posaient pas. La conduite des religieuses d'un couvent parisien de l'avenue de Versailles est caractéristique. Elles observaient une conduite d'une parfaite indifférence envers les 15 femmes cachées chez elles.
Parmi les amis non-juifs qui nous ont aidés à sauver enfants et adultes il faut citer tout particulièrement: Mme Flamand, qui après avoir caché 60 enfants dans les départements de la Sarthe et de la Nièvre, s'est magnifiquement occupé d'eux. Mlle Laborde, assistante sociale de la préfecture de la Seine, qui a caché des enfants et s'en est occupée avec dévouement. Ses compagnes, BelIer et Mansion, en ont fait tout autant. M. Leroy et Mlle Cook, des Quakers dont nous avons déjà évoqué l'aide qu'ils nous ont apportée.
Mademoiselle le docteur Kahou qui ne refusait jamais une mission dangereuse. Mme Courbet que l'on prenait difficilement pour une chrétienne en raison de son engagement total à notre cause.
M. Ricardo, instituteur dans la Sarthe qui veillait sur les enfants juifs de son département et nous adressait des rapports sur leur vie quotidienne. Mmes Comte et Germaine, Mlle Papinot, agents de liaison dévouées. M. Boyer qui nous apportait souvent des informations d'une énorme importance. M. Vallée, commissaire de police à la préfecture de police... et les centaines de familles qui ont caché des enfants. Parmi elles, à titre de symbole éloquent, citons la figure de Mme Duchesne, venue spontanément dans les locaux de la Colonie Scolaire demander qu'on lui confie des enfants juifs. Les deux fillettes qui lui ont été remises ont été surveillées avec tant d'amour et de sollicitude maternelle qu'elle a une place toute particulière dans notre mémoire.
Le 1er juin 1943, les SS firent irruption dans le local de la Colonie Scolaire et arrêtèrent David Rappoport. Cet acte eut un grand retentissement auprès du petit nombre de dirigeants et de collaborateurs encore actifs sur place et plus encore sur l'avenir de nos activités. Ce 2e semestre 1943 mérite une attention particulière pour faire ressortir les nouvelles méthodes de travail et l'état d'esprit des collaborateurs restés à leur poste dans des conditions très difficiles.
Tout le monde s'attendait à une violente répression de la Gestapo après l'arrestation de Rappoport. L'avenir du comité était en péril. Contre toute attente, les retombées ne furent pas sévères. Nous avons fermé notre local, Rue Amelot, et avons demandé aux collaborateurs de se cacher. Le 7e jour, la police est venue les arrêter à leur domicile, y compris ceux qui ne travaillaient plus avec nous. Heureusement, seul un petit nombre qui n'avait pas suivi nos conseils, ont été pris. Ils ont été emmenés dans le local de la cantine de rue Richer. Après interrogatoire ils furent relâchés. Seuls quelques étrangers ont été transférés à Drancy. L'assistante sociale, Mme Boyer, fut arrêtée au cours d'une mission. Fort heureusement elle fut libérée au bout d'un mois. La Gestapo procéda à une fouille du local de la Colonie Scolaire et le ferma pour six semaines. On suppose que la riposte a été relativement modérée en raison du fait que l'UGIF était compromise dans cette histoire aux yeux des Allemands. Les agents SS devaient également se sentir fautifs de ne pas avoir découvert plus tôt l'organisation illégale et toutes ses activités. Aussi avaient-ils intérêt à liquider rapidement cet incident.
L'arrestation de Rappoport a entraîné non seulement la découverte de la fabrication des faux papiers mais également toute une organisation qui, avec son centre de secours et ses cantines, agissait en dehors du contrôle de l'UGIF. Les agents de la Gestapo reçurent comme une gifle la révélation qu'une telle organisation pouvait exister en 1943, en plein cœur de Paris. Très certainement l'agent juif Israelovitch fut mis en difficulté et n'eut probablement pas d'autre issue que d'atténuer le scandale.
En juillet 1943, parurent les décrets retirant à la Colonie Scolaire la responsabilité des cantines de la rue Richer, du Cercle amical et de la rue Elzevir, de l'orphelinat de La Varenne et du dispensaire Tiomkine. Elles furent toutes transférées à l'UGIF. Le local de la Colonie Scolaire a rouvert le 15 juillet. L'activité reprit, adaptée aux nouvelles conditions.
En étroits contacts avec Alpérinen, Jacoubovitch reprit la direction du centre. Mme Youchnovetzki reprit le secteur de l'enfance dont les activités ne s'étaient pas arrêtées pendant les 6 semaines de fermeture. Cependant, conduites dans les conditions les plus difficiles, seules les activités plus importantes furent maintenues. Par différents moyens, on réussit à garder les contacts avec la province où plus de 1 000 enfants étaient cachés. Nos assistantes sociales ont maintenu également leurs contacts avec les familles cachées dans Paris et la banlieue. Les secours leurs sont parvenus comme d'habitude. A son retour dans le local de la Colonie Scolaire, notre comité avait déjà l'expérience de l'illégalité. Du 2 septembre 1943 à la Libération, les activités peuvent se résumer comme suit.
Aide aux familles cachés - Jusqu'à l'arrestation de Rappoport on pouvait rencontrer dans nos locaux un grand nombre de personnes venues chercher un secours, un conseil ou des faux papiers. Après la récupération du local, la décision fut prise de ne plus donner aucun secours sur place. On conseilla aux familles de ne plus venir. Les secours nécessaires ont été distribués par l'entremise de chrétiens ou directement par nos assistantes sociales. En général, toute l'activité d'assistance fut décentralisée. On se servait des cantines pour répartir certains secours. Il en fut de même pour le dispensaire Tiomkine. Notre assistante s'y était aménagé un coin d'où elle distribuait les secours aux familles de Belleville où se trouvait la plus grande concentration de Juifs.
Au centre, le travail se faisait avec un personnel restreint et des précautions spéciales. Les assistantes étaient constamment en ville pour différentes missions.
A cette époque, nous travaillions officiellement pour l'UGIF. Cette dernière nous avait alloué un petit budget pour les familles vivant dans la légalité ainsi que pour l'activité médicale. Le principal travail était effectué avec notre propre budget qui était utilisé pour les familles cachées dans Paris et ses environs. Les Juifs pouvaient encore jusque fin 1943, trouver refuge dans les hôpitaux parisiens. Nos médecins utilisaient au maximum cette possibilité. Ils essayaient par tous les moyens d'en faire bénéficier les malades et ceux qui ne l'étaient pas.
Assistance aux enfants - Tout le service d'aide à l'enfance a été retiré du local et remit entre les mains des collaborateurs non-juifs. Aussitôt après l'arrestation de Rappoport, par sécurité, la plus grande partie des enfants a été remit entre les mains de l'organisation du professeur Minkowski. Par la suite, aussitôt notre activité réorganisée, nous avons repris la surveillance de la majorité de nos enfants. Nous avions même réussi à atteindre le même niveau d'activité qu'au cours du premier semestre 1943. L'activité était répartie en sections spécifiques, selon les régions où étaient cachés les enfants. Fin 1943, un petit secrétariat a été créé dans l'appartement de Mlle Fafino. Il s'occupait de travaux administratifs, correspondance avec les "nourrices", paiement d'argent, fichier, etc. Pendant un court moment, nous avions utilisé un bureau à l'intérieur de l'hôpital de Saint-Maurice. dont s'occupaient volontairement et activement Mme Flamand, membre du parti socialiste SFIO, qui avait la responsabilité d'un grand nombre d'enfants dans la Nièvre. Les assistantes sociales, Mlles Laborde, BelIer et Mansion qui s'étaient chargées de la surveillance dans de très nombreux départements. Elles étaient en contact permanent avec toutes les assistantes sociales de province. Grâce à la collaboration de nos amis français, nous avions de fréquents rapports sur la vie de nos enfants disséminés dans un grand nombre de villages de la zone occupée.
Rappelons encore l'important travail accompli par notre collaboratrice française, Mme Courbet. Elle a régulièrement visité nos enfants dans les coins les plus perdus et rempli des missions de la plus haute importance. Elle a accompli son travail avec dévouement et un véritable esprit de résistance. Nous ne citerons qu'une de ses missions. Fin 1943, on nous signala qu'un de nos enfants, un garçon de 11 ans était prêt à se convertir. Il racontait son attirance pour cette nouvelle croyance dans une lettre à sa mère et l'invitait à assister à la cérémonie. Nous avons immédiatement délégué notre collaboratrice non juive. Elle s'est rendue par trois fois dans le village où vivait l'enfant. Il fallait dissuader l'enfant et lutter fortement contre le prêtre. Mme Courbet mena sa mission comme l'aurait fait une femme juive. Finalement, elle obtint que l'enfant renonce à sa conversion, et est revenue à Paris heureuse de ce résultat.
L'évacuation de 58 enfants vers la Suisse fut également un exploit important. Simon Levit et Mme Marcel l'ont réalisé en septembre 1943. En sus de son engagement direct dans l'aide à l'enfance, notre comité aidait par des subsides d'autres organisations comme les communistes juifs, les Éclaireurs israélites et le "groupe bessarabien".
Autres activités - L'approvisionnement alimentaire des familles cachées était un problème important. La plupart d'entre elles ne possédaient pas de cartes d'alimentation, ou bien elles étaient périmées. Ces familles se trouvaient sans pain et sans produits de première nécessité. Nos relations avec des employés municipaux de la ville de Paris et de quelques villages nous permettaient de recevoir régulièrement des tickets d'alimentation. Mlle Molina, une de nos assistantes sociales, avait quant à elle d'autres sources pour se procurer ces fameuses cartes. Elle était très efficace pour tout ce qui concernait les rapports avec l'administration française. Elle termina sa tâche dans la plus grande illégalité.
Nous fournissions aux familles totalement démunies de cartes d'alimentation les tickets les plus nécessaires. En plus des employés de mairie, différentes organisations de résistance nous les fournissaient. Nous les achetions également au marché noir. Elles étaient destinées d'une part aux familles que nous aidions gratuitement, d'autres part à des familles qui nous aidaient par leurs contributions. Il s'agissait de personnes cachées qui avaient des difficultés à se les procurer. Le service du vestiaire a fonctionné jusqu'à la Libération. Tous les vêtements n'étaient pas stockés dans notre local mais également chez des familles françaises que nous connaissions. Cela en prévision du moment où notre activité serait complètement illégale. Ces vêtements étaient destinés à nos enfants cachés, auxquels nous adressions régulièrement des paquets, ainsi qu'à des adultes cachés dans Paris. Il fallait également approvisionner régulièrement en denrées alimentaires ceux qui se trouvaient dans les hôpitaux ou dans les institutions chrétiennes. Nous achetions les produits avec nos cartes d'alimentation. La fourniture de faux documents aux Juifs cachés s'est poursuivie. Ils étaient réalisés avec d'infinies précautions, et jamais dans notre local. Peu de collaborateurs étaient au courant de cette activité. Nous utilisions une cachette encore plus petite que celle occupée lors du 1 er semestre 1943.
Nous étions en contact permanent avec les groupes de jeunes (sionistes et éclaireurs) qui étaient actifs dans Paris, en particulier à partir du début 1944. Ces organisations de jeunes nous venaient en aide pour tout ce qui concernait les faux papiers.
Relation avec les organisations - Les institutions contrôlées par notre comité 'furent, à partir du 15 juillet 1943, officiellement absorbées par l'UGIF. Les derniers dirigeants se trouvant encore à Paris ont porté tous leurs efforts sur la surveillance des enfants et en général sur l'activité illégale. Les cantines des rue Elzévir, Vieille-du-Temple et Richer étaient sous le contrôle de l'UGIF, ainsi que le dispensaire Tiomkine. Nous y avons cependant conservé un contrôle clandestin. Natan Schakhnovski qui s'occupait de la cantine du cercle amical, Kourtzberg, de celle de la rue Elzévir, et Kouliche, de celle de la rue Richer restaient en rapport étroit avec nous. Nous les avons aidés très souvent, avec le docteur Minkowski, à améliorer les menus.
L'UGIF ne s'est pas interposée. Il nous a simplement été demandé de ne pas mener d'activités illégales dans le local. Fin 1943, nous avions encore le contrôle de l'orphelinat. Nous n'y gardons plus d'enfants en permanence. Il servait à réunir des groupes d'enfants en vue de leur départ en province entre autres. L'UGIF considérait avec suspicion notre activité à La Varenne. Fin 1943, il en prenait possession et y installait des enfants.
La Fédération continuait à nous fournir un budget et restait en étroite relation avec notre organisation. Nous recevions 6 000 F par mois, et jusqu'à 8 000 F en 1944.
Début 1944, Alpérine créa le Comité d'union et de défense, un Comité de Coordination pour la protection des enfants fut également formé. Toutes les organisations y étaient représentées. Notre comité travailla en collaboration avec eux, et avait noué des relations amicales avec les Juifs hongrois de Paris, lesquels, peu nombreux, avaient formé. un petit cercle. L'ami Weber et Martin Klein, deux de leurs représentants, nous ont aidés en différents domaines.
Rapports de police sur Rue Amelot - Le Centre de documentation juive contemporaine a publié, en 1947, un ouvrage intitulé: "L'Activité des organisations juives en France sous l'Occupation". Il y est cité, pp. 210-213, un document trouvé au Commissariat général aux questions juives. Il y apparaît que ce dernier n'était pas si mal informé qu'on l'aurait cru sur notre activité. Le texte daterait d'avril 1943, c'est-à-dire deux à trois mois avant l'arrestation de Rappoport. Dans ce rapport, l'auteur constate que l'UGIF dans les deux zones et, notamment en zone occupée, couvrait de son pavillon d'établissement public d'assistance un ensemble d'organisation occultes d'autodéfense juive, utilisant des moyens et des ressources distincts de ses ressources et de ses moyens légaux.
Plus loin l'on trouve encore que ce serait au moyen de ces fonds de provenance inconnue que le dispensaire La mère et l'enfant, sous le couvert purement philanthropique de sa raison sociale aurait pu continuer à fonctionner en officine de faux papiers à l'usage des Juifs désireux de fuir la zone occupée, et en caisse noire assez pourvue pour leur procurer le viatique nécessaire, le tout dirigé avec une méfiance qui en rendrait le contrôle spécialement délicat. Il a même été affirmé que des instructions auraient été verbalement données aux assistantes sociales de maintenir un contact aussi étroit que possible entre les solliciteurs et cette organisation de départs clandestins.
Un document, daté du 18 mai 1943 est encore plus précis : accusant l'UGIF d'aider les enfants juifs l'auteur écrit entre autres au sujet du placement de ces enfants: "... elles risquent de neutraliser les efforts du service de placement clandestin avec faux état civil fonctionnant au dispensaire La mère et l'enfant, 36, Rue Amelot (bureau secret au deuxième étage)...," et plus loin "... en faisantcontribuer activement les fonds officiels à la besogne qui a peut-être grevé exagérément, malgré leur abondance, les fonds occultes que gérerait le juif Rappoport."
Chapître suivant : Index des noms de personnes et d'organisations.
Sommaire - Introduction - I Les bases du Comité "Rue Amelot" - II La "Rue Amelot" résiste - III Rue Amelot et le Comité de Coordination - IV Modification dans la structure de Rue Amelot - V L’activité de bienfaisance de rue Amelot - VI Le sauvetage des enfants - VII L’aide des non juifs - VIII De l'arrestation de Rappoport à la libération de Jakub Byl - Lexique Noms des personnes - Lexique Organisations et évènements - Iconographie