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Le compte-rendu de l'hommage public à Yvonne et Roger Hagnauer, le Samedi 4 juin 2005 à Sèvres

Les enfants cachés pendant la seconde guerre mondiale aux sources d'une histoire clandestine

Céline MARROT-FELLAG ARIOUET

Chapitre III - Juifs et chrétiens

La figure hautement symbolique du Père Jacques du collège catholique des Carmes à Fontainebleau, déporté pour avoir caché trois enfants juifs sous une fausse identité et que Louis Malle a transposée au cinéma dans le film Au revoir les enfants est évocatrice d’une certaine image du clergé séculier engagé dans le sauvetage des enfants. Nombre de religieux peu sensibles aux thèses pétainistes, tendirent la main aux enfants. Parmi eux, le Père Devaux, de la congrégation de Notre-Dame-de-Sion en zone occupée et les Sœurs de Notre-Dame-de-Sion en zone libre, constituèrent des réseaux importants, représentatifs de cette solidarité développée dans la tourmente entre Juifs et Chrétiens.

1) L’Amitié chrétienne

Représentative d’un oecuménisme dont la vocation est de venir en aide aux persécutés, l’Amitié Chrétienne permit à de nombreux enfants de survivre. Cette association, créée à la fin de l’année 1941, est une œuvre multiconfessionnelle qui réunit différentes tendances de la chrétienté. Elle rassemble des dirigeants d’organisations de jeunesses catholiques et protestantes, muées par la volonté de lutter contre l’antisémitisme ambiant. L’Amitié Chrétienne est animée pour les catholiques par Germaine Ribière, le révérend père Chaillet, jésuite et l’abbé Glasberg, juif converti au catholicisme, Jean-Marie Soutou. Les pasteurs Marc Boegner et Roland de Pury coaniment l’œuvre. Se joint à eux Madeleine Barot de la C.I.M.A.D.E. L’Amitié Chrétienne est présente dans les camps d’internement et à Vénissieux. En zone occupée comme en zone libre, des enfants sont placés dans des établissements animés par cette organisation œcuménique. Le centre de Vic-sur-Cère en est un exemple évocateur.

Vic-sur-Cère est un petit village du Cantal. Le 11 juillet 1942, l’O.S.E. avec l’appui de l’Amitié Chrétienne y ouvre à l’hôtel Touring Club, un centre pour adolescentes, avec une autorisation préfectorale. Le centre pourtant fiché par les renseignements généraux, dont un rapport souligne la présence d’une soixantaine d’adolescentes juives n’a jamais été l’objet d’arrestations. Les adolescentes furent épargnées par la déportation. Comme le souligne Eugène Martres, la population du centre s’est modifiée au fil des ans. En raison de la tranquillité dont jouit le centre, l’Amitié Chrétienne et l’O.S.E. y placèrent des adultes et des enfants.

Tandis que les rafles dans le Cantal se poursuivirent jusqu’en mai 1944, aucune arrestation n’eut lieu à Vic-sur-Cère dont le centre était connu tant des autorités françaises qu’allemandes, et même de la milice dont le responsable départemental résidait à Vic-sur- Cère. Les occupants du centre ne doivent pas leur survie à une complicité bienveillante de la population qui, si elle ne se livra pas à la délation, fut dans son ensemble plutôt indifférente sinon hostile à la présence des jeunes Juifs. Il semblerait que cette maison ait bénéficié de la protection de la secrétaire de mairie et du Préfet du Cantal. Sans doute le patronage de l’Amitié Chrétienne lui a-t-il conféré une certaine tranquillité.

2) Les enfants du père Devaux

2.1. Le Père Devaux, de la volonté du rapprochement des peuples à l’engagement dans la résistance - Théomir Devaux naît le 17 mars 1885 à Castillon dans le Calvados. Une rencontre avec un religieux de Sion le conduit à entrer dans cet ordre. Dès son ordination, il gagne Jérusalem et l’Institut Saint-Pierre-de-Sion, école d’arts et métiers pour les enfants nécessiteux de l’Eglise en Terre Sainte et dont il devient le directeur. Cette école, destinée à son fondement exclusivement aux catholiques, s’ouvre progressivement aux autres peuples et religions. Des enfants arabes y sont admis, ainsi que des enfants juifs de familles récemment immigrées depuis le continent européen.

En 1925, le Père Devaux quitte Jérusalem pour la Maison des Pères de Sion à Paris, située au 68, rue Notre-Dame-des-Champs. Cette même année, il est ordonné Supérieur Général. Dans la perspective d’un rapprochement mutuel entre les religions, il entre en contact avec des personnalités catholiques, protestantes et juives. En 1928, il fonde la revue La Question d’Israël à l’image de son action. Naturellement, la revue se lance dans le combat contre l’antisémitisme qui s’abat en Europe, et qui constitue un axe essentiel de la politique conduite en Allemagne nazie. De juillet 1940 au 18 octobre 1940, la Gestapo visite plusieurs fois la maison au 68, rue Notre-Dame-des-Champs, tandis que la revue est interdite. La Gestapo se méfie tout particulièrement de l’ordre en raison du rapprochement qu’elle prône avec les Juifs. Germaine Ribière raconte :

« Deux visites sont des perquisitions longues et minutieuses, après chacune d’elles dossiers, archives sont emportés, les scellés mis sur différents meubles. Lors de la troisième visite les scellés sont mis sur les différentes bibliothèques réparties dans la maison. Le 18 octobre dernière visite, c’est le vol de la bibliothèque [spécialisée dans le Judaïsme]. Les livres sont mis dans quarante-cinq caisses chargées sur un camion. Un responsable dit au Père Devaux qui était présent : " Nous avons ordre de confisquer votre bibliothèque, c’est une punition ; vous êtes le centre le plus important des relations entre les Chrétiens et les Juifs ; mais on vous laisse la maison et la vie, entre Allemands et Français il faut s’entendre. »

Les intimidations de la Gestapo ne découragent pas le Père Devaux, qui dès lors se consacre au sauvetage des enfants.

2.2. De 1940 à la Rafle du Vel d’Hiv - Le Père Devaux, à partir du dernier trimestre de 1940, décide de porter secours aux Juifs, hommes, femmes et enfants qui nécessitent des refuges. Mais rapidement, l’aide délivrée se tourne vers les enfants. L’organisation des sauvetages jusqu’au Jeudi Noir, repose sur trois personnes : le Père Devaux, qui accueille et trouve des endroits où se cacher à ceux qui viennent se réfugier chez lui, son assistante Georgette Schwarcz, ainsi que Mademoiselle Hue, arrière petite fille du valet de chambre de Louis XVI, qui effectue certaines courses dans Paris, et sert occasionnellement d’accompagnatrice. Ces trois personnes suffisent jusqu'à la Rafle du Vel d’Hiv, qui joue le rôle d’un catalyseur dans la nécessité de cacher les enfants.

La rafle permet de constater l’urgence de mettre rapidement le plus d’enfants possible à l’abri. Le Père Devaux doit alors s’entourer de nouveaux collaborateurs.

2.3. A partir de 1942 : les Pères de Sion et le sauvetage des enfants - Comme pour les autres oeuvres qui se consacrent au sauvetage des enfants, plusieurs conditions président à la répartition des tâches. Il faut en premier lieu convaincre les parents de se séparer des enfants quand ils hésitent à encore à les confier, trouver des institutions religieuses, des familles où les placer, fabriquer les faux papiers nécessaires à leur camouflage, leur apprendre leur nouvelle identité et les préparer. Quand les enfants sont prêts, ils sont convoyés vers leur lieu d’accueil. Des équipes se mettent en place. Germaine Ribière, qui rencontre le Père Devaux par l’intermédiaire de Mère Francia de Linares, directrice du pensionnat des religieuses de Notre-Dame-de-Sion, apporte son aide au mouvement. Avec une de ses amies, elles établissent les faux papiers :

" Aux Cahiers du témoignage Chrétien fondés et dirigés par le Père Chaillet, j ‘étais celle que l’on a coutume de nommer " le bras droit ". Entre autres responsabilités, j’avais celle de l’organisation du service social, qui comprenait aussi le camouflage des enfants juifs. Une amie Marcelle Deschamps, étudiante en médecine avait en charge la fabrication des faux papiers. Nous habitions ensemble 114 rue du Bac, un appartement au 3ème étage, qui servait de PC aux Cahiers du Témoignage Chrétien. Voici l’aide que nous avons apportée au Père Devaux : nous lui avons fourni les faux papiers dont il avait besoin pour les enfants ainsi que les accompagnatrices qui devaient les conduire là où on acceptait de les recevoir. "

Le Père Devaux s’occupe de la préparation des enfants au départ, ce qui représente deux ou trois jours. Il les met en confiance, s’assure qu’ils sauront répondre à leur nouveau nom en toutes circonstances.Le Père Devaux s’occupe également de persuader les parents de confier les enfants, travail délicat qui nécessite patience et mise en confiance des familles pour les amener à accepter de laisser partir les enfants :

« Il arrivait parfois qu’au cours d’une visite, le Père Devaux apprenait que dans tel ou tel quartier il y avait une famille avec plusieurs enfants qui n’osait plus sortir, tant le quartier était surveillé. Il savait le danger que cela représentait, il faisait tout ce qui était possible pour sauver les enfants : il envoyait visiter la famille, expliquer doucement qu’il fallait mettre les enfants en sécurité ; c’était un travail délicat et difficile, il fallait beaucoup de patience et beaucoup d’amour. Le plus souvent, il s’agissait de familles démunies, mal insérées parce que comprenant et parlant mal le français, cela ajouté à l’angoisse d’une telle situation resserrait très très fortement les liens familiaux et rendait la séparation difficile, c’était un terrible arrachement. »

La responsabilité de convaincre les parents incombe à Mademoiselle Hue ou à Denise Paulin-Aguadich après son retour à Paris en juillet 1943. Une fois les enfants prêts à partir, ils quittent la maison du 68 rue Notre-Dame-des-Champs avec Georgette Schwarcz ou Mademoiselle Hue qui les remettent aux accompagnatrices. Germaine Ribière détache Zita Ricard comme accompagnatrice principale, mais selon l’urgence de la situation d’autres femmes prêtent main forte. Ainsi Claude Hamre et Françoise Cortigiani, étudiantes agrégatives effectuent si nécessaire des convois d’enfants. Le plus grand nombre des enfants est caché dans la Sarthe au sein de familles de paysans. Certains sont placés en région parisienne, d’autres plus loin.

L’organisation doit faire face à des situations d’urgence qui ne laissent parfois aucune place à la préparation. Germaine Ribière relate ainsi l’épopée de 45 enfants pris en charge en toute hâte :

" Après une rafle dans le quartier de La Chapelle, il fallut cacher d’urgence quarante-cinq enfants, ce n’était pas une petite affaire. Le groupe fut organisé en colonie de vacances, conduit dans la Sarthe par Denise Paulin qui par chance avait un diplôme d’assistante sociale et de directrice de colonies de vacances. A la gare d’arrivée les paysans chez qui ils allaient étaient venus avec leurs charrettes ; ce fut une équipée mémorable. "

L’action du Père Devaux, c’est ainsi l’histoire de plus de 443 enfants cachés, préservés de la déportation par une équipe efficace. Des archives privées ont conservé les traces de cette histoire clandestine, puisque le Père Devaux constituait des listes comprenant l’identité des enfants ainsi que le nom des parents qui lui avaient confié l’enfant et le nom de celui qui payait les pensions, dans le but de pouvoir restituer les enfants, une fois la guerre finie. La Gestapo ayant visité plusieurs fois la maison, ces documents qui pouvaient compromettre la sécurité des enfants, étaient cachés dans la Chapelle, sous les marches de l’autel. Après la guerre, les enfants ont été dans le meilleur des cas rendus à leurs parents, ou replacés dans un milieu Juif. Certains ont été confiés à des maisons d’enfants juives, tandis que d’autres sont partis vers la Palestine ou restés dans les maisons d’enfants du C.O.S.O.R, le Comité des Oeuvres Sociales de la Résistance.

3) Grenoble : Denise Aguadich et les sœurs de Notre-Dame de Sion

En août-septembre 1940, les soeurs de Notre-Dame-de-Sion se trouvent à Grenoble après leur départ forcé de Strasbourg. Parmi la communauté juive de Grenoble se trouvent 10 000 Juifs venus se réfugier dans cette région après la montée du nazisme. La maison des soeurs de Notre-Dame-de-Sion devient un lieu de rencontre, où les Juifs de la région essaient de trouver des solutions pour vaincre leur désarroi :

« (...) Dès le mois de mai 1941, nous entendions, nous qui étions en zone libre, les bruits de ce qui se passait en zone occupée, à Paris notamment (...). Alors très vite à Grenoble, il y a un certain petit groupe qui s’est formé avec le Père Chaillet, Témoignage Chrétien, (...) Germaine qui était notre chef direct, et les Juifs ont commencé à venir nous voir et à poser des questions, à demander des conseils : " Faut-il se déclarer au commissariat ? Comment faire pour vivre dans la clandestinité ? dans le Maquis ? Comment passer la frontière ? Ils avaient tous envie de passer en Suisse, naturellement. Et comment surtout cacher les enfants ? Les parents voulaient se séparer de leurs enfants, parce que c’était trop dangereux de vivre ensemble. »

A Grenoble, Denise Paulin, entourée d’une équipe dont l’effectif n’excède pas cinq personnes, s’emploie à cacher les enfants. Parmi ce petit groupe, se trouvent deux jeunes femmes juives, envoyées par Germaine Ribière. Elles sont assistantes sociales et participent au camouflage des enfants sous de faux noms. Puis, les rejoint un jeune étudiant juif bulgare. Denise Paulin se souvient des circonstances dans lesquelles il rejoignit le groupe :

« Il s’est trouvé qu’à un moment un jeune étudiant bulgare est venu me voir pour me demander : " Voilà , j’ai ma fiancée qui est dans un camp à Beaune-la-Rolande. C’est une Juive russe. Alors est-ce que vous croyez que si je vais à Lyon à la Gestapo, je me livre, je dis : « Voilà, mettez-moi dans un camp, et libérez ma fiancée. » Je lui dis : « Mon pauvre ami, vous allez à Lyon à la Gestapo. On vous met la main dessus. Vous partez dans un camp, et votre fiancée n’est pas libérée. Si vous faites si bon marché de votre vie, venez nous aider. »

Au sein de l’équipe elle est la seule chrétienne. Les enfants sont cachés avec de faux papiers, fournis en partie par Germaine Ribière, chez des nourrices ou au sein du couvent des soeurs de Notre-Dame-de-Sion, où les enfants sont recueillis avec un extrême dévouement et un profond respect de leur religion. L’équipe de Grenoble est appuyée par le Père Chaillet, le groupe de Témoignage Chrétien, l’Armée Secrète. Parmi les enfants qui furent sauvés, Denise Paulin se souvient particulièrement de l’épopée d’une petite fille juive de six ans et de sa famille arrachées à la Gestapo avec le concours des autorités italiennes qui occupèrent la région entre novembre 1942 et septembre 1943. Les parents de la fillette, d’origine polonaise, vivent à la Tronche et à leur demande leur fille rentre chaque week-end au domicile familial. Son père la ramène au couvent des Soeurs de Notre Dame de Sion chaque dimanche, au plus tard, le lundi matin

« Dans la matinée [du lundi] nous voyons arriver le papa, qui nous raconte que lui-même faisait partie d’un groupe de résistance dans la maquis. Il savait qu’il était surveillé (...) Il était dans la rue quand il a vu une voiture noire avec des gens qui freinent brusquement, qui ouvrent la porte. Il n’a eu que le temps de se sauver, ils ne l’ont pas vu. Et ils sont entrés dans la maison, ils ont demandé à la petite où était son père. Elle n’a pas su dire --une petite de six ans– et ils ont tout brisé, les meubles, tiré les tables, enfin mis la maison à sac et ils ont emmené –ça nous l’avons su après, car lui, il n’a pas vu la maison à ce moment-là– la mère et la grand-mère dans la voiture. Et la petite, ils l’ont fixée chez une voisine, qui était femme de ménage chez eux, en disant : « vous ne la donnez à personne. Si vous la donnez, vous partirez au camp. » (...) Alors, nous avons réfléchi et nous avons demandé à ce monsieur qu’il établisse une lettre antidatée, mais datée de la date à laquelle il avait confié sa fille à Sion, et dans laquelle il disait à la Supérieure de Sion qu’il lui confiait son enfant au cas où elle serait orpheline. »

Denise Paulin et la Mère Supérieure, Mère Magda se rendent aux autorités italiennes responsables de la région de Grenoble. Elles sont reçues par le capitaine Masceroni qui prend cette affaire d’ingérence allemande dans la zone sous contrôle italien très au sérieux :

« Je dis : « Mais enfin, vous êtes au courant puisque c’est vous à Grenoble, n’est- ce pas (J’insistai très lourdement sur ça) qui êtes le chef, s’il y a quelque chose qui s’est passé à la Tronche, vous devez le savoir ! » « Oh, il dit, je vais voir tout de suite. »

« Naturellement il est allé voir. On ne savait rien. Alors, j’ai dit : « Mais ce n’est pourtant pas la Gestapo, ils ne viennent pas là, c’est à Lyon qu’ils sont n’est-ce pas ? » Il dit : « Mais naturellement, ici ce sont les Italiens qui sont responsables. » Je dis : « Mais alors, qu’est-ce que c’est ? » Je vais téléphoner à Lyon. » Il téléphone à Lyon et ça a fait une histoire entre les Italiens et la Gestapo, parce que la Gestapo n’avait pas le droit de venir comme ça. Ils faisaient des incursions. (...) Alors, il revient en disant : « Mais parfaitement, c’est laGestapo et elle a pris en otage la femme et la belle-mère de ce Monsieur qu’ils recherchaient comme résistant et qu’ils n’ont pas trouvé et ils les ont mis au fort Montluc. (...) Alors il a dit : « Mais, ça, soyez tranquilles, j’en fait mon affaire. Ces femmes sortiront de Montluc avant quelques jours. » Il était rouge de colère. Il dit : « Quant à la petite, je vous donne une estafette, je mets un mot en Italien pour la femme qui la garde, et je lui ordonne de rendre l’enfant. » Alors, nous sommes parties avec une estafette, le drapeau italien, Mère Magda et moi, et nous sommes allées récupérer la petite à la Tronche. »

En mai 1943, Denise Paulin est menacée pour ses activités. Elle gagne Paris, mais l’équipe de Grenoble continue à cacher des enfants.

4. Le plateau protestant

C’est peut-être parce qu’ils furent longtemps une minorité persécutée, et que la population entretint la mémoire des dragonnades et des persécutions subies au cours des siècles précédents, qu’en de nombreux endroits de France, les protestants ont été au premier plan dans le sauvetage des enfants juifs.

4.1. Le-Chambon-sur-Lignon, village sauveur - (voir aussi les observations et précisions qui nous sont faites le16 septembre 2005 - Note du webmestre)

Situé en zone libre à une soixantaine de kilomètres de Saint-Etienne, le Chambon- sur-Lignon est situé aux confins du Velay et du Livaret (Vivarais ? Note du Webmesre). Chaque villageois en moyenne a accueilli un Juif. Au Chambon-sur-Lignon, la vulgate veut ainsi que 5 000 protestants aient sauvé 5 000 Juifs. L’influence du Chambon-sur-Lignon sur l’ensemble des villages cévenols et jusque dans l’Ardèche qui suivit son exemple fut non négligeable. L’action des Chambonnais doit beaucoup à l’influence des pasteurs Trocmé et Théis. André Trocmé est d’origine allemande. Les Trocmé arrivent au village en 1934. Ils y fondent peu de temps avant la guerre la première école secondaire du Chambon-sur- Lignon. Magda Trocmé d’origine florentine a assisté à la montée du fascisme en Italie. En 1940, le dimanche suivant la signature de l’armistice, André Trocmé prononce un discours intitulé Les Armes de l’Esprit qui allait être en droite ligne avec l’action menée au sein de ce village :

«Le devoir des chrétiens est d’opposer à la violence exercée sur leur conscience, les armes de l’esprit. Nous résisterons lorsque nos adversaires voudront exiger de nous des soumissions contraires aux ordres de l’Evangile. Nous le ferons sans crainte comme aussi sans orgueil et sans haine. » Le Pasteur Trocmé fut rejoint par le pasteur Theis. Ces deux pasteurs ainsi que Roger Darcissac furent des leaders pour la population. Une habitante du village décrit ainsi l’influence qu’ils eurent sur le village :

« Les Trocmé ont eu une influence énorme sur nous. Pendant la première année de la guerre, ils étaient impopulaires, ils formaient une minorité disant qu’il ne fallait pas se battre contre les Allemands. Et pendant la Débâcle, ils formaient à nouveau une minorité disant qu’il ne fallait pas collaborer. (...) La population du Chambon les écouta et se rangea à leur avis. »

Ce n’est pas un hasard si de nombreuses organisations caritatives s’installèrent dans ce village. Le Secours Suisse y installa trois homes qui accueillirent des enfants et des adolescents sortis des camps d’internement. La C.I.M.A.D.E. ouvrit une pension appelée le Coteau Fleuri. Ce centre fut également une plaque tournante pour les passages clandestins de la frontière suisse.

Oscar Rosowski âgé de 19 ans et qui arriva au village en septembre 1942 se lança dans la fabrication des faux papiers. Il avait installé son laboratoire dans une ferme située dans le hameau de Fayol à la périphérie du Chambon-sur-Lignon. Les faux papiers à distribuer étaient dissimulés dans des ruches. Un jeune berger se chargeait de les répartir. De nombreux enfants furent cachés au Chambon-sur-Lignon, où les habitants s’efforcèrent de les préserver de la déportation. Madeleine Dreyfus assistante sociale de l’O.S.E. à Lyon, en contact permanent avec le pasteur Trocmé cacha de nombreux enfants dans les fermes. Elle relate ainsi ses liens avec les familles de fermier :

« Je devais y placer des enfants de 18 mois à 16 ans. Pour les petits, il n’y avait pratiquement pas de problèmes, les exigences alimentaires n’étant pas trop importantes et un petit c’est tellement attendrissant. [...] Dans l’immédiat, je ne révélais pas que c’étaient des enfants juifs, mais j’arguais qu’ils avaient besoin de l’air de la campagne. D’ailleurs, on ne me posait jamais de questions, ni le pourquoi, ni le comment, mais les villageois devinaient qu’ils étaient Juifs. Par contre, les adolescents de 15 et 16 ans étaient plus difficiles à placer. Comme ces fermiers étaient loin d’être riches, ils hésitaient à me les prendre en prétextant que leur femme était fatiguée ou malade. Mais après quelques explications sur la nécessité vitale de les intégrer dans leur famille, en précisant que c’étaient des enfants juifs recherchés par la police de Vichy et de la Gestapo, on me les prenait aussitôt sans aucune réserve : « Donnez-les nous, il fallait nous le dire plus tôt. »

En juin 1943, Daniel Trocmé directeur des Maisons des Roches et des Grillons, cousin d’André Trocmé fut arrêté avec une vingtaine d’étudiants âgés de 15 à 23 ans. Cette arrestation n’interrompit pas les opérations de sauvetage qui se poursuivirent jusqu'à la libération. Le Chambon-sur-Lignon fut le centre nerveux d’une résistance spirituelle qui s’étendait sur un rayon de vingt kilomètres, incluant une douzaine de paroisses et de nombreux hameaux. Mais comme le rappelle Pierre Sauvage : « La conspiration pour le bien qui se développa fut essentiellement privée et tacite. C’était avant tout une question de conscience individuelle. »

4.2. Dieulefit - Petit village de la Drôme de 3 000 habitants, Dieulefit servit de refuge à 1 300 hommes, femmes et enfants. Les enfants allaient à l’école de Beauvallon où ils durent leur survie à l’action de Marguerite Soubeyran, Simone Monnier et Catherine Kraft. Ecole active, développée à partir des recherches conduites à l’Ecole Jean-Jacques Rousseau de Genève, Beauvallon fonctionnait comme une république d’enfants. Dans cette école qui était dotée d’un internat, des enfants en difficultés furent recueillis. Mademoiselle Soubeyran et Catherine Kraft les directrice ainsi que Simone Monnier, enseignante ont intégré un réseau de résistance en contact avec l’Angleterre.

« Dans l’école, une vingtaine d’enfants juifs sont cachés, tandis que leurs parents sont hébergés dans une pension voisine. A Beauvallon, sont recueillis une partie des enfants qui provient du château de la Guette. Trois enfants parmi ceux recueillis provisoirement par l’école demeurent à Beauvallon fondus au milieu des autres enfants. »

A l’été 1942, les trois enfants sont placés dans des fermes du voisinage, l’école ayant désempli. La police française, qui est venue les réclamer auprès des directrices, parvient à les arrêter en trouvant l’adresse où ils ont été hébergés à la mairie. Envoyés à Vénissieux, Simone Monnier et Madame Soubeyran parviennent à les arracher au camp avec l’aide de l’O.S.E. qu’elles ont sollicitée. De retour à Dieulefit, la secrétaire de mairie, Jeanne Barnier, âgée de 21 ans et qui quelques temps plus tard permit à une assistante sociale de la Sixième de prendre son identité pour couverture, établit pour les enfants de " vraies " fausses cartes d’identité et d’alimentation. Engagée à la mairie de Dieulefit, le 1er avril 1939, elle établira pendant l’occupation 2 000 faux papiers d’identité. Selon Michel Schilovitz, les gendarmes alertaient les réfugiés juifs lorsque des rafles se préparaient. Le village qui était en zone libre, fut placé en novembre 1942 sous occupation italienne et enfin sous contrôle allemand.

Lorsque les Allemands arrivèrent, la Gestapo s’installa à Valence à une soixantaine de kilomètres du village qui semble ainsi avoir été épargné par les persécutions. Il est à noter que l’action de Dieulefit pendant la guerre, qui peut-être comparée à celle du Chambon-sur-Lignon, demeure encore inconnue. Pierre Vidal-Naquet, qui y fit plusieurs séjours enfant, garde le souvenir de Dieulefit comme « une des capitales intellectuelles de la France » pendant l’occupation. Il évoque ainsi le village :

« Beauvallon, c’était le domaine de « Tante Marguerite », -Marguerite Soubeyran- qui était à la tête d’une maison d’enfants où se pratiquaient les méthodes « nouvelles » et qui était un des hauts lieux du Refuge. (...) Marguerite Soubeyran était protestante, la troupe d’éclaireurs était protestante. La Résistance à Dieulefit était largement protestante. En 1943, une ferme où l’on entendait la radio de Londres était, normalement, une ferme protestante. (...) La plus forte personnalité à Dieulefit était comme il se doit un pasteur Henri Eberhard. (...) Catholiques et protestants étaient à Dieulefit des « autochtones ». Les Juifs étaient présents par suite des circonstances. Ils étaient nombreux soit sous leur nom (...) soit munis de fausses cartes. »

Dieulefit et Le Chambon-sur-Lignon illustrent parfaitement la résistance silencieuse en faveur des persécutés et particulièrement des enfants. Dans ces deux communes, la population s’est engagée, massivement guidée par les pasteurs. Ces deux villages se sont constitués en véritables remparts contre le nazisme.

5. Les chaînes de solidarité aux frontières

5.1. La Suisse - Les passages clandestins de la frontière suisse illustrent parfaitement l’entraide entre les milieux juifs et non juifs. Les passages en Suisse, qui ont permis de préserver de nombreux enfants, ont toujours été une entreprise périlleuse. Les dirigeants suisses n’accueillaient pas volontiers les Juifs et les refoulements furent nombreux. Jean-Jacques Fraenkel en fit l’expérience en 1942. Alors qu’un couple suisse ami de ses parents, lui ayant soigneusement décousu son étoile, tentait de l’emmener à Lausanne, après avoir essayé de franchir légalement deux postes frontières, Jean-Jacques Fraenkel dut être reconduit à Chamonix . A la fin de l’été 1942, alors que les persécutions battent leur plein sur l’ensemble du territoire français, des instructions strictes sont données aux douaniers suisses :

« Le refoulement sera exécuté en principe de la manière suivante : on donnera au réfugié l’occasion de repasser la frontière de la même manière et autant que possible, au même endroit qu’il l’avait franchie. Si pour des raisons pratiques, cela n’est pas possible, les réfugiés seront remis aux organes de frontière étrangers. On procédera de la même manière si les étrangers s’opposent au refoulement, même après avoir été menacés d’être remis aux organes de frontières étrangers. Lors de chaque refoulement, on déclarera aux réfugiés qu’ils seront remis aux organes frontières étrangers en cas de refoulement. »

Si les Suisses sont peu enclins à voir affluer les Juifs, il n’en demeure pas moins que les gardes suisses ont ordre de ne pas refouler des enfants seuls âgés de moins de seize ans ou des parents accompagnés d’enfants de moins de seize ans.

Jean-Pierre Lévy explique la réussite des différentes filières :

« Dans cette région, la résistance était au cœur de la population et les réseaux déjà bien structurés et actifs. C’est pourquoi de nombreuses filières purent fonctionner tant pour les adultes, que pour les enfants en dépit du renforcement des postes frontières et de l’attitude des responsables politiques suisses. »

Les premiers passages clandestins eurent lieu dès 1941. Entre novembre 1942 et septembre 1943, l’occupation italienne laissa un répit qui facilita la structuration des filières de passage des enfants. Mais à partir de 1943, l’invasion allemande dans la région et l’installation du régiment Todt à Annemasse avec la douane allemande avec les chiens policiers ainsi que la Gestapo rendirent de plus en plus périlleux les passages d’enfants en groupe et nombreux furent les passeurs et leurs groupes arrêtés à la frontière.

5.1.1. Catholiques et protestants dans les filières clandestines - Les protestant se sont employés, dès l’année 1941, à faciliter les passages de la frontière suisse. Jeanne Bach, épouse du pasteur d’Annemasse mit le temple à la disposition des réfugiés qu’elle aidait à franchir la frontière. La C.I.M.A.D.E. fut également partie prenante dans cette entreprise. Genevière Pittet, membre de l’organisation, en collaboration avec le pasteur Chapal d’Annecy et le pasteur Folliet, organisèrent des passages par le mur d’un cimetière. Le Secours Suisse aux Enfants organisa de nombreux passages. Il possédait une colonie appelée les Feux Follets, dans laquelle de nombreux enfants juifs furent intégrés et purent passer de l’autre côté de la frontière. Cette filière fut mise en place par Rösli Nâf et Maurice Dubois, un des dirigeants du Secours Suisse aux Enfants. Y participèrent Germaine Hommel déportée en Allemagne, Renée Farny et Madame Bouvard.

Dans le bourg de Douvaine, la population entière se mobilisa pour permettre le passage de la frontière. Cette filière avait été mise en place par l’abbé Douvaine qui périt à Bergen-Belsen. L’Abbé Jolivet, curé de Colonges-sous-Salève organisa de nombreuses expéditions pour les enfants avec l’aide de Rolande Birgy dite « la fille au béret bleu ».

Hannah Meyer-Moses relate ainsi comment elle fut emmenée par cette dernière en Suisse avec un groupe d’enfants :

« La première fois que je suis venue à Douvaine, c’était le 28 juillet 1943. (...) J’avais alors quinze ans et demi et je faisais partie avec ma sœur cadette d’un groupe d’enfants juifs arrachés à leurs parents et persécutés par les Allemands. Une jeune femme au béret bleu marine nous avait amenés de Grenoble au presbytère d’ici, où il nous a fallu attendre tout un après-midi dans ce petit jardin abrité d’un bel arbre que l’on y trouve toujours. (...) A la tombée de la nuit, deux messieurs inconnus sont venus nous chercher pour nous accompagner à la frontière suisse, où ils ont coupé les fils de fer barbelés, et ensuite nous ont fait passer au-dessous de l’obstacle. »

Le Père Favre, membre du réseau Gilbert et appartenant à la congrégation des Missionnaires de Saint-François de Sales aidé par le Père Pernoud et le frère Raymond permit à 2 000 réfugiés de gagner la Suisse. Il fut fusillé par les Allemands en mai 1944. Selon Jean-Pierre Lévy, en 1944, un nombre considérable d’enfants fut conduit de l’autre côté de la frontière .

5.1.2. Le dernier maillon du circuit Garel : le passage des enfants en Suisse sous la direction de Georges Loinger -

5.1.2.1. Georges Loinger ; un itinéraire dans la résistance juive - Georges Loinger est né à Strasbourg en 1910 au cœur de l’Alsace-Lorraine rattachée à l’Allemagne après la guerre de 1870. Germanophone, il apprend dès les premières heures de l’Allemagne nazie, par des intellectuels et des Juifs réfugiés à Strasbourg, le danger que constitue le nazisme pour les communautés juives. Il adhère très tôt à un mouvement de jeunesse sioniste et se prépare à gagner la Palestine. Au sein de ce mouvement, il pressent la nécessité de préparer physiquement la jeunesse juive. Malgré un diplôme d’ingénieur, il décide de devenir professeur d’éducation physique. Il se rend à Paris, où il devient surveillant général et professeur d’éducation physique à l’école Maïmonide, premier lycée juif qui a eu pour élève en particulier Théo Klein. Georges Loinger est également moniteur national des E.I. Mobilisé en 1940, il est fait prisonnier de guerre dans un camp près de Munich. Il s’évade pour rejoindre son épouse, responsable de 123 enfants au château de la Guette près de Lagny, et intègre le réseau " Bourgogne ".

5.1.2.2. L’organisation du passage des enfants - A la suite de la création du circuit Garel, Georges Loinger est nommé responsable du passage des enfants en Suisse, dernier maillon de la filière souterraine de l’O.S.E, lors d’une réunion qui se tient dans un hôtel proche de la gare de la Perrache. Des jeunes femmes sont recrutées pour accompagner les enfants à partir des camps ou des résidences surveillées. Le passage de la frontière helvétique n’est pas sans risques pour les enfants et leurs passeurs. Le groupe peut être refoulé ou pire être remis aux autorités. De plus, des consignes interdisent le passage de la frontière à des individus de plus de 16 ans, ce qui implique que des frères et soeurs pourraient être séparés.

L’entreprise de Georges Loinger ne peut donc se passer du soutien de fonctionnaires ou " d’aryens ". Par l’intermédiaire du réseau Bourgogne, il prend contact avec le maire d’Annemasse, Monsieur Deffaugt. Ce dernier, ancien combattant et admirateur du Maréchal, n’en désapprouve pas moins la politique de collaboration que conduit le gouvernement de Vichy et les mesures anti-juives. Avec son appui et celui des cheminots, dont Georges Loinger avait pu éprouver la sympathie lors de son évasion du camp de prisonniers, les enfants peuvent être acheminés. Depuis Aix-les-Bains, les enfants sont conduits par Georges Loinger et attendent le signal des cheminots. Monsieur Balthazar, adjoint au maire et responsable du centre d’accueil municipal, surveille le bon déroulement de chaque expédition qui arrive à Annemasse. A la nuit tombée, après le couvre-feu et la reconnaissance des lieux, Georges Loinger attend le passeur qu’il faut payer parfois, et passe de l’autre côté où les enfants sont mis définitivement en sécurité. Plus de 1 000 enfants ont été ainsi passés en Suisse par Georges Loinger. Aucune arrestation n’a été déplorée.

Georges Loinger explique son succès par la préparation méticuleuse de chaque passage et le soutien des non-juifs :

« (...) Il y avait donc en France, un régime pro-allemand et il y avait les Allemands qui nous pourchassaient, mais à partir de 1942-1943, moi, je peux témoigner qu’on a été aidé à chaque moment par la population française, je suis donc très partisan de défendre (...) cette volonté de ne pas s’associer à la déportation d’une partie de la population juive. (...) Il y avait aussi des fonctionnaires de Vichy qui travaillaient pour nous. » Les enfants arrivaient à la frontière en chantant « Maréchal nous voilà » ou « Une fleur au chapeau ».

5.1.3. Les Eclaireurs Israélites de France : Marianne Cohn et Mila Racine, deux figures emblématiques de la résistance juive spécialisées dans le passage des enfants - Ces deux femmes sont devenues des symboles d’un engagement total dans la résistance pour que des enfants puissent continuer à vivre. Leur destin fut à l’image de nombreux anonymes qui avaient consenti au même sacrifice. Mila Racine gagne en 1942 Saint-Gervais où elle dirige un groupe local du Mouvement de Jeunesse Sioniste à Saint- Gervais. Elle part ensuite pour Annecy. Elle fait partie des fondateurs de la filière clandestine vers la Suisse, dont son frère Emmanuel Racine dit " Mola ", qui travaille en étroite collaboration avec Georges Loinger, est l’organisateur. Marianne Cohn quant à elle, fut la secrétaire de Simon Levitt du M.J.S. qu’elle avait suivi depuis Moissac. Elle participe au sauvetage des enfants en tant qu’assistante sociale.

En novembre 1943, elle est arrêtée une première fois avec Jacques Klausner. Pendant ce séjour en prison, elle aurait écrit son célèbre poème qui traduit la pensée du résistant et un certain état d’esprit d’une jeunesse vouée au sauvetage des autres . Le 21 octobre 1943, Mila Racine et Rolland Epstein assurent le convoyage d’un groupe comprenant des enfants, des adultes dont de nombreux vieillards. On leur déconseille de tenter de passer la frontière en raison d’une garde renforcée. Pourtant le groupe continue son chemin vers la Suisse. Surprise par des chiens policiers à Saint-Julien-en-Gênevois, la petite troupe est arrêtée. Parmi eux, un membre est tué, un autre blessé. Mila Racine sera déportée à Ravensbrück avec Rolland Epstein. Elle tombera en 1945, lors d’un bombardement de l’aviation alliée. Rolland Epstein reviendra de déportation.

Après quelques mois, nécessaires à Georges Loinger et Emmanuel Racine pour restructurer les passages et tenter de trouver des points moins dangereux, Marianne Cohn prend le relais de Mila Racine. Elle réussit plusieurs passages. Mais ceux-ci s’étaient multipliés depuis le printemps 1944 et les groupes, comprenant plus d’enfants, devenaient repérables. Le 31 mai 1944, Marianne Cohn est arrêtée à la sortie du village de Viry, à quelques mètres de la frontière suisse par une patrouille allemande. Le groupe comprenait 28 jeunes âgés de 3 à 19 ans. Ils sont acheminés à la douane allemande d’Annemasse, puis après une nuit d’interrogatoire, vers la prison de Pax, une remise face à l’hôtel Pax, quartier général des Allemands. Le maire d’Annemasse négocie avec le S.S. Meyer la libération des enfants de 3 à 11 ans. Ceux-ci sont assignés en résidence surveillée à l’hôpital d’Ambilly, puis dispersés dans les maisons du Secours National. Un groupe de résistants propose alors à Marianne Cohn de la faire évader, mais elle refuse, redoutant des représailles par le S.S. Mansholt sur les adolescents demeurés en prison avec elle. Martyrisée par les S.S Meyer et Mansholt, elle est assassinée sauvagement le 8 juillet 1944 avec d’autres résistants. Son corps mutilé est retrouvé le 28 août 1944, jour de la libération d’Annemasse par Jean Deffaugt et Emmanuel Racine, dans un charnier de Ville-la-Grand. Son corps est identifié par Emmanuel Racine grâce à une chaussure. Les adolescents, sur l’intervention de Monsieur Deffaugt, restèrent à la prison de Pax pendant les deux mois qui précédèrent la Libération.

La filière suisse permis de préserver environ 2 000 enfants de la déportation. De nombreux passeurs y trouvèrent la mort. Des filières comme celle de Georges Loinger, organisées dans les moindre détails furent une réussite.

5.2. L’Espagne - Peu d’enfants furent passés en Espagne, qui ne pouvait qu’être gagnée qu’au prix d’une marche éprouvante à travers les Pyrénées dans le froid et la neige. Pourtant une centaine d’enfants et parmi eux quelques nourrissons furent conduits de l’autre côté de la frontière espagnole. Les passages clandestins d’enfants furent organisés par l’Armée Juive dans le cadre du Service d’Evacuation et de Regroupement des Enfants, le S.E.R.E. qui deviendra après la guerre l’O.P.E.J. - Œuvre de Protection des Enfants Juifs. Les enfants étaient convoyés par des assistantes sociales : Andrée Salomon, Elizabeth Hirsch et Gisèle Roman. Cette dernière a indiqué avoir conduit 87 enfants vers l’Espagne :

« Les enfants venaient de toute la France. Ils avaient en général de 7 à 12 ans. Dans le train, je les dispersais dans tous les compartiments. J’avais leurs sacs à dos dans une valise. J’avais aussi deux mitraillettes pour les passeurs. Avant d’emmener les enfants on les éduquait en vue du passage. A la sortie du train, ils avaient l’ordre de se disperser et de me suivre des yeux pour savoir où j’allais. Un peu plus loin, je sifflais une chanson et ils se rassemblaient autour de moi. »

La plupart des enfants qui furent conduits en Espagne étaient des enfants dont les deux parents avaient été déportés. L’Espagne ne constituait pas la fin de leur voyage. Ils partaient ensuite vers la Palestine via le Portugal.

Sans l’appui d’une partie de la population, les sauvetages d’enfants n’auraient pu être possibles. A l’échelon local, des Français ont pris le relais des organisations juives pour cacher les enfants, au mépris des risques encourus. Catholiques et protestants qui participèrent aux passages clandestins à la frontière suisse constituèrent des maillons importants d’une chaîne de solidarité.

Ainsi, les organisations juives ne furent pas seules à assumer les sauvetages. Des organisations laïques telles que l’Entraide Temporaire ou le Mouvement National Contre le Racisme furent partie prenante dans cette voie. Suzanne Spaak, qui paya de sa vie son dévouement à la cause des enfants et de la résistance est à l’image de la « conspiration pour le bien » qui se forme au moment des grandes rafles et à laquelle se joignent de nombreux anonymes.

Sommaire - Introduction - I Enfants cachés, enfants en danger - II Les organisations juives - III Deux organisations laïques - IV Juifs et chrétiens - V Le réseau Marcel dans la région de Nice - VI La Maison de Sèvres - VII Conclusion - VIII Bibliographie - Iconographie


[1] Informations concernant Vic-sur-Cère d’après l’ouvrage d’Eugène MARTRES, Le Cantal 1939-1945, Edition de Borée, pp 64-65, ces pages sont reproduites dans le Bulletin n° 15 de l’association Les Enfants Cachés, juin 1996, pp 6-9

[2] L’Association des Enfants Cachés a consacré dans le bulletin n° 19 deux articles historiques sur le Père DEVAUX et les enfants qu’il réussit à cacher. Le premier Les enfants du Père Devaux, est signé Francisco M. SABIA, le second s’intitule Le sauvetage des enfants, raconté par Germaine Ribière. Cette dernière a été une collaboratrice de Monseigneur SALIEGE et du Père DEVAUX, ainsi que l’organisatrice du retour en France des enfants FINALY. Le Yad Vashem lui a décerné le titre de Juste parmi les Nations pour son action au service de la préservation de l’enfance juive. Ces deux articles constituent une source fondamentale pour l’étude des enfants cachés par le Père DEVAUX.

[3] Témoignage de Germaine RIBIERE, in Bulletin des Enfants Cachés, n° 19, juin 1997, p 8.

[4] Idem

[5] Idem

[6] Témoignage de Denise Aguadich née PAULIN recueilli pour l’association des Enfants Cachés.

[7] Témoignage de Denise AGUADICH, op. cit.

[8] Témoignage de Denise AGUADICH née PAULIN réalisé par l’association Les Enfants Cachés.

[9] Texte lu par la fille d’André et Magda TROCME, Documentaire audiovisuel de Pierre SAUVAGE, Les Armes de l’Esprit

[10] Témoignage extrait du Documentaire audiovisuel de Pierre SAUVAGE, Les armes de l’Esprit

[11] Témoignage de Madeleine DREYFUS, extrait de Sabine ZEITOUN, Ces enfants qu’il fallait sauver, Editions Albin Michel, Paris, 1989, 288 pp, voir p 235.

[12] Tous les éléments rapportés sur Dieulefit, sont extraits de l’allocution de Simone MONNIER, Actes du Colloque Les Enfants Juifs et la Libération de l’Europe, Palais du Luxembourg, Edité par Les Enfants Cachés , Paris, 1995, 140 pp, voir pp 35-42.

[13] Pierre VIDAL-NAQUET, Mémoires, la brisure et l’attente 1930-1955, Editions Seuil-La Découverte, avril 1995, 301 pp, voir pp 154-156.

[14] Voir le récit de Jean-Jacques FRAENKEL in L’Abus de confiance, Editions Biblieurope, Israël, 1997, 175 pp, pp 80- 96

[15] Extrait de l’exposition Chemins de passage de la ville de Gaillard, 1996, reproduit par le Bulletin n° 15,

[16] Les Enfants Cachés., juin 1996

[17] Article de Jean-Pierre LEVY, La mort ou la vie à la frontière suisse, Les Enfants Cachés, bulletin n° 15, p 9.

[18] Témoignage d’Hannah MYER-MOSES cité par André KASPI, Les Juifs pendant l’occupation, Editions du Seuil, Paris, 1991, 421 pp.

[19] Jean-Pierre LEVY estime que parmi les Juifs qui ont tenté de passer en Suisse, 15 000 à 20 000 furent arrêtés au moment de leur passage ou refoulés par les douaniers et déportés.

[20] Entretien avec Georges LOINGER réalisé par Irène SAVIGNON-VALACHS, le 17 mai 1983 pour "Les Enfants Cachés".

[21] Mila Racine était née le 14 septembre 1919 à Moscou. Sa famille était arrivée à Paris en 1925. Elle milite avant- guerre au sein de la WIZO (Women International Zionist organisation). Après l’arrivée des Allemands, elle se replie avec sa famille sur Toulouse et devient assistante sociale au camp de Gurs.

[22] Marianne COHN est née à Mannheim en 1922. Avec sa sœur Lisette et ses parents, universitaires, elle quitte l’Allemagne en 1927. La famille s’installe en 1934 en Espagne qu’ils quittent en 1938 en raison de la guerre civile. Ils s’installent alors à Paris. Marianne et Lisette sont envoyées en 1939 au bureau des E.I.F. de la rue de Ségur pour être évacuées. Elles gagnent alors Villefranche de Rouergue, puis sont envoyées à Moissac.

[23] Cf. Poème de Marianne COHN, Je trahirai demain reproduit ci-contre.

[24] Anny LATOUR, La Résistance juive en France, Editions Stock, Paris, 1970, 295 p 162 180

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