Sommaire
Le compte-rendu de l'hommage public à Yvonne et Roger Hagnauer, le Samedi 4 juin 2005 à Sèvres

Les enfants cachés pendant la seconde guerre mondiale aux sources d'une histoire clandestine

Céline MARROT-FELLAG ARIOUET

Conclusion

En France, on peut estimer à environ 80 %, la proportion des enfants ayant échappé aux arrestations. Un effort tout particulier, émanant à la fois de différentes organisations et de la population a permis de mener à bien leur sauvetage. L'histoire des enfants cachés pendant la Seconde Guerre mondiale peut s'établir selon une chronologie à travers laquelle se détachent plusieurs périodes. Entre 1940 et 1942, près de 5 000 enfants sont internés dans les camps de la zone libre. Ils sont en proie à la faim, aux maladies et au désœuvrement. L'attention de nombreuses organisations caritatives se focalise sur la situation de ces enfants dont les décès se multiplient. Une chaîne de solidarité se met alors en place pour les faire sortir des camps, puis in extremis pour en arracher quelques uns à la déportation. Au moment des départs des convois depuis les camps de la zone encore « libre » de nombreux représentants d'organisations font ainsi leurs premiers pas dans la clandestinité.

Parallèlement, en zone occupée, un deuxième tournant s'effectue au moment de l'année 1941. Les premières rafles des hommes, Juifs étrangers, plongent les mères de famille dans une situation précaire et en incite certaines à confier les enfants à des organisations juives. En 1942, le port de l'étoile, qui est la première mesure discriminatoire à laquelle n'échappent pas les enfants, tire le signal d'alarme dans de nombreuses familles qui décident de les placer, par précaution, à la campagne. Enfin, la rafle du Vel d'Hiv lors de laquelle 4151 enfants sont arrêtés, constitue la principale onde de choc et le moment de l'entrée dans la clandestinité des organisations.

A cette date, les chaînes de solidarité se recréent pour cacher les enfants. Les organisations ont toutes agi dans une clandestinité totale ou partielle, parfois derrière le paravent de l'U.G.I.F. dont la responsabilité dans la déportation des enfants de ses centres et le refus délibéré de les disperser continuent à générer un débat passionnel entre historiens et à l'intérieur de la communauté juive.

Les sauvetages furent assurés en partie par des organisations juives, mais également non juives dont les orientations politiques et idéologiques étaient les plus diverses. Dans les multitudes d'entreprises périlleuses au profit des enfants, les églises tinrent une place considérable. De nombreux prêtres et pasteurs furent sollicités tant par des organisations que par des pères et des mères soucieux de mettre leurs enfants à l'abri. Dans de nombreux cas, les réponses ne se firent pas attendre.

Le haut-clergé dans son ensemble a soutenu la politique engagée par le Maréchal Pétain. Cependant, une trentaine d'évêques, suivant l'exemple de Monseigneur Salièges, se sont élevés pour dénoncer le sort des Juifs, au moment du départ des convois depuis la zone libre. Certains, tels que Monseigneur Rémond, évêque de Nice, ont contribué activement au sauvetage des enfants. Le Père Devaux, en zone occupée, fonda son propre réseau de sauvetage. La plupart des sauvetages d'enfants ne furent pas animés par la volonté de convertir, mais par un sentiment de solidarité. Le cas des enfants Finaly relève vraisemblablement de l'exception.

L'étude de la Maison d'enfants de Sèvres et du réseau Marcel nous ont permis de mesurer la difficulté des sauvetages. L'histoire des enfants cachés consiste en une multitudes d'entreprises périlleuses conduites dans l'affolement. Ainsi dans l'étude de ces réseaux de sauvetage, il est vain de parler d'une résistance organisée. Les enfants furent souvent pris en charge dans des conditions extrêmes, au moment d'une rafle, confiés par leurs parents ou des tiers au cœur de la tourmente. Moussa et Odette Abadi sauvèrent ainsi 527 enfants à Nice, où les Allemands semaient la terreur. L'histoire de ce réseau est celle de la construction d'une chaîne de solidarité où chaque maillon tient une place fondamentale. Sans l'appui de Monseigneur Rémond, l'entraide entre les organisations juives de la région, sans le concours de familles et d'institutions qui malgré la menace de représailles acceptaient de prendre des enfants, rien n'aurait été possible.

L'entreprise conduite dans le cadre de la Maison de Sèvres fut à l'image de la volonté farouche d'Yvonne et Roger Hagnauer de résister par tous les moyens à la politique discriminatoire conduite par le régime de Vichy, puis aux persécutions. Le couple nourrit également un attachement viscéral aux enfants qu'ils refusèrent de disperser, malgré les risques encourus. Une cinquantaine d'enfants vécurent à Sèvres. Pour ceux qui ne retrouvèrent pas leurs parents, ce séjour se prolongea jusqu'à leur entrée dans la vie adulte.

Le bilan des organisations juives et non juives dans le sauvetage des enfants peut-être présenté à travers le tableau ci-dessous :

Filières de sauvetage Nombre d'enfants sauvés
Émigration outre-Atlantique 311
Passages clandestins de la frontière espagnole Entre 88 et 132
Passages clandestins en Suisse 1 500 à 2 000
Familles non juives en zone occupée 1 500 à 2 000
Familles non juives en zone libre Entre 4 500 et 5 500
Comité O.S.E. 600
Circuit Garel 1 600
Rue Amelot 1 000
Entraide Temporaire 500
M.N.C.R. 163 enfants sortis des foyers de l'U. G. I. F
Sixième zone occupée 250
Sixième en zone libre 1 500
Réseau Abadi 527
Père Devaux 443
Tableau 1 : Bilan du sauvetage des enfants par les organisations juives et non juives

La lecture de ce tableau laisse apparaître de nombreuses zones d'ombre. Il ne représente qu'une partie des sauvetages d'enfants, et on ne dispose pas à ce jour d'un recensement exhaustif de toutes les filières qui ont participé à leur sauvetage. On sait par exemple, que des Juifs ont trouvé refuge à la Mosquée de Paris. [1] On ignore cependant leur nombre et si parmi eux il y avait des enfants.

La plupart de ceux qui ont été cachés ne le furent pas par des mouvements quelque peu organisés, mais par des Français demeurés anonymes qui se sont manifestés dans la tourmente. Les figures que l'on pourrait évoquer sont nombreuses. On pourra citer à titre d'exemple, le cas des cheminots de la gare de Lille-Fives où furent rassemblés le 11 septembre 1942, les Juifs arrêtés à Lille, Roubaix et Tourcoing, villes situées dans la zone interdite, rattachée au commandement allemand en Belgique. Avec la complicité des cheminots de la gare, plusieurs dizaines d'enfants purent être sauvés in extremis.[2]

A Lille, France Neuberg, infirmière à l'hopital Ambroise Paré sauva un bébé. Le 11 septembre 1942, elle se rendait à la gare de triage de Saint-Sauveur où avaient été regroupés les Juifs de la ville, raflés à l'aube. Elle portait un uniforme gris avec un brassard de la Croix-Rouge. Une femme qui l'avait reconnue pour avoir accouché le 31 mai 1942 à l'hôpital où elle travaille, la tira par la manche. Elle lui demande alors de prendre avec elle son bébé qui n'a que quelques mois. France Neuberg retourne à l'hôpital s'enquérir de l'accord des directrices. Elle raconte ainsi comment elle parvint à faire sortir de la gare un bébé de quelques mois dans un sac de montagne:

« J'ai pris mon vélo chez un cheminot qui me le gardait, je lui ai dit cela, et il m'a aussitôt répondu: « Certains enfants passent actuellemmt par un trou dans la palissade, si ce trou marche encore, je serai dehors pour vous aider. » Oui, mais il me fallait l'autorisation. J'ai rapidement été à Ambroise Paré, vu les directrices au moment de leur thé et, tout de suite, Mademoiselle Dulerman a répondu à ma question: « De grand cœur, mais comment allez-vous faire face ? » J'ai dit que je prenais mon sac de montagne au cas où le système du trou serait éventé et je suis redescendue. A toute vitesse. Le cheminot m'attendait pour prendre mon vélo et m'a dit : « Le trou ne marche plus. » Donc j'ai pris mon sac et suis entrée. Les femmes ont crié en me voyant: « Prenez mon enfant! » j'ai répondu: « Non, malheureusement, je suis venue pour Michel Baran et je ne peux prendre que lui. » La garde avait été renforcée par des soldats allemands nombreux, le long des voies et donc devant la guérite. Je suis entrée avec Madame Baran dans cette guérite où il y avait beaucoup de femmes parlant très fort en yiddish (...). »

« J'ai posé mon sac sur la table, ai demandé à Madame Baran où était son autre garçon, elle m'a dit: « Maurice a pu passer par le trou et est parti chez les parents de Georgette, notre vendeuse au magasin. » Je lui ai donc dit que le bébé Michel était attendu à Ambroise Paré, et ai voulu le prendre. »

« A ce moment, grande hésitation de sa part, que je comprenais bien ! Elle ne pouvait se décider à s'en séparer. Je lui ai dit: « Mais qu'avez-vous à donner à boire, juste un biberon? Et après? Vous savez où il sera, vous connaissez la clinique et son adresse, quand vous reviendrez vous l'y retrouverez. » Elle a cédé! la pauvre c'était terrible. Et jai mis Michel - qui n'était pas grand - dans le sac et... ce que je n'avais pas prévu ! ! ! Il s'est mis à hurler avec une force incroyable pour un bébé de trois mois. Impossible de passer ainsi dans le dos des Allemands à moins de deux mètres de la guérite au bord de la voie. J'ai appelé Monsieur Rabinovitch lui demandant rapidement de faire sortir toutes les femmes afin qu'elles marchent entre les Allemands et moi qui longerais le mur de la guérite au bord de la voie, et qu'elles parlent toutes très fort.« Entendu. » Il se mettait à organiser cela lorsque nous avons enteudu un train très bruyant. J'ai dit: « ce n'est pas la peine. » Je profite du train! Et à toute vitesse, je suis sortie et ai filé eu rasant le mur dans le dos des Allemands, avec mon bébé qui hurlait de plus belle. Le train était en réalité une locomotive haut-le-pied crachant de la fumée dans tous les sens avec fracas et que les Allemands ont tous regardé. La parfaite synchronisation, j'y pense presque cinquante ans après, a été extraordinaire. …J'ai rapidement gagné la sortie, je l'ai franchie, à ce moment-là, coup de sifflet, un gamin me jetait la tétine du biberon que j'avais perdue en courant - je l'ai encore ramassée ! Le cheminot m'a rapidement emmenée chez lui et sa femme a sorti avec moi Michel du sac pour le rafraîchir et l'essuyer. (il faisait très chaud), elle se lamentait sur ce bébé, et tout ce qui se passait. .. Michel s'est calmé, le cheminot m'a dit: « Mademoiselle, je vous raccompagne. » Il a poussé le vélo et moi je portais Michel sur mon bras. Nous sommes rentrés par l'avenue Salomon. Mademoiselle Matter, en haut de l'internat guettait mon retour. »

« Nous avons mis Michel à la maternité, baigné, nourri. Le lendemain, je suis allée à la mairie - sur ordre de mes directrices - demander le bulletin d'état civil d'un garçon né le 31 mai 1942 à Metz, s'appelant Pierre Dominique. Je l'ai obtenu tout de suite car tout le monde savait que les archives de Metz avaient brûlé. ... Ce fut le nom officiel de Michel pendant toute la guerre. »

« C'était un bébé adorable, mais que nous n'arrivions pas à faire sourire. .. Il n'a souri enfin, que vers six mois et s'est ensuite montré ultra-rapide dans son développement et dans la parole. Il était la coqueluche de toutes les infirmières et des élèves ainsi que des docteurs qui nous apportaient pour lui: chaussures. alimentation (cervelles). Il a fallu vers l'âge de deux à trois ans le transférer dans une chambre de l'internat face aux appartements des directrices, car il avait un peu trop de notions d'obstétrique! Le temps a passé et le 6 juin 1944 a concrétisé tous nos espoirs. (...) Nous avons pu aller près de Dunkerque chez les parents de Georgette dont, par des voisins du magasin des Baran, nous avions l'adresse, et retrouver Maurice. Les deux frères ont fait un peu connaissance. Après la Libération, sans nouvelles de Madame Baran, et contrôlées par le Comité Juif de Lille, nous avons pu faire adopter ensemble les deux frères par un couple de chimistes qui leur ont fait faire de bonnes études....»

Ces parents adoptifs ont eu la délicatesse d'ajouter simplement leur nom au patronyme des garçons dont le nom est devenu dès leur adoption Baran-Marszack. [3]

Les chaînes de solidarité qui se mettent en place pour sauver les enfants comportent plusieurs strates: au premier niveau sont ceux qui, au mépris du danger, ont accepté d'accueillir un ou plusieurs enfants, et, au deuxième plan, ceux qui savaient et qui auraient pu en se livrant à la délation, entraîner leur arrestation.

Ces enfants ainsi recueillis par des particuliers vivaient parfois sans faux papiers d'identité, passant pour des membres de la famille. Leur survie dans les lieux où ils vécurent pendant les années de la traque a donc été conditionnée par la bienveillance ou le silence de ceux qui les ont côtoyés. Maurice Lustyk ne fut pas un enfant caché. Vivant dans un quartier de Paris, il put survivre grâce à la complicité des habitants du quartier qui ne le dénoncèrent pas. [4]

Au collège de Massip situé à Capdenac dans l'Aveyron, Denise Bergon qui était directrice de l'établissement avait caché de nombreux enfants provenant de l'O.S.E. Dans cet établissement se trouvait Margot Cerf, née le 3 juillet 1935 en Moselle. Les parents de la fillette, réfugiés dans le département, l'avaient confiée à l'O.S.E. qui la plaça au collège de Figeac dirigé par Mère Marguerite, puis à celui de Capdenac. Un jour, une ancienne maîtresse de Figeac venue enseigner à Massip reconnaît Margot :

« Dénoncera, dénoncera pas ? Madame Bergon déclare avec autorité à la nouvelle maîtresse, partagée entre le devoir et le regard d'une enfant apeurée. « Madame, je n'ai pas à vous dicter votre conduite. Cette enfant est sous notre protection. Allez, priez et réfléchissez.» La réflexion aboutit au mutisme; Margot est manifestement née sous une bonne étoile. » [5]

L'histoire des enfants cachés lève le voile sur tout un pan de l'histoire des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle représente également une tentative de réécrire l'histoire des Français sous l'occupation. On y redécouvre que le régime de Vichy ne peut en aucun cas être capté à travers une vision monolithique et donc nécessairement réductrice. Le Secours National, organisation collaborationniste, par excellence, en fournit un brillant exemple. Le personnel et certains dirigeants ont accueilli un nombre d'enfants considérable dans ces étranges maisons du Maréchal, en leur procurant un asile inattendu. La Maison d'enfants de Sèvres, celle des Basses-Fontaines à Saint-Laurent-des-Eaux, celle du Coudray en sont de solides exemples. D'autres maisons, dont on ignore encore l'existence à ce jour, ont sans doute, participé également au sauvetage des enfants.

Le vécu même des enfants durant la guerre et l'après-guerre demeure un domaine encore inexploré. Ces enfants ont été contraints de vivre en oubliant leurs racines, en se conformant au port d'une nouvelle identité, à se fondre dans un milieu inconnu. L'exemple de Margot est à l'image de la réalité quotidienne de centaine d'enfants juifs pendant ces années:

« (...) Margot apprendra jusqu'à la fin de ln guerre à porter sur ses frêles épaules une fausse identité. Chaque matin à l'école Jeanne d'Arc de Figeac, elle chante le bras levé, le credo pétainiste: « Maréchal nous voilà, devant toi le sauveur de la France... », persuadée de la capacité du vieux maréchal à bouter les Anglais hors de France.»

« Le 18 décembre 1942, elle est baptisée dans la religion catholique et prend le nom d'emprunt de Marguerite Cordier. Au même moment les rafles s'intensifiant, elle doit fuir pour rejoindre le couvent de Massip près de Capdenac. ( ) Quand le père de Margot passe incognito à Massip, elle doit dire « Bonjour Monsieur » au parloir, prendre le petit pot de miel et de beurre sans manifester d'émotion.» [6]

Les situations des enfants après la guerre sont préoccupantes. De nombreux enfants ont perdu un ou leurs deux parents, parfois des frères et sœurs. Dans certaines familles, il ne reste plus qu'un parent rescapé des camps de la mort. Au lendemain de l'euphorie générée par la Libération, les enfants doivent faire face à une réalité peu encourageante. Pour la plupart des orphelins, le retour à la vie normale se fait dans l'attente du retour des déportés, parfois avec un sentiment de culpabilité, né du fait qu'ils ont survécu alors que leurs parents ont péri :

« Avec le temps qui passait, les espoirs de retour de mon père allaient s'amenuisant. Les jours, les semaines et les mois difilèrent, puis le temps imparti arrive à son terme. Alors, grâce à un tour de passe-passe d'une simple formalité paperassière, l'acte de disparition fut transformé en acte de décès. D'un coup de baguette magique, la fée Administration avait transformé un homme disparu en un homme mort. » Voilà comment Marcel Goettlieb en 1947 « enterre» son père, un bout de papier pour tout viatique. Aucune cérémonie, il n'y eut pas non plus de réunion familiale pour pleurer ensemble le disparu.»[7]

Personne ne porta le deuil. Une mort escamotée.

Se pose en 1945, le problème du devenir de nombreux enfants orphelins. Des enfants qui n'ont plus de famille en Europe sont proposés pour l'émigration vers les Etats-Unis ou l'Australie. De nombreux enfants regroupés dans des maisons d'enfants appartenant à des organisations juives, d'autres sont repris par des parents plus ou moins éloignés. Yvonne Hagnauer manifestait dans une interview accordée dans les années d'après-guerre à Témoignage Chrétien, son inquiétude face à ces enfants:

« L'idée de ce qui les attend en sortant d'ici, sans famille, sans parents. Etre de nouveaux seuls, être séparés les terrifie et moi aussi.. Ce qu'il faudrait voyez-vous, c'est pouvoir les réunir à leur sortie dons une grande maison. »

« Qu'ils vivent ensemble jusqu'à leur mariage. Il y a ici, 50 pour 100 d'enfants français, 50 pour cent d'enfants de familles juives mais nés en France. Ils sont tous Français, il faudrait pouvoir les sauver définitivement. » [8]

Les enfants recueillis au sein de la Maison d'enfants de Sèvres, quittèrent en effet, pour la plupart, ce qui était devenu leur nouveau foyer, le jour de leur mariage. Ils bénéficièrent dans cette maison d'un exceptionnel suivi affectif et de méthodes pédagogiques qui favorisèrent leur réadaptation.

Les enfants cachés ont fait leur entrée dans « l'ère du témoin ». Ils ont acquis au travers des dernières années un statut à part entière dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Leur histoire qui avait été occultée pendant de nombreuses années ressort aujourd'hui au grand jour. Israël Lichtenstein apporte des éléments de réponse :

« Sur le plan spécifique de « l'homme juif », l'histoire a fait de nous des laissés pour compte : trop jeunes pour agir, ballottés par les circonstances, sans pouvoir de décision.
-Qui étions-nous, les vivants, face à nos morts ?
-Qui étions-nous, nous les planqués, face aux jeunes combattants de la Résistance ? (...) Cet aspect négatif de notre existence nous a contraints au silence, nous a été un bâillon. Face aux héros, nous étions des « zéros ». Alors pourquoi parler maintenont ? (...) Les hommes, les femmes que nous sommes, sont devenus des Anciens. Il est venu le temps de vivre notre âge. On ne vit bien que ce que l'on est. Et, comme tout grand-père ou grand-mère, à nous de raconter maintenant.
-Des « zéros»? Non, plus maintenant. Notre valeur s'est accrue, nous sommes montés de plusieurs crans dans l'échelle du mérite. Nous sommes la référence vivante, encore et pour combien de temps, d'un pan de notre histoire, maillon de la chaîne de notre avenir collectif. »[9]

Les associations d'enfants cachés ont vu le jour partout dans le monde. Elles ont un rôle de premier plan dans la découverte d'archives, dans l'enregistrement de témoignages. Elles sont à associer à une réflexion pionnière dans le domaine d'une recherche naissante centralisée sur la réflexion autour de l'histoire des enfants cachés.

Selon Annette Wieviorka :

« Alors que les diverses associations de rescapés de la Shoah qui avaient vu fondre leurs effectifs s'inquiètent de leur devenir, celles de la deuxième génération sont en plein essor. (...) Et à lire ou à entendre les récits de ces «enfants cachés », chacun apprend beaucoup sur l'enfance et sur l'humanité, sur ln violence de certains traumatismes et leur caractère irréparable. (...) La troisième génération de l'après-guerre est en train de naître. Les «enfants cachés » chez qui l'enfant meurtri continue de vivre deviennent, dans le même temps où ils ravivent leur mémoire à leur tour grands-parents. » [10]

Les récits d'enfants cachés se sont multipliés ces dernières années, attestant de cette nouvelle tendance. Le livre poignant de Berthe BURKO-PALCMAN, L'enfant Caché, paru en 1997[11], celui de Liliane LEILAIDIER-MARTON, A l'ombre de l'étoile, [12]l'ouvrage de Jean-Jacques FRAENKEL, L'abus de confiance [13] et enfin Albert WILKOWSKI, De l'étoile jaune au drapeau rouge, [14] sont autant d'itinéraires d'enfants cachés qui tout en portant leurs propres particularités, se font écho.

Ces enfants cachés se veulent aujourd'hui les porte-parole vigilants des nombreux enfants victimes de la guerre; ceux du Rwanda, de l'ex-Yougoslavie, du Zaïre, de l'Algérie, enfants cachés d'aujourd'hui, dont l'écriture de l'enfance volée reste à venir.

Sommaire - Introduction - I Enfants cachés, enfants en danger - II Les organisations juives - III Deux organisations laïques - IV Juifs et chrétiens - V Le réseau Marcel dans la région de Nice - VI La Maison de Sèvres - VII Conclusion - VIII Bibliographie - Iconographie


[1] - Un fonds d'archives concernant cette question, serait conservé à la Mosquée de Paris.

[2] - D'après l'article de Robert FRANK, Le Nord Pas-de-Calais, Les Enfants cachés Bulletin n° 21, décembre 1997

[3] - Témoignage de France NEUBERG, reproduit dans le Bulletin n° 21, Les Enfants cachés, décembre 1997, p 16.

[4] - Maurice LUSTYK, Vie quotidienne d'un enfant juif à Paris 1939-1945, 91 pp, dactylographié.

[5] - Voir l'article de Betty KALUSKI-SAVILLE. Un réseau en Aveyron, Denise Bergon à Massip, Les Enfants cachés Bulletin n° 9, pp 6-8.

[6] - Article de Christine COINTE, Portrait d'une sage-femme in Profession Sage-femme" n°8, octobre 1994.

[7] - Extrait de Dominique MISSIKA, Le chagrin des innocents, Itinéraires d'enfanfs juifs de 1939 à 1947, Editions Grasset, Paris, 1998, 229 pp.

[8] - Extrait de Des enfants mutilés de l'âme, interview réalisée par Clara CANDIANI pour Témoignage Chrétien,. 1948.

[9] - Article d'Israël LICHTENSTEIN, Pourquoi si tard ? Pourquoi maintenant ?, Aloumin, Bulletin trimestriel de l'Association israélienne des Enfants cachés en France, bulletin n° 3, novembre 1994.

[10] - Voir Annette WIEVIORKA, L'ère du témoin, Editions Plon, Paris, 1998, 187 pp, pp 184-185.

[11] - Berthe BURKO-FALCMAN, L'enfant caché, Editions du SeuiL Paris, 1997, 186 pp.

[12] - Liliane LELAIDIER-MARTON, A l'ombre de l'étoile, Editions du Losange, Nice, 1997.

[13] - Jean-Jacques FRAENKEL, L'abus de confiance, Editiors Biblieurope, Israël, 1997, 175 pp.

[14] - Albert WILKOWSKI, De l'étoile jaune au drapeau rouge, Editions du Losange, Nice, 1998, 201 pp.

[15] - Article de Ouistine COINTE, Portrait d'une sage-femme, art. cit.

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