La figure hautement symbolique du Père Jacques du collège catholique des Carmes à Fontainebleau, déporté pour avoir caché trois enfants juifs sous une fausse identité et que Louis Malle a transposée au cinéma dans le film Au revoir les enfants est évocatrice d’une certaine image du clergé séculier engagé dans le sauvetage des enfants. Nombre de religieux peu sensibles aux thèses pétainistes, tendirent la main aux enfants. Parmi eux, le Père Devaux, de la congrégation de Notre-Dame-de-Sion en zone occupée et les Sœurs de Notre-Dame-de-Sion en zone libre, constituèrent des réseaux importants, représentatifs de cette solidarité développée dans la tourmente entre Juifs et Chrétiens.
Représentative d’un oecuménisme dont la vocation est de venir en aide aux persécutés, l’Amitié Chrétienne permit à de nombreux enfants de survivre. Cette association, créée à la fin de l’année 1941, est une œuvre multiconfessionnelle qui réunit différentes tendances de la chrétienté. Elle rassemble des dirigeants d’organisations de jeunesses catholiques et protestantes, muées par la volonté de lutter contre l’antisémitisme ambiant. L’Amitié Chrétienne est animée pour les catholiques par Germaine Ribière, le révérend père Chaillet, jésuite et l’abbé Glasberg, juif converti au catholicisme, Jean-Marie Soutou. Les pasteurs Marc Boegner et Roland de Pury coaniment l’œuvre. Se joint à eux Madeleine Barot de la C.I.M.A.D.E. L’Amitié Chrétienne est présente dans les camps d’internement et à Vénissieux. En zone occupée comme en zone libre, des enfants sont placés dans des établissements animés par cette organisation œcuménique. Le centre de Vic-sur-Cère en est un exemple évocateur.
Vic-sur-Cère est un petit village du Cantal. Le 11 juillet 1942, l’O.S.E. avec l’appui de l’Amitié Chrétienne y ouvre à l’hôtel Touring Club, un centre pour adolescentes, avec une autorisation préfectorale. Le centre pourtant fiché par les renseignements généraux, dont un rapport souligne la présence d’une soixantaine d’adolescentes juives n’a jamais été l’objet d’arrestations. Les adolescentes furent épargnées par la déportation. Comme le souligne Eugène Martres, la population du centre s’est modifiée au fil des ans. En raison de la tranquillité dont jouit le centre, l’Amitié Chrétienne et l’O.S.E. y placèrent des adultes et des enfants.
Tandis que les rafles dans le Cantal se poursuivirent jusqu’en mai 1944, aucune arrestation n’eut lieu à Vic-sur-Cère dont le centre était connu tant des autorités françaises qu’allemandes, et même de la milice dont le responsable départemental résidait à Vic-sur- Cère. Les occupants du centre ne doivent pas leur survie à une complicité bienveillante de la population qui, si elle ne se livra pas à la délation, fut dans son ensemble plutôt indifférente sinon hostile à la présence des jeunes Juifs. Il semblerait que cette maison ait bénéficié de la protection de la secrétaire de mairie et du Préfet du Cantal. Sans doute le patronage de l’Amitié Chrétienne lui a-t-il conféré une certaine tranquillité.
2.1. Le Père Devaux, de la volonté du rapprochement des peuples à l’engagement dans la résistance - Théomir Devaux naît le 17 mars 1885 à Castillon dans le Calvados. Une rencontre avec un religieux de Sion le conduit à entrer dans cet ordre. Dès son ordination, il gagne Jérusalem et l’Institut Saint-Pierre-de-Sion, école d’arts et métiers pour les enfants nécessiteux de l’Eglise en Terre Sainte et dont il devient le directeur. Cette école, destinée à son fondement exclusivement aux catholiques, s’ouvre progressivement aux autres peuples et religions. Des enfants arabes y sont admis, ainsi que des enfants juifs de familles récemment immigrées depuis le continent européen.
En 1925, le Père Devaux quitte Jérusalem pour la Maison des Pères de Sion à Paris, située au 68, rue Notre-Dame-des-Champs. Cette même année, il est ordonné Supérieur Général. Dans la perspective d’un rapprochement mutuel entre les religions, il entre en contact avec des personnalités catholiques, protestantes et juives. En 1928, il fonde la revue La Question d’Israël à l’image de son action. Naturellement, la revue se lance dans le combat contre l’antisémitisme qui s’abat en Europe, et qui constitue un axe essentiel de la politique conduite en Allemagne nazie. De juillet 1940 au 18 octobre 1940, la Gestapo visite plusieurs fois la maison au 68, rue Notre-Dame-des-Champs, tandis que la revue est interdite. La Gestapo se méfie tout particulièrement de l’ordre en raison du rapprochement qu’elle prône avec les Juifs. Germaine Ribière raconte :
Les intimidations de la Gestapo ne découragent pas le Père Devaux, qui dès lors se consacre au sauvetage des enfants.
2.2. De 1940 à la Rafle du Vel d’Hiv - Le Père Devaux, à partir du dernier trimestre de 1940, décide de porter secours aux Juifs, hommes, femmes et enfants qui nécessitent des refuges. Mais rapidement, l’aide délivrée se tourne vers les enfants. L’organisation des sauvetages jusqu’au Jeudi Noir, repose sur trois personnes : le Père Devaux, qui accueille et trouve des endroits où se cacher à ceux qui viennent se réfugier chez lui, son assistante Georgette Schwarcz, ainsi que Mademoiselle Hue, arrière petite fille du valet de chambre de Louis XVI, qui effectue certaines courses dans Paris, et sert occasionnellement d’accompagnatrice. Ces trois personnes suffisent jusqu'à la Rafle du Vel d’Hiv, qui joue le rôle d’un catalyseur dans la nécessité de cacher les enfants.
La rafle permet de constater l’urgence de mettre rapidement le plus d’enfants possible à l’abri. Le Père Devaux doit alors s’entourer de nouveaux collaborateurs.
2.3. A partir de 1942 : les Pères de Sion et le sauvetage des enfants - Comme pour les autres oeuvres qui se consacrent au sauvetage des enfants, plusieurs conditions président à la répartition des tâches. Il faut en premier lieu convaincre les parents de se séparer des enfants quand ils hésitent à encore à les confier, trouver des institutions religieuses, des familles où les placer, fabriquer les faux papiers nécessaires à leur camouflage, leur apprendre leur nouvelle identité et les préparer. Quand les enfants sont prêts, ils sont convoyés vers leur lieu d’accueil. Des équipes se mettent en place. Germaine Ribière, qui rencontre le Père Devaux par l’intermédiaire de Mère Francia de Linares, directrice du pensionnat des religieuses de Notre-Dame-de-Sion, apporte son aide au mouvement. Avec une de ses amies, elles établissent les faux papiers :
Le Père Devaux s’occupe de la préparation des enfants au départ, ce qui représente deux ou trois jours. Il les met en confiance, s’assure qu’ils sauront répondre à leur nouveau nom en toutes circonstances.Le Père Devaux s’occupe également de persuader les parents de confier les enfants, travail délicat qui nécessite patience et mise en confiance des familles pour les amener à accepter de laisser partir les enfants :
La responsabilité de convaincre les parents incombe à Mademoiselle Hue ou à Denise Paulin-Aguadich après son retour à Paris en juillet 1943. Une fois les enfants prêts à partir, ils quittent la maison du 68 rue Notre-Dame-des-Champs avec Georgette Schwarcz ou Mademoiselle Hue qui les remettent aux accompagnatrices. Germaine Ribière détache Zita Ricard comme accompagnatrice principale, mais selon l’urgence de la situation d’autres femmes prêtent main forte. Ainsi Claude Hamre et Françoise Cortigiani, étudiantes agrégatives effectuent si nécessaire des convois d’enfants. Le plus grand nombre des enfants est caché dans la Sarthe au sein de familles de paysans. Certains sont placés en région parisienne, d’autres plus loin.
Lorganisation doit faire face à des situations durgence qui ne laissent parfois aucune place à la préparation. Germaine Ribière relate ainsi lépopée de 45 enfants pris en charge en toute hâte :
L’action du Père Devaux, c’est ainsi l’histoire de plus de 443 enfants cachés, préservés de la déportation par une équipe efficace. Des archives privées ont conservé les traces de cette histoire clandestine, puisque le Père Devaux constituait des listes comprenant l’identité des enfants ainsi que le nom des parents qui lui avaient confié l’enfant et le nom de celui qui payait les pensions, dans le but de pouvoir restituer les enfants, une fois la guerre finie. La Gestapo ayant visité plusieurs fois la maison, ces documents qui pouvaient compromettre la sécurité des enfants, étaient cachés dans la Chapelle, sous les marches de l’autel. Après la guerre, les enfants ont été dans le meilleur des cas rendus à leurs parents, ou replacés dans un milieu Juif. Certains ont été confiés à des maisons d’enfants juives, tandis que d’autres sont partis vers la Palestine ou restés dans les maisons d’enfants du C.O.S.O.R, le Comité des Oeuvres Sociales de la Résistance.
En août-septembre 1940, les soeurs de Notre-Dame-de-Sion se trouvent à Grenoble après leur départ forcé de Strasbourg. Parmi la communauté juive de Grenoble se trouvent 10 000 Juifs venus se réfugier dans cette région après la montée du nazisme. La maison des soeurs de Notre-Dame-de-Sion devient un lieu de rencontre, où les Juifs de la région essaient de trouver des solutions pour vaincre leur désarroi :
A Grenoble, Denise Paulin, entourée d’une équipe dont l’effectif n’excède pas cinq personnes, s’emploie à cacher les enfants. Parmi ce petit groupe, se trouvent deux jeunes femmes juives, envoyées par Germaine Ribière. Elles sont assistantes sociales et participent au camouflage des enfants sous de faux noms. Puis, les rejoint un jeune étudiant juif bulgare. Denise Paulin se souvient des circonstances dans lesquelles il rejoignit le groupe :
Au sein de l’équipe elle est la seule chrétienne. Les enfants sont cachés avec de faux papiers, fournis en partie par Germaine Ribière, chez des nourrices ou au sein du couvent des soeurs de Notre-Dame-de-Sion, où les enfants sont recueillis avec un extrême dévouement et un profond respect de leur religion. L’équipe de Grenoble est appuyée par le Père Chaillet, le groupe de Témoignage Chrétien, l’Armée Secrète. Parmi les enfants qui furent sauvés, Denise Paulin se souvient particulièrement de l’épopée d’une petite fille juive de six ans et de sa famille arrachées à la Gestapo avec le concours des autorités italiennes qui occupèrent la région entre novembre 1942 et septembre 1943. Les parents de la fillette, d’origine polonaise, vivent à la Tronche et à leur demande leur fille rentre chaque week-end au domicile familial. Son père la ramène au couvent des Soeurs de Notre Dame de Sion chaque dimanche, au plus tard, le lundi matin
Denise Paulin et la Mère Supérieure, Mère Magda se rendent aux autorités italiennes responsables de la région de Grenoble. Elles sont reçues par le capitaine Masceroni qui prend cette affaire d’ingérence allemande dans la zone sous contrôle italien très au sérieux :
En mai 1943, Denise Paulin est menacée pour ses activités. Elle gagne Paris, mais léquipe de Grenoble continue à cacher des enfants.
Cest peut-être parce quils furent longtemps une minorité persécutée, et que la population entretint la mémoire des dragonnades et des persécutions subies au cours des siècles précédents, quen de nombreux endroits de France, les protestants ont été au premier plan dans le sauvetage des enfants juifs.
4.1. Le-Chambon-sur-Lignon, village sauveur - (voir aussi les observations et précisions qui nous sont faites le16 septembre 2005 - Note du webmestre)
Situé en zone libre à une soixantaine de kilomètres de Saint-Etienne, le Chambon- sur-Lignon est situé aux confins du Velay et du Livaret (Vivarais ? Note du Webmesre). Chaque villageois en moyenne a accueilli un Juif. Au Chambon-sur-Lignon, la vulgate veut ainsi que 5 000 protestants aient sauvé 5 000 Juifs. L’influence du Chambon-sur-Lignon sur l’ensemble des villages cévenols et jusque dans l’Ardèche qui suivit son exemple fut non négligeable. L’action des Chambonnais doit beaucoup à l’influence des pasteurs Trocmé et Théis. André Trocmé est d’origine allemande. Les Trocmé arrivent au village en 1934. Ils y fondent peu de temps avant la guerre la première école secondaire du Chambon-sur- Lignon. Magda Trocmé d’origine florentine a assisté à la montée du fascisme en Italie. En 1940, le dimanche suivant la signature de l’armistice, André Trocmé prononce un discours intitulé Les Armes de l’Esprit qui allait être en droite ligne avec l’action menée au sein de ce village :
Ce n’est pas un hasard si de nombreuses organisations caritatives s’installèrent dans ce village. Le Secours Suisse y installa trois homes qui accueillirent des enfants et des adolescents sortis des camps d’internement. La C.I.M.A.D.E. ouvrit une pension appelée le Coteau Fleuri. Ce centre fut également une plaque tournante pour les passages clandestins de la frontière suisse.
Oscar Rosowski âgé de 19 ans et qui arriva au village en septembre 1942 se lança dans la fabrication des faux papiers. Il avait installé son laboratoire dans une ferme située dans le hameau de Fayol à la périphérie du Chambon-sur-Lignon. Les faux papiers à distribuer étaient dissimulés dans des ruches. Un jeune berger se chargeait de les répartir. De nombreux enfants furent cachés au Chambon-sur-Lignon, où les habitants s’efforcèrent de les préserver de la déportation. Madeleine Dreyfus assistante sociale de l’O.S.E. à Lyon, en contact permanent avec le pasteur Trocmé cacha de nombreux enfants dans les fermes. Elle relate ainsi ses liens avec les familles de fermier :
En juin 1943, Daniel Trocmé directeur des Maisons des Roches et des Grillons, cousin d’André Trocmé fut arrêté avec une vingtaine d’étudiants âgés de 15 à 23 ans. Cette arrestation n’interrompit pas les opérations de sauvetage qui se poursuivirent jusqu'à la libération. Le Chambon-sur-Lignon fut le centre nerveux d’une résistance spirituelle qui s’étendait sur un rayon de vingt kilomètres, incluant une douzaine de paroisses et de nombreux hameaux. Mais comme le rappelle Pierre Sauvage : « La conspiration pour le bien qui se développa fut essentiellement privée et tacite. C’était avant tout une question de conscience individuelle. »
4.2. Dieulefit - Petit village de la Drôme de 3 000 habitants, Dieulefit servit de refuge à 1 300 hommes, femmes et enfants. Les enfants allaient à l’école de Beauvallon où ils durent leur survie à l’action de Marguerite Soubeyran, Simone Monnier et Catherine Kraft. Ecole active, développée à partir des recherches conduites à l’Ecole Jean-Jacques Rousseau de Genève, Beauvallon fonctionnait comme une république d’enfants. Dans cette école qui était dotée d’un internat, des enfants en difficultés furent recueillis. Mademoiselle Soubeyran et Catherine Kraft les directrice ainsi que Simone Monnier, enseignante ont intégré un réseau de résistance en contact avec l’Angleterre.
A l’été 1942, les trois enfants sont placés dans des fermes du voisinage, l’école ayant désempli. La police française, qui est venue les réclamer auprès des directrices, parvient à les arrêter en trouvant l’adresse où ils ont été hébergés à la mairie. Envoyés à Vénissieux, Simone Monnier et Madame Soubeyran parviennent à les arracher au camp avec l’aide de l’O.S.E. qu’elles ont sollicitée. De retour à Dieulefit, la secrétaire de mairie, Jeanne Barnier, âgée de 21 ans et qui quelques temps plus tard permit à une assistante sociale de la Sixième de prendre son identité pour couverture, établit pour les enfants de " vraies " fausses cartes d’identité et d’alimentation. Engagée à la mairie de Dieulefit, le 1er avril 1939, elle établira pendant l’occupation 2 000 faux papiers d’identité. Selon Michel Schilovitz, les gendarmes alertaient les réfugiés juifs lorsque des rafles se préparaient. Le village qui était en zone libre, fut placé en novembre 1942 sous occupation italienne et enfin sous contrôle allemand.
Lorsque les Allemands arrivèrent, la Gestapo s’installa à Valence à une soixantaine de kilomètres du village qui semble ainsi avoir été épargné par les persécutions. Il est à noter que l’action de Dieulefit pendant la guerre, qui peut-être comparée à celle du Chambon-sur-Lignon, demeure encore inconnue. Pierre Vidal-Naquet, qui y fit plusieurs séjours enfant, garde le souvenir de Dieulefit comme « une des capitales intellectuelles de la France » pendant l’occupation. Il évoque ainsi le village :
Dieulefit et Le Chambon-sur-Lignon illustrent parfaitement la résistance silencieuse en faveur des persécutés et particulièrement des enfants. Dans ces deux communes, la population s’est engagée, massivement guidée par les pasteurs. Ces deux villages se sont constitués en véritables remparts contre le nazisme.
5.1. La Suisse - Les passages clandestins de la frontière suisse illustrent parfaitement l’entraide entre les milieux juifs et non juifs. Les passages en Suisse, qui ont permis de préserver de nombreux enfants, ont toujours été une entreprise périlleuse. Les dirigeants suisses n’accueillaient pas volontiers les Juifs et les refoulements furent nombreux. Jean-Jacques Fraenkel en fit l’expérience en 1942. Alors qu’un couple suisse ami de ses parents, lui ayant soigneusement décousu son étoile, tentait de l’emmener à Lausanne, après avoir essayé de franchir légalement deux postes frontières, Jean-Jacques Fraenkel dut être reconduit à Chamonix . A la fin de l’été 1942, alors que les persécutions battent leur plein sur l’ensemble du territoire français, des instructions strictes sont données aux douaniers suisses :
Si les Suisses sont peu enclins à voir affluer les Juifs, il n’en demeure pas moins que les gardes suisses ont ordre de ne pas refouler des enfants seuls âgés de moins de seize ans ou des parents accompagnés d’enfants de moins de seize ans.
Jean-Pierre Lévy explique la réussite des différentes filières :
Les premiers passages clandestins eurent lieu dès 1941. Entre novembre 1942 et septembre 1943, l’occupation italienne laissa un répit qui facilita la structuration des filières de passage des enfants. Mais à partir de 1943, l’invasion allemande dans la région et l’installation du régiment Todt à Annemasse avec la douane allemande avec les chiens policiers ainsi que la Gestapo rendirent de plus en plus périlleux les passages d’enfants en groupe et nombreux furent les passeurs et leurs groupes arrêtés à la frontière.
5.1.1. Catholiques et protestants dans les filières clandestines - Les protestant se sont employés, dès l’année 1941, à faciliter les passages de la frontière suisse. Jeanne Bach, épouse du pasteur d’Annemasse mit le temple à la disposition des réfugiés qu’elle aidait à franchir la frontière. La C.I.M.A.D.E. fut également partie prenante dans cette entreprise. Genevière Pittet, membre de l’organisation, en collaboration avec le pasteur Chapal d’Annecy et le pasteur Folliet, organisèrent des passages par le mur d’un cimetière. Le Secours Suisse aux Enfants organisa de nombreux passages. Il possédait une colonie appelée les Feux Follets, dans laquelle de nombreux enfants juifs furent intégrés et purent passer de l’autre côté de la frontière. Cette filière fut mise en place par Rösli Nâf et Maurice Dubois, un des dirigeants du Secours Suisse aux Enfants. Y participèrent Germaine Hommel déportée en Allemagne, Renée Farny et Madame Bouvard.
Dans le bourg de Douvaine, la population entière se mobilisa pour permettre le passage de la frontière. Cette filière avait été mise en place par labbé Douvaine qui périt à Bergen-Belsen. LAbbé Jolivet, curé de Colonges-sous-Salève organisa de nombreuses expéditions pour les enfants avec laide de Rolande Birgy dite « la fille au béret bleu ».
Hannah Meyer-Moses relate ainsi comment elle fut emmenée par cette dernière en Suisse avec un groupe denfants :
Le Père Favre, membre du réseau Gilbert et appartenant à la congrégation des Missionnaires de Saint-François de Sales aidé par le Père Pernoud et le frère Raymond permit à 2 000 réfugiés de gagner la Suisse. Il fut fusillé par les Allemands en mai 1944. Selon Jean-Pierre Lévy, en 1944, un nombre considérable denfants fut conduit de lautre côté de la frontière .
5.1.2. Le dernier maillon du circuit Garel : le passage des enfants en Suisse sous la direction de Georges Loinger -
5.1.2.1. Georges Loinger ; un itinéraire dans la résistance juive - Georges Loinger est né à Strasbourg en 1910 au cœur de l’Alsace-Lorraine rattachée à l’Allemagne après la guerre de 1870. Germanophone, il apprend dès les premières heures de l’Allemagne nazie, par des intellectuels et des Juifs réfugiés à Strasbourg, le danger que constitue le nazisme pour les communautés juives. Il adhère très tôt à un mouvement de jeunesse sioniste et se prépare à gagner la Palestine. Au sein de ce mouvement, il pressent la nécessité de préparer physiquement la jeunesse juive. Malgré un diplôme d’ingénieur, il décide de devenir professeur d’éducation physique. Il se rend à Paris, où il devient surveillant général et professeur d’éducation physique à l’école Maïmonide, premier lycée juif qui a eu pour élève en particulier Théo Klein. Georges Loinger est également moniteur national des E.I. Mobilisé en 1940, il est fait prisonnier de guerre dans un camp près de Munich. Il s’évade pour rejoindre son épouse, responsable de 123 enfants au château de la Guette près de Lagny, et intègre le réseau " Bourgogne ".
5.1.2.2. L’organisation du passage des enfants - A la suite de la création du circuit Garel, Georges Loinger est nommé responsable du passage des enfants en Suisse, dernier maillon de la filière souterraine de lO.S.E, lors dune réunion qui se tient dans un hôtel proche de la gare de la Perrache. Des jeunes femmes sont recrutées pour accompagner les enfants à partir des camps ou des résidences surveillées. Le passage de la frontière helvétique nest pas sans risques pour les enfants et leurs passeurs. Le groupe peut être refoulé ou pire être remis aux autorités. De plus, des consignes interdisent le passage de la frontière à des individus de plus de 16 ans, ce qui implique que des frères et soeurs pourraient être séparés.
Lentreprise de Georges Loinger ne peut donc se passer du soutien de fonctionnaires ou " daryens ". Par lintermédiaire du réseau Bourgogne, il prend contact avec le maire dAnnemasse, Monsieur Deffaugt. Ce dernier, ancien combattant et admirateur du Maréchal, nen désapprouve pas moins la politique de collaboration que conduit le gouvernement de Vichy et les mesures anti-juives. Avec son appui et celui des cheminots, dont Georges Loinger avait pu éprouver la sympathie lors de son évasion du camp de prisonniers, les enfants peuvent être acheminés. Depuis Aix-les-Bains, les enfants sont conduits par Georges Loinger et attendent le signal des cheminots. Monsieur Balthazar, adjoint au maire et responsable du centre daccueil municipal, surveille le bon déroulement de chaque expédition qui arrive à Annemasse. A la nuit tombée, après le couvre-feu et la reconnaissance des lieux, Georges Loinger attend le passeur quil faut payer parfois, et passe de lautre côté où les enfants sont mis définitivement en sécurité. Plus de 1 000 enfants ont été ainsi passés en Suisse par Georges Loinger. Aucune arrestation na été déplorée.
Georges Loinger explique son succès par la préparation méticuleuse de chaque passage et le soutien des non-juifs :
5.1.3. Les Eclaireurs Israélites de France : Marianne Cohn et Mila Racine, deux figures emblématiques de la résistance juive spécialisées dans le passage des enfants - Ces deux femmes sont devenues des symboles dun engagement total dans la résistance pour que des enfants puissent continuer à vivre. Leur destin fut à limage de nombreux anonymes qui avaient consenti au même sacrifice. Mila Racine gagne en 1942 Saint-Gervais où elle dirige un groupe local du Mouvement de Jeunesse Sioniste à Saint- Gervais. Elle part ensuite pour Annecy. Elle fait partie des fondateurs de la filière clandestine vers la Suisse, dont son frère Emmanuel Racine dit " Mola ", qui travaille en étroite collaboration avec Georges Loinger, est lorganisateur. Marianne Cohn quant à elle, fut la secrétaire de Simon Levitt du M.J.S. quelle avait suivi depuis Moissac. Elle participe au sauvetage des enfants en tant quassistante sociale.
En novembre 1943, elle est arrêtée une première fois avec Jacques Klausner. Pendant ce séjour en prison, elle aurait écrit son célèbre poème qui traduit la pensée du résistant et un certain état desprit dune jeunesse vouée au sauvetage des autres . Le 21 octobre 1943, Mila Racine et Rolland Epstein assurent le convoyage dun groupe comprenant des enfants, des adultes dont de nombreux vieillards. On leur déconseille de tenter de passer la frontière en raison dune garde renforcée. Pourtant le groupe continue son chemin vers la Suisse. Surprise par des chiens policiers à Saint-Julien-en-Gênevois, la petite troupe est arrêtée. Parmi eux, un membre est tué, un autre blessé. Mila Racine sera déportée à Ravensbrück avec Rolland Epstein. Elle tombera en 1945, lors dun bombardement de laviation alliée. Rolland Epstein reviendra de déportation.
Après quelques mois, nécessaires à Georges Loinger et Emmanuel Racine pour restructurer les passages et tenter de trouver des points moins dangereux, Marianne Cohn prend le relais de Mila Racine. Elle réussit plusieurs passages. Mais ceux-ci s’étaient multipliés depuis le printemps 1944 et les groupes, comprenant plus d’enfants, devenaient repérables. Le 31 mai 1944, Marianne Cohn est arrêtée à la sortie du village de Viry, à quelques mètres de la frontière suisse par une patrouille allemande. Le groupe comprenait 28 jeunes âgés de 3 à 19 ans. Ils sont acheminés à la douane allemande d’Annemasse, puis après une nuit d’interrogatoire, vers la prison de Pax, une remise face à l’hôtel Pax, quartier général des Allemands. Le maire d’Annemasse négocie avec le S.S. Meyer la libération des enfants de 3 à 11 ans. Ceux-ci sont assignés en résidence surveillée à l’hôpital d’Ambilly, puis dispersés dans les maisons du Secours National. Un groupe de résistants propose alors à Marianne Cohn de la faire évader, mais elle refuse, redoutant des représailles par le S.S. Mansholt sur les adolescents demeurés en prison avec elle. Martyrisée par les S.S Meyer et Mansholt, elle est assassinée sauvagement le 8 juillet 1944 avec d’autres résistants. Son corps mutilé est retrouvé le 28 août 1944, jour de la libération d’Annemasse par Jean Deffaugt et Emmanuel Racine, dans un charnier de Ville-la-Grand. Son corps est identifié par Emmanuel Racine grâce à une chaussure. Les adolescents, sur l’intervention de Monsieur Deffaugt, restèrent à la prison de Pax pendant les deux mois qui précédèrent la Libération.
La filière suisse permis de préserver environ 2 000 enfants de la déportation. De nombreux passeurs y trouvèrent la mort. Des filières comme celle de Georges Loinger, organisées dans les moindre détails furent une réussite.
5.2. L’Espagne - Peu d’enfants furent passés en Espagne, qui ne pouvait qu’être gagnée qu’au prix d’une marche éprouvante à travers les Pyrénées dans le froid et la neige. Pourtant une centaine d’enfants et parmi eux quelques nourrissons furent conduits de l’autre côté de la frontière espagnole. Les passages clandestins d’enfants furent organisés par l’Armée Juive dans le cadre du Service d’Evacuation et de Regroupement des Enfants, le S.E.R.E. qui deviendra après la guerre l’O.P.E.J. - Œuvre de Protection des Enfants Juifs. Les enfants étaient convoyés par des assistantes sociales : Andrée Salomon, Elizabeth Hirsch et Gisèle Roman. Cette dernière a indiqué avoir conduit 87 enfants vers l’Espagne :
La plupart des enfants qui furent conduits en Espagne étaient des enfants dont les deux parents avaient été déportés. LEspagne ne constituait pas la fin de leur voyage. Ils partaient ensuite vers la Palestine via le Portugal.
Sans lappui dune partie de la population, les sauvetages denfants nauraient pu être possibles. A léchelon local, des Français ont pris le relais des organisations juives pour cacher les enfants, au mépris des risques encourus. Catholiques et protestants qui participèrent aux passages clandestins à la frontière suisse constituèrent des maillons importants dune chaîne de solidarité.
Ainsi, les organisations juives ne furent pas seules à assumer les sauvetages. Des organisations laïques telles que lEntraide Temporaire ou le Mouvement National Contre le Racisme furent partie prenante dans cette voie. Suzanne Spaak, qui paya de sa vie son dévouement à la cause des enfants et de la résistance est à limage de la « conspiration pour le bien » qui se forme au moment des grandes rafles et à laquelle se joignent de nombreux anonymes.
Sommaire - Introduction - I Enfants cachés, enfants en danger - II Les organisations juives - III Deux organisations laïques - IV Juifs et chrétiens - V Le réseau Marcel dans la région de Nice - VI La Maison de Sèvres - VII Conclusion - VIII Bibliographie - Iconographie
[1] Informations concernant Vic-sur-Cère d’après l’ouvrage d’Eugène MARTRES, Le Cantal 1939-1945, Edition de Borée, pp 64-65, ces pages sont reproduites dans le Bulletin n° 15 de l’association Les Enfants Cachés, juin 1996, pp 6-9
[2] L’Association des Enfants Cachés a consacré dans le bulletin n° 19 deux articles historiques sur le Père DEVAUX et les enfants qu’il réussit à cacher. Le premier Les enfants du Père Devaux, est signé Francisco M. SABIA, le second s’intitule Le sauvetage des enfants, raconté par Germaine Ribière. Cette dernière a été une collaboratrice de Monseigneur SALIEGE et du Père DEVAUX, ainsi que l’organisatrice du retour en France des enfants FINALY. Le Yad Vashem lui a décerné le titre de Juste parmi les Nations pour son action au service de la préservation de l’enfance juive. Ces deux articles constituent une source fondamentale pour l’étude des enfants cachés par le Père DEVAUX.
[3] Témoignage de Germaine RIBIERE, in Bulletin des Enfants Cachés, n° 19, juin 1997, p 8.
[4] Idem
[5] Idem
[6] Témoignage de Denise Aguadich née PAULIN recueilli pour l’association des Enfants Cachés.
[7] Témoignage de Denise AGUADICH, op. cit.
[8] Témoignage de Denise AGUADICH née PAULIN réalisé par l’association Les Enfants Cachés.
[9] Texte lu par la fille d’André et Magda TROCME, Documentaire audiovisuel de Pierre SAUVAGE, Les Armes de l’Esprit
[10] Témoignage extrait du Documentaire audiovisuel de Pierre SAUVAGE, Les armes de l’Esprit
[11] Témoignage de Madeleine DREYFUS, extrait de Sabine ZEITOUN, Ces enfants qu’il fallait sauver, Editions Albin Michel, Paris, 1989, 288 pp, voir p 235.
[12] Tous les éléments rapportés sur Dieulefit, sont extraits de l’allocution de Simone MONNIER, Actes du Colloque Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe, Palais du Luxembourg, Edité par Les Enfants Cachés , Paris, 1995, 140 pp, voir pp 35-42.
[13] Pierre VIDAL-NAQUET, Mémoires, la brisure et l’attente 1930-1955, Editions Seuil-La Découverte, avril 1995, 301 pp, voir pp 154-156.
[14] Voir le récit de Jean-Jacques FRAENKEL in L’Abus de confiance, Editions Biblieurope, Israël, 1997, 175 pp, pp 80- 96
[15] Extrait de l’exposition Chemins de passage de la ville de Gaillard, 1996, reproduit par le Bulletin n° 15,
[16] Les Enfants Cachés., juin 1996
[17] Article de Jean-Pierre LEVY, La mort ou la vie à la frontière suisse, Les Enfants Cachés, bulletin n° 15, p 9.
[18] Témoignage d’Hannah MYER-MOSES cité par André KASPI, Les Juifs pendant l’occupation, Editions du Seuil, Paris, 1991, 421 pp.
[19] Jean-Pierre LEVY estime que parmi les Juifs qui ont tenté de passer en Suisse, 15 000 à 20 000 furent arrêtés au moment de leur passage ou refoulés par les douaniers et déportés.
[20] Entretien avec Georges LOINGER réalisé par Irène SAVIGNON-VALACHS, le 17 mai 1983 pour "Les Enfants Cachés".
[21] Mila Racine était née le 14 septembre 1919 à Moscou. Sa famille était arrivée à Paris en 1925. Elle milite avant- guerre au sein de la WIZO (Women International Zionist organisation). Après l’arrivée des Allemands, elle se replie avec sa famille sur Toulouse et devient assistante sociale au camp de Gurs.
[22] Marianne COHN est née à Mannheim en 1922. Avec sa sœur Lisette et ses parents, universitaires, elle quitte l’Allemagne en 1927. La famille s’installe en 1934 en Espagne qu’ils quittent en 1938 en raison de la guerre civile. Ils s’installent alors à Paris. Marianne et Lisette sont envoyées en 1939 au bureau des E.I.F. de la rue de Ségur pour être évacuées. Elles gagnent alors Villefranche de Rouergue, puis sont envoyées à Moissac.
[23] Cf. Poème de Marianne COHN, Je trahirai demain reproduit ci-contre.
[24] Anny LATOUR, La Résistance juive en France, Editions Stock, Paris, 1970, 295 p 162 180