Sommaire

Des méthodes en pédagogie…

par Yvonne HAGNAUER (Inédit à notre connaissance)


Chapitre I - Considérations générales

Évolution des méthodes dans une société en mutation : faisons le point.

En cette époque où s'affrontent deux types d'éducation totalement opposés l'un à l'autre et qui ne sont que les aspects contradictoires d'une recherche née des transformations apportées par la technique :

d'une part,

d'autre part,

sans doute serait-il utile de rappeler ici la valeur et la richesse de la méthode DECROLY.

Notre Bulletin en fut, et en est la vivante application et illustration, et si, d'aventure quelques-uns trouvaient périmée une méthode qui a fait ses preuves à SEVRES depuis quelque trente ans, si quelques autres ne voyaient en nous que des croyants avec le sens restrictif qu'on accorde à ce mot, nous les prierions de relire le rapport de la Commission de l'UNESCO, 1972, qui a pour but de préciser les nouveaux objectifs qu'on doit assigner à l'éducation mondiale et de proposer les moyens propres à y parvenir.

Ce rapport a pour objet d'esquisser les méthodologies que les différents pays peuvent employer au moment de planifier l'éducation et d'aider à réorienter la coopération internationale dans le champ éducatif de l'UNESCO : expériences mentionnées :

Qu'on me permette en préface à cette étude un court passage qui, dans sa brièveté, est la synthèse de la doctrine decrolyenne :

La richesse du réel présente sur n'importe quel fac-similé, l'avantage de solliciter entièrement l'activité, en s'appuyant sur le jeu, l'imitation, l'observation, l'effort, en sollicitant par là même, la faculté d'appréhension globale qui se déploie au maximum dans la mise en œuvre de toutes ses tendances.

C'est dans la totalité de son ensemble sensori-mental que l'enfant doit être mobilisé.

À la Maison de Sèvres, le bilan d'une année

L'exposition du 8 Juin 72 portait en déclaration de principe une pensée empruntée au grand pédagogue belge:

"Tout ce que je demande de fournir comme connaissances se trouve dans les programmes actuels, mon but est de créer un 1ien entre toutes les matières, de les faire converger ou diriger d'un même sens : c'est vers l'enfant que tout se dirige, c'est de l'enfant que tout rayonne… Il faut créer l'intérêt"

Cet intérêt appelait tout naturellement l'étude de l'environnement; mais, certains éducateurs qui n'ignorent pas la liste initiale des grands centres d'intérêt proposés par Decroly pourraient s'étonner que nous en ayons choisi un qui ne figure pas dans cette liste : se nourrir, se vêtir, etc.. Ceux-ci, même du vivant de Decroly, n'avaient rien de rigoureux, puisqu'il ne jugea jamais utile de les codifier; certains de ses adeptes les plus proches ont cru devoir a jouter à la 1iste primitive : se récréer , se reproduire.

Nous avions déjà, à la Maison de Sèvres, étendu le nombre des centres dans la mesure où la civilisation technique se développant, créait de nouveaux besoins.

"L'homme invente, l'homme découvre".

"Défendre et protéger la vie…
…à travers le monde, à travers le temps."

En ce qui concerne le choix fait en 1972, je renvoie nos lecteurs au premier chapitre du 1ivre publié par Monsieur Louis Cros : "L' École nouvelle témoigne", et qui est en quelque sorte une justification de notre choix : qu'on en juge :

"Le changement des relations entre l'homme et son environnement est probablement le plus caractéristique de la mutation de notre civilisation. Son étude constitue donc la matière de base de l'éducation fondamentale.

Se situer par rapport au monde, c'est, en particulier saisir non pas abstraitement, mais relativement à ses propres actes la nouvelle emprise de l'homme sur la nature et les dangers qui en naissent…

Un premier élément de la culture actuelle doit être le sentiment de l'équilibre qui unit corporellement chaque être humain au monde animé et inanimé. Si l'on veut éviter que l'eau, les arbres et les fleurs, les oiseaux et les bêtes des bois - si abondamment donnés aux hommes qu'ils semblaient inépuisables, - disparaissent et l'humanité avec eux, il faut que celle-ci prenne conscience des conséquences que peut entraîner l'usage abusif et maladroit de sa nouvelle puissance technique"

L'équipe de la Maison de Sèvres en choisissant "l'environnement" était dans la bonne voie, son choix est encore justifié par celui de la région, par la situation même de Meudon à la fois urbain et forestier : au pied des collines : Paris et son fleuve ; l'encerclant, la couronne des bois de Fausse-repose et de Meudon trouée par les étangs : Trivaux - Villebon et Ville d'Avray si chers à Corot.

Ce thème appelait aussi à la connaissance des dangers qui menacent cet ensemble irremplaçable où les trésors des musées voisinent avec la nature encore drue des sous-bois… D'où les travaux exposés : cet intérêt pour les hommes qui vivent dans ce milieu privilégié, intérêt qui doit être perpétuellement enrichi par tous les moyens propres :

"à susciter et maintenir le pouvoir créateur de l'enfant et de l'adolescent

à entretenir leur activité

à enrichir leurs connaissances

à les préparer à la vie sociale"

C'est pour atteindre ces buts et pour obéir à la tradition salutaire du "bilan annuel" qu'a eu lieu cette journée pédagogique du 8 Juin 1972 sur le thème de "l'environnement" et au cours de laquelle ont été précisés :

"la place des ateliers dans la pédagogie active de la Maison de Sèvres;

leur importance dans la formation et l'épanouissement de l'enfant et de l'adolescent;

leur apport aux disciplines scolaires, au centre d'intérêt à la culture générale"

L'assistance était composée tout d'abord des familiers de la Maison : notre toujours jeune Président de la "Société des Amis", Monsieur Pedrot et Christiane, Madame Chenon-Thivet et Monsieur Voetzel., Inspecteurs Départementaux honoraires qui, pendant la guerre et le black-out de l' Occupation furent les conseillers et les protecteurs vigilants de la petite communauté sévrienne blottie derrière le rempart des hauts murs de ce qui fut un couvent; Monsieur le Conseiller Général Langrognet qui suivit régulièrement tous nos efforts et fut membre du corps enseignant de Meudon; de jeunes stagiaires Normaliens accompagnés de leur professeur Monsieur Petitjean ; et les membres du corps enseignant intéressés par nos comptes-rendus annuels d'expériences, d'Anciennes et Anciens, heureux d'encourager les jeunes par leur présence,

Place des ateliers dans la communauté, un peu d'histoire

Toutes celles et tous ceux qui connaissent la Maison savent la place que les ateliers y occupent depuis sa fondation, c'est-à-dire depuis cet automne 1941 où furent installés, avec des moyens de fortune, mais aussi avec l'aide de remarquables techniciens bénévoles, ceux qui sont aujourd'hui en plein essor, et qui remplissent brillamment leur rôle dans notre Maison,.

Qu'il me soit permis un retour en arrière… sans doute, ceci n'est-il autorisé qu'aux historiens, et, mon rappel au passé sera fort court… mais la Maison de Sèvres, ses méthodes et ses techniques, ne sont-elles pas déjà entrées dans l'histoire de la pédagogie sur le plan expérimental ? Il ya quelque trente deux ans, les ateliers étaient incontestablement une originalité, Je n'en veux pour preuve que la première exposition de travaux faite au lendemain de la "Libération" avec les encouragements de Monsieur Monod, Directeur de l'Enseignement du Second degré, au Lycée de Sèvres, en collaboration avec la grande et regrettée Madame Hattinguais.

La Maison de Sèvres s'illustra, tant par les produits de ses ateliers de céramique, d'imprimerie et de tissage, que par l'apparition, dans ce jardin à la Française du "chœur des Troyennes" dont le lamento s'élevait dou loureusement dans ce décor classique.

Ainsi, les "Ateliers" eurent, dès cette date, leur consécration officielle, si je puis dire. Certain d'entre eux a la bonne fortune d'être tenu par le même professeur, d'autres par les élèves des premiers maîtres, d'autres encore par des éducateurs heureux d'œuvrer dans ce "microcosme" où la 1iberté de création fortifiée par une technique sûre, par un geste exact, permet aux jeunes de s'exprimer pleinement et produit des créations dignes du meilleur atelier d'art.

Soit dit en passant, il n'est point question ici de minimiser les techniques Freinet : linographie, imprimerie, qui vont de pair avec la conception du "texte libre", techniques d'ailleurs préconisées depuis 1904 par J. Dewey dans les "Écoles de demain" , dès 1907 par Decroly pour son Ermitage, mais pourtant d'un usage fort limité, réservé aux seuls tenants de "l'École active" quand les moyens financiers leur en étaient fournis. Mais ces pionniers n'étaient pas nombreux, et seule, une avant-garde. dont nous faisions partie, les pratiquait.

Il revient à Freinet le très grand mérite d'avoir su les étendre à toute une génération d'instituteurs qui cherchaient à se débarrasser du carcan des vérités dogmatiques et des connaissances soigneusement étiquetées.

L'exemple de la "Communauté Internationale de Trogen" (Suisse) dans l'immédiate après-guerre vulgarisa la pratique des "ateliers" dans beaucoup de communautés pourvues d'un internat; un certain nombre d'entre elles les pratiquèrent sous la forme d'un bricolage assez élémentaire que les jeunes abandonnaient d'ailleurs lorsque les moyens mis à leur disposition s'avéraient insuffisants pour exprimer la richesse et la complexité de leur pouvoir créateur.

Les ateliers : leur rôle dans le pouvoir créateur et son expression

Peut-être est-il souhaitable, pour nos nouveaux amis qui ne connaissent de la Maison de Sèvres que les présentations et les expositions récentes, de montrer quels en sont les principes fondamentaux et les éléments moteurs, et de définir tout d'abord ces termes "pouvoir créateur", "expression". Je les emprunte volontiers à Arno Stern, peintre et éducateur, auteur d'un livre paru chez Delachaux et Niestlé : "L'expression".

Sans doute, celui qui tenta de les définir est-il un visionnaire enfermé dans les limites d'une doctrine que nous ne pouvons complètement partager et qui le rend (signe des temps ou mode ?), volontiers iconoclaste, mais son émotion et son respect devant l'acte créateur sont tels que je ne puis m'empêcher de citer quelques-unes des réflexions qui émaillent son livre, parce que c'est cette même émotion, ce même respect émerveillé qui, de tout temps, chez nous, saisissent , ceux dont la mission est de susciter, d'encourager et d'orienter cette libération du "moi créateur".

Ai-je dit, pour nos lecteurs qu'Arno Stern avait un atelier où il réunissait les enfants affamés de s'exprimer ?

"Tout commence, dit-il, par un trait, qui s'étire à l'infini sur une feuille de papier. Je voudrais, tout à la fois parler de l'un et de l'autre, de ce trait sur le papier, commencement de l'expression, ou d'une tâche de couleur qui s'étend, se charge de substance, devient objet, devient espace".

Et il est saisi par ce même frisson que tous ceux qui observent l'enfant créateur dans le délire de "l'expression" ressentent qvec une joie secrète.

"Je ne suis ni un homme de science ni un poète, dit-il encore, je ne suis pas, tel le collectionneur, tel l'archéologue , un contemplateur d'œuvres, je suis mêlé à l'acte créateur, à l'unisson de la création, autour de moi, c'est une germination incessante, je vois, je vis une œuvre dont chaque instant est une parcelle qui ne slépuise jamais…"

Et encore :

"L'expression n'est pas un spectacle pour les yeux, elle ne peut être captée qu'avec les vibrations du corps".

Elle a cette fragilité que nos maîtresses d'école maternelle connaissent bien et qu'Arno Stern exprime avec lyrisme :

"comme l'aile du papillon émiette ses pellicules de couleur à notre toucher, "l'expression" est trop fragile pour la décharge d'un regard étranger !"

Ce qui vaut pour l'expression picturale vaut pour toutes autres formes du pouvoir créateur, quelles quelles soient… modelage, musique, danse, expression poétique, ou toute autre forme plus artisanale de création… et Arno Stern m'en voudra sûrement si j'ajoute "expression littéraire" , car pour lui "la connaissance" empoisonne le pouvoir créateur qui est une fin en soi :

"des générations d'intellectuels, dit-il, se sont acharnés à donner à ce langage un sens différent, un autre but que la formulation des sensations"

L' expression fin en soi, fuite devant la vie, malaise de notre temps…

Si nous suivons Stern dans le silence et le respect absolu de l'acte créateur, nous nous posons tout naturellement le problème du bénéfice qu'en peut tirer l'enfant : soulagement, expulsion après gestation… d'après Stern, plaisir non, l'enfant ne valorise pas, ne désire pas attribuer une valeur à son œuvre, il n'y songe pas, où cela le conduit-il ? où conduisent toutes les expériences inconditionnellement non dirigistes et c'est encore Stern qui l'exprime dans un appel à la solitude, dirai-je désespérée ?

"L'homme n'est pas seul, il ne peut agir selon ses désirs, contrarié par les autres et par tout ce qui est étranger à ses désirs… il est un continue1 renonçant, ballotté entre le vouloir et le pouvoir, contraint de s'adapter, plus qu'il ne peut s'imposer au monde qui l'héberge. Mais, par le langage plastique il lui est permis de créer un univers de rechange, de compensation, un antimonde sans contrariétés dans lequel l'unique dimension est celle de ses émotions, fait à la mesure de nos désirs, construit selon ces désirs".

Et, c'est pour lui, et pour tous les tenants du non--dirigisme inconditionnel la fuite devant le réel, le négativisme le plus complet en éducation : "un continuel renonçant, un anti-monde !" Nous sommes saturés de ces formules qui foisonnent dans le jargon artistique et psychologique moderne, et qui ne sont qu'un aveu d'impuissance et de désespoir vain. Nous nous refusons d'aider l'enfant à s'évader dans un monde "fait à la mesure de ses désirs".

II y a mieux à faire, et je pense que la Maison de Sèvres pourrait reprendre à son compte la ligne de conduite proposée par Adler en réponse à cette angoisse moderne :

"II ne s'agit que de courage et de volonté, d'augmenter en chacun la conscience, et d'apprendre vraiment à vivre dans la communauté, à être un homme parmi les hommes".

Entretenir et enrichir la "créativité"

Mais, revenons à ce pouvoir créateur que tous les vrais éducateurs se plaisent à découvrir chez les jeunes enfants :

C'est Arno Stern, parlant de son atelier et disant qu'i1 ressemble à un "bouillon de culture" de la créativité…

C'est Mademoiselle Petit ("A la découverte des rythmes et des sons") et ses observations à l'école maternelle :

"L'enfant joue avec les sons, les mouvements cadencés, comme il joue avec les couleurs et les formes : cette attitude l'apparente à l'artiste. En lui, précocement se décèlent les germes des créations esthétiques, lui aussi il crée et éprouve l'intense besoin de couler ses pensées et ses sentiments dans des formes concrètes où certains se plaisent à découvrir l'intuition des premiers rapports d'harmonie…"

"Il faut bien se garder, ajoute-t-elle, d'étouffer cette première émotion pré-esthétique, c'est le premier pas vers l'intuition de certains rapports d'où jaillit la beauté"

Mais, je m'aperçois que nous passons insensiblement de "moyens d'expression" à la "première manifestation d'art". On pourrait presque qualifier ainsi ces premières éclosions de l'expression sous toutes ses formes des enfants de quatre à sept ans : que ce soit dessin ou peinture, par le choix souvent insolite des couleurs et l'esquisc naïveté d'une séduisante maladresse, trésors irremplaçables pour le pédagogue et que ce temps de la publicité a vite fait d'utiliser, voire de pasticher ! On pourrait même ajouter qu'une école de peintres l'emploie avec astuce et bonheur, car, sous la naïveté apparente des tableaux se cache avec rouerie une technique sûre, qui par ses effets, forcés à dessein, accentue encore l'impression enfantine de l'œuvre : même charme dans l'inspiration des premières mélodies; pourquoi celle qui fut enregistrée à la Maison de Sèvres en Juin 72 me chante-t-elle aux oreilles ? "Le soleil brille, brille, autant que la lune luit." Qu'on se, rappelle aussi les premières trouvailles au piano de "Jean Christophe" , les premiers balbutiements poétiques dont nos journaux enfantins sont émaillés, la première improvisation rythmique qui inscrit dans l'air, un court instant, la grâce hésitante d'un être à son éveil… "Serre chaude" dit encore Stern en parlant de son atelier… sans vouloir insister sur ce qu'a de quelque peu artificiellement stimulant un tel lieu, force nous est de reconnaître que cette "créativité" finit par se tarir, et l'aveu de Stern transparaît à demi lorsqu'il écrit :

"J'entends dire aussi que l'enfant n'a pas beaucoup d'imagination, parce qu'il a fait, quatre fois le même paysage sous-marin… on (les parents) aurait préféré plus de variété, des tableaux qui ressemblent à des images d'album… il leur est difficile de comprendre que la répétition est un des mécanismes essentiels de l'expression, et même dans ces conditions, d'admettre l'existence d'une telle activité…"

Ce phénomène, Mademoiselle Petit, la également constaté :

"au hasard des alliances spontanées plus ou moins heureuses de courbes et de lignes, de mouvements, de sons dûs à l'activité enfantine, il arrive toujours un moment où l'enfant, considère ses œuvres se sent soudain ému par certaines alliances, alors, il les répète, il en prend à témoin son éducateur…"

Cependant, l'expérience nous prouve que la répétition altère la spontanéité de l'élan créateur, l'appauvrit, la fane. Sans doute est-ce parce que l'inspiration ne saurait se renouveler indéfiniment sur le même thème que l'expression s'affaiblit en se répétant et qu'il est un âge où pour se renouveler l'enfant a besoin du support de la technique.

Et j'emprunte ici, à "Azur", Professeur de dessin à la Maison de Sèvres ces quelques lignes, fruit d'une observation de douze années, des enfants de la classe maternelle à la fin du 1er cycle du second degré; parlant de la fraîcheur de l'imagination créative, elle dit :

"il est certain que ce phénomène d'extinction que l'on trouve chez l'enfant (situons dès 6 à 7 ans le moment où il commence à cesser progressivement de s'exprimer librement, et vers 11-12 ans, la disparition du caractère, "dessin enfantin"… et souvent le goût du dessin lui-même) s'explique autant par son évolution naturelle que par le milieu social où il se situe".

Il faut, suivant le Professeur Willems :

"franchir la barrière de la technique qui se dresse entre ses aspirations et leurs réalisations".

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