Monsieur le Président, Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis de la Maison de Sèvres,
Nous sommes heureux et fiers de venir une fois encore parler de notre œuvre sous le haut patronage du Groupe Français d'Éducation Nouvelle, qui a toujours suivi tous nos efforts, nous a toujours aidés dans notre tâche de propagandistes en faveur d'une éducation libérée des servitudes et des tabous de l'École Traditionnelle. Tantôt c'était au Collège Sévigné dont la regrettée Directrice, Mademoiselle Soustre joua sous l'occupation un rôle si actif dans l'élaboration du projet Langevin. Tantôt dans les salles de ce bâtiment qu'on appelait autrefois « le Musée Pédagogique» et où nous fîmes de larges présentations. Mme Chenon Thivet Inspectrice - y exposait les travaux de sa chère ville d'Argenteuil, et nous y étalions tout ce que nous considérions et continuons de considérer comme « les vraies richesses» de la Maison de Sèvres. C'est dans cette salle même que, transportant poupées à gaines, animateurs zélés et castelet, nous présentâmes divers tableaux inspirés de Notre-Dame de Paris… il y a de cela plus de vingt ans !...
Et nous voici revenus dans cette Maison, centre de ralliement de tous les chercheurs pour essayer de retracer l'œuvre de VINGT-SEPT ANNEES, œuvre tenace, toujours inspirée par les mêmes principes, réchauffée par la foi toujours vivace d'une équipe qui, si elle s'est partiellement renouvelée et rajeunie demeure fidèle à l'esprit qui l'anima, de Claparède à Decroly, de Langevin au regretté professeur Wallon. Cette recherche longue de vingt-sept années déjà nous vit agir côte à côte avec notre collègue et camarade Freinet, de qui nous adoptâmes d'emblée les techniques d'imprimerie qui ouvraient magnifiquement la voie à l'expression libre... Il serait salutaire - soit dit en passant, pour tout historien de la pédagogie, d'ouvrir les bulletins éducatifs d'avant la dernière guerre et immédiatement après pour y trouver toute la substance d'une pédagogie qu'on a cherché heureusement à remettre en vigueur aux Colloques de Caen et d'Amiens, mais qui fut dans ses principes fondamentaux: respect et autonomie de l'enfant, l'œuvre de maîtres d'école à classe unique comme celle des pionniers du syndicalisme universitaire, de l'École Émancipée à l'École Libératrice, de Paul Robin aux fondateurs de Trogen et aux actuelles « Communautés d'enfants ».
Les hasards de la guerre nous ouvrirent un jour les portes d'un vieux couvent d'oblates désaffecté, aux cellules délabrées, aux toitures pourries où nous fûmes installés dès 1941 (je dis « nous », car j'avais déjà constitué une équipe de volontaires, parmi ceux que frappaient les lois raciales, les lois sur les sociétés secrètes et ceux qui se sentaient réfractaires aux obligations de toute nature que l'occupant « nazi » avait imposées)... La Maison avait été fondée à l'origine pour venir en aide aux enfants sous-alimentés de la région parisienne : y furent tout d'abord accueillis des enfants de familles socialement troublées ou dispersées depuis l'exode, d'autres en provenance directe des camps - ceux qui arrivaient par groupes de 10 ou 15 sous la conduite de moniteurs bénévoles - soit qu'ils aient été refoulés de Mas Gellier, dans la Creuse, trop connu pour abriter des enfants israélites ou qu'ils aient trouvé à la frontière suisse un cordon infranchissable.
Ils formaient en 1943, les deux tiers de la population enfantine du home, ceux qui montaient la sente en rasant les murs, ceux qu'on introduisait au moment du « black out » favorable, et qui conservaient, des mois durant, leur visage muré d'enfants traqués, mal habitués à leur nom d'emprunt, vivant, au début, dans la terreur et l'envie perpétuelle d'une fugue qui les délivrerait.
Je regarde sur les vieux cahiers les dates d'entrée des enfants rescapés de la plus atroce persécution : novembre 1941, juin et juillet 1942 - octobre 1942 - octobre 1943 - janvier - février mars - avril 1944. Par recoupement on trouverait ainsi des moments culminants dans la tragédie de l'extermination.
Lisbeth F…, quatorze ans. Enfermé pendant deux ans avec sa mère dans une usine d'équipement qui fonctionnait dans le ghetto de Varsovie; elle vivait cachée avec d'autres enfants sous les ballots d'étoffe, lors des rondes de soldats. Découverts, parents et enfants furent emmenés dans la campagne en expédition punitive ... Fusillades de certains enfants, abandon obligatoire des autres sous les yeux de leurs parents. Existence dans une maison en ruines avec une « bande ». Retour clandestin à l'usine. Fuite de la mère et de la fille.
Rose B… prise en Alsace. A « fait» tous les camps de Prusse Orientale, supporté d'interminables bombardements. A son arrivée, parlait peu, employait le jargon international des camps. Isolée, lointaine, mangeait peu et refusait avec horreur toute alimentation carnée pour des raisons qu'on n'ose pas préciser...
De toute cette population enfantine traquée, un SEUL vit revenir sa mère. Les autres durent vivre avec leurs souvenirs et notre affection. Ce fut certainement l'expérience la plus riche de la Maison de Sèvres. Il y avait là des enfants d'origine polonaise, hongroise, grecque, turque. L'habitude de la vie communautaire qu'ils avaient prise, soit au ghetto, dans les camps ou les communautés traquées par l'occupant, les rendait plus aptes à cette vie quasi familiale de 80 personnes au total qui, presque toutes pour des raisons analogues, acceptaient la vie intense mais repliée sur elle-même dans une vieille maison que de hauts murs sur la colline de Sèvres dérobaient en partie aux yeux des passants.
Sans doute les lieux aussi prédisposaient-ils à l'acceptation de cette vie quasi secrète...
On a souvent parlé d'établissements conçus d'une manière fonctionnelle, eh bien, celui-là abattu depuis par la pioche des démolisseurs, était inconfort : cellules individuelles de nonnes où l'on logeait cinq pensionnaires, cabanes délabrées, jardin en friche et mystérieux, maison qu'un ancien, père de famille maintenant, a appelée « la boîte aux rêves de mon enfance ».
De cette génération de jeunes déracinés du milieu familial par la tourmente, qu'est-il advenu ? Nous faisons toujours figurer en tête de notre palmarès de cette époque une jeune agrégée de Mathématiques, des licenciées, des chimistes, des membres de l'Enseignement et quatre professeurs d'Enseignement Professionnel de la Ville de Paris. Dispersés aux quatre coins du monde, en Israël, aux USA, en Afrique, au Japon, ils nous écrivent au hasard de leurs migrations et des fêtes mais ne nous laissent jamais sans nouvelles. Ils ont, d'ailleurs conservé les uns pour les autres une affection profonde - affection qui a été jusqu'au mariage dans certains cas, comme pourrait l'attester M. PEDROT, Président de la Société des Amis et Anciens de la Maison de Sèvres, Maire du 5e arrondissement et grand « marieur » de nos Enfants.
Je passe rapidement sur ces années difficiles où personnel et équipe dirigeante de la Maison firent preuve d'un mutuel dévouement, les uns en n'acceptant qu'une faible part de leur salaire, les autres en prélevant sur leurs fonds personnels pour aider l'équipe à subsister. Jusqu'au jour où M. DAVID, Directeur Général des Services d'Enseignement de la Seine, alerté par M. PEDROT et M. VERGNOLLE, alors président du Conseil Général, accepta de prendre en charge dans le Service des Internats Primaires départementaux une maison en bien mauvais état, et qui n'était riche que de son expérience et de ses habitants.
Arrivèrent les nouveaux pensionnaires - ceux que l'on appelle encore « LES CAS SOCIAUX » : orphelins, enfants de familles dissociées, de familles nombreuses et mal logées, tous normaux, mais tous affectivement choqués par des situations familiales pénibles, douloureuses, ou moralement traumatisantes.
Qu'on en juge:
C'est du précieux opuscule vert rédigé par les « Anciens», grâce à la complicité de notre documentaliste-secrétaire, Renée CIBOULE, que j'extrais un souvenir d'ancienne, le plus propre à faire comprendre l'état dans lequel ces nouveaux hôtes arrivaient dans notre communauté.
Étudiante en Lettres, documentaliste.
Une vieille maison à l'allure poétique.
Des personnes aux noms d'animaux.
Une liberté qui vous enlevait toute idée de révolte. Une attention qui vous permettait d'exister.
Des chants après chaque repas.
Des oiseaux qui vous réveillaient le matin.
Un chien inoffensif et non-garde-chiourme.
Tout cela se tournait, tournait dans ma tête. C'était plutôt bien, mais je voulais dire non. Il y avait sûrement un piège!
Pourquoi s'occupait-on tant de moi? Et mon indépendance alors !
Pourquoi me tutoyait-on?
Pourquoi cette joie partout?
Pourquoi n'avais-je plus envie de casser quelque chose?
C'était impossible. On m'avait comme déshabillée de mes armes.
Plus de révolte - plus de tristesse - plus de fugue possible.
C'était peut-être le paradis, mais je voulais être damnée. Aussi, le deuxième jour, je décidai de partir.
Où ? Je ne savais pas. Je fis une petite promenade jusqu'à la poste et envoyai un télégramme.
Il y a de cela presque six ans. Et le piège, je crois, c'est que je sois - encore là.
Qu'est-ce qui donne donc à la Maison ce pouvoir magique de nous retenir ?
Bulletin en cours de numérisation (le jeudi 3 mars 2005)
C'était donc des enfants, révoltés, opposants, affamés d'affection mais la refusant de prime abord avec une sorte de pudeur révoltée qu’il fallait pacifier, amener à la confiance et à l'enthousiasme pour une culture qu'on leur avait souvent présentée comme une médecine et qu'on avait tarifée comme le chou du marché et la viande du boucher...
Quels moyens employer pour vaincre leur indifférence et les « déshabiller de leurs armes ? ».
Il ne faut pas oublier que ces enfants sont tous pensionnaires, et qu'ils sortent en majorité deux fois par mois, et durant toutes les périodes de vacances scolaires... Je dis « en majorité » car à chaque sortie, sur les 180 pensionnaires que compte actuellement l'établissement, une cinquantaine reste parmi nous. Ce ne sont pas des lycéens « en boîte » pour la semaine, et qui attendent le week-end du samedi pour se défouler entre camarades ou pour reprendre le cortège des obligations familiales selon leur gré ou celui de leurs parents...
Et pourtant, je ne puis pas dire: « il y a pour eux le problème de l'internat », car la vie scolaire par la multiplicité de ses ramifications que sont les ateliers sollicite l'activité de tous ... De plus, il y a l'AMBIANCE. Elle est faite de la table commune, pour tous les membres de l'équipe, des distractions soigneusement choisies, par les enfants (les délégués de la coopérative vous en parleront tout à l'heure dans un chapitre qu'ils ont tenu à rédiger eux-mêmes). Il y a la célébration des anniversaires et fêtes: Mi-Carême où, adultes comme enfants, ne sont admis que sous le masque ou sous une personnalité d'emprunt jour où Catherinettes de l'Equipe revêtent le chapeau traditionnel aux couleurs symboliques... Mais plus encore, il y a pour tous et nul ne songerait à s'y dérober NOEL auquel anciens et nouveaux, adultes et enfants participent pleinement :
...« Je ne me souviens pas des Noëls à la Maison de Sèvres, ils se sont tellement incorporés à mon être que je les sens plus que je ne puis me les représenter. Y penser réveille comme une nostalgie de joie, aiguë, non localisée et douloureuse dès que je m'y attarde.
Il y avait d'abord la grande période des préparatifs. Les mois avant Noël étaient pleins de ferveur et de mystère : de travail invisible, souterrain, dont émanait pourtant une chaleur si intense et si limitée aux murs de la maison qu'elle en taisait un monde complet en soi, égoïstement retiré en soi.
La maison était tacitement divisée en deux classes, « eux et nous ». L'enjeu était le secret. La maison vivait d'une vie nocturne, dont seule quelque fenêtre éclairée pouvait trahir la présence.
Puis venait le soir de Noël, dénouant brusquement toute l'angoisse de l'attente, délirant de joie. Je regrette de ne pouvoir raconter ni le Père Noël, ni les Petits, ni les chants, je n'en vois plus ni l'ordre, ni l'enchaînement. Ce qu'il m'en reste c'est un sentiment de bien-être, comme un bain de joie, de lumière, de musique, et de jeux que, seules, quelques lignes récitées à l'une de nos veillées de Noël peuvent me rendre :
...« Noël, c'est notre fête, c'est la fête des jeunes, c'est la fête de l'espérance... »
Dans la Maison, Noël était tout cela. » B.L.
Il y a encore l’ACCUEIL des nouveaux par les Anciens au cours d'un feu de camp, ou d'une réunion dans la salle des fêtes.
...La FRANCHISE et la FAMILIARITE des RAPPORTS entre les membres et les enfants, familiarité établie dès la fondation de la Maison par l'usage des totems qui pendant l'occupation servirent à cacher des noms trop compromettants, et dont l'usage a si bien survécu que nous nous souvenons beaucoup mieux des Totems que du nom patronymique de ceux qui furent ou sont des membres de l'équipe...
Je reviendrai d'ailleurs sur ce problème de l'organisation de la vie en internat lorsqu'on évoquera les organismes gestionnaires de la communauté, mais je voudrais signaler en bref toutes ces communautés nées de la guerre (je pense « au Renouveau » à Montmorency et à « Trogen » en Suisse) où les principes d'autonomie et de liberté chers à l'Ecole Nouvelle furent largement appliqués.
Quant à nous, afin que nul de ceux qui franchissaient notre seuil ne l'ignorât, nous avions affiché dans la petite entrée de notre établissement, une peinture sur soie qui portait ces mot: « vivre libres ou mourir » et l'affiche imprimée en pleine guerre par les enfants qui précisait notre idéal éducatif et se terminait ainsi :
« Mais le petit homme ne peut créer que s'il est placé dans un climat favorable, sans les contraintes scolaires rigides qui étouffent son initiative et sclérosent son goût d'action. Il faut qu'il puisse AGIR et ENTREPRENDRE à sa guise. Il fait ainsi, dès son jeune âge l'apprentissage de la liberté sans laquelle meurent ses FACULTES CREATRICES et l'originalité de sa personnalité. »
Ce rappel du passé était nécessaire, pour montrer que l'expérience de ces méthodes existait déjà au temps où le groupe réunissait autour du professeur Wallon, le père Chatelain, M. Cousinet, Freinet et toute l'équipe de la Maison de Sèvres.
Mais l'évolution de la Société moderne fait de ces méthodes une IMPERIEUSE NECESSITE et il semblerait qu'au Colloque d'Amiens on « redécouvre » la nécessité de partir des intérêts de l'enfant (Claparède dans l'Education Fonctionnelle les avait déjà définis et sériés par âge) du milieu environnant ; et Mabel Barker bien avant la guerre de 39 en avait défini les mécanismes dans son Geographical survey Dewey dans ses « Écoles de demain » avait déjà parlé des ateliers autour de l'Ecole, mais on peut dire que c'est DECROLY dans sa petite communauté vivante d’Ucle qui avait concrétisé et regroupé tous ces principes et toutes ces découvertes, des psychologues et des pédagogues, et avait fait du centre d’intérêt le MOTEUR de toutes les acquisitions et de toutes les activités.
Intervention de Mme Bonijol. Développement d'un centre d’intérêt au C.E.I. (couture industrielle p. 11). De l'artisanat primitif à la grande industrie.
... Pourquoi nous dira-t-on, êtes vous donc restés fidèles à la méthode des centres d’intérêts malgré le rythme de l'évolution alors que Decroly n’est plus ? qu’une pédagogie scientifique enrichie de techniques multiples vise à fixer la valeur, le volume, le rythme d'acquisition de plus en plus nombreuses que le progrès impose à nos élèves ?
Nous nous sommes, nous aussi, honnêtement posé cette question et si nous nous sommes efforcés d’asservir, d’utiliser tous ces moyens, dont nous dote chaque jour une civilisation technicienne, nous sommes cependant restés fidèles à Decroly pour plusieurs raisons. La première, c’est ce qui motive l’intérêt de l’homme (et notre époque en est l’illustration saisissante sous sa forme la plus utilitaire) ce sont les besoins : se nourrir, se vêtir, se loger,... etc. C'est partant d'eux, des luttes que l'homme a entreprises pour les satisfaire... depuis l'âge des cavernes, c'est de cette étude des cheminements et des conquêtes à travers les temps, que naissent l'INTERET et la JOIE de CONNAITRE.
Il est d'ailleurs à noter que cette quête dans le passé ou dans l'avenir est infiniment souple : jamais Decroly n'a codifié le contenu autour des « centres d'intérêt ». Il laissait aux maîtres et aux enfants la joie, de construire la structure de leur étude, de la diriger dans tel ou tel sens, d'insister sur tel aspect des problèmes sans programmation préalablement établie.
De plus, homme de science scrupuleux, il attachait à l'OBSERVATION une importance fondamentale : elle était la base de sa méthode de travail; mais il eut l'immense mérite car il n'était pas seulement homme de laboratoire de la maintenir, de la diriger VERS LA VIE, SOUS TOUTES SES FORMES. Sans doute, les étapes de l'observation à l'association et à l'expression (concrète ou abstraite, écrite ou orale) sont-elles soigneusement calculées, voire lentes. Et on est bien obligé de constater que le rythme d'acquisition des connaissances des nouvelles générations d'élèves est plus rapide que par le passé; mais le point de départ, les étapes rigoureusement contrôlées restent solides.
Intervention de Mlle Osbert - Un essai d'observation météorologique au C.E.1. (p. 15)
De Mlle Juton - Monographie d'un petit village Guyancourt. (p. 16)
De Mlle Giacometti - De la notion de temps à la notion de temps historique. (p. 18)
...Mais il y a plus encore : toute cette pédagogie, toute cette éducation est imprégnée de respect et d'amour de l'enfant...
Et il est une chose que le Docteur Decroly n'avait certes pas prévue, lui qui travaillait dans le climat familial de sa petite école d'Uccle, c'est que « le centre d'intérêt » est un admirable moyen de coordination des efforts de tous. Donner à une école « UN CENTRE D'INTERET UNIQUE », c'est orienter dans un même sens les recherches, c'est tendre tous les esprits vers un même but, c’est « COOPERER » au sens le plus noble du terme.
C’est encore dans ce petit univers clos de l’école d'Uccle qu'il y avait tout ce qui peut intéresser les enfants : les bêtes qu’on soignait, les ateliers où l'on ébauchait les premières réalisations et les premières créations...
Je pense que c'est au rayonnement qu'exercèrent les ateliers des communautés d'enfants nées comme nous des séquelles de la guerre que l'usage et la pratique s'en sont répandues particulièrement chaque fois qu'i1 a fallu valoriser des enfants peu doués intellectuellement (Par exemple élèves des classes spécialisées de la région parisienne).
Mais dans beaucoup de communautés, l'atelier librement choisi restait plutôt un « bricolage habille » qu'une technique enseignée avec la précision gestuelle voulue. Nous avons, dès le départ, voulu éviter ce handicap sérieux, pour le cas où une vocation s'éveillerait dans la suite de la scolarité, et des vocations s'éveillèrent. Les techniciens qui avaient dû abandonner leur métier sous Vichy furent, nos premiers maîtres bénévoles :
Mais je me hâte de dire que cette initiation n'eut jamais la rigidité d'un apprentissage, et souvent le néophyte maniait les matériaux les plus divers avant de s'engager dans une technique difficile comme « le tournage » par exemple.
Il faut dire aussi que, dans la plupart des communautés on n'établissait pas toujours une liaison solide entre la classe et les activités si riches des ateliers sur le plan de lac motivation et de la création. Mlle Fuzellier, professeur du C.E.G., Mme Oms, professeur de dessin et Mme Bigot, professeur de l'enseignement ménager vont vous présenter cette constante interpénétration des activités scolaires proprement dites et des réalisations en ateliers libres.
Mlle FUZELLIER, professeur de C.E.G. (p. 20).
Mme DEBAIN, M. BEAUMONT, professeurs de céramique. (p. 22)
Mme BIGOT, professeur d'Enseignement ménager (p. 23)
Mme CAZALET et Mlle TERRAL, professeur d'Education musicale (p. 25)
Vous voyez donc que nous avions réalisé, bien avant la lettre, la Réforme de l'enseignement et ménagé des voies d'accès dans le 2e degré à des enfants dont la scolarité primaire révélait des résultats valables. Voici l'éventail actuel des activités que les enfants peuvent choisir dès le cours moyen.
Tournage céramique décoration imprimerie. Ces ateliers sont en général pourvus d'un outillage professionnel simple.
Puis, danse folklorique jeux dramatiques que Marcel Marceau contribua si puissamment à développer quand il était à la Maison de Sèvres, avec marionnettes, pipeau. Enfin ces dernières années sous l'impulsion généreuse de M. Weber, Inspecteur de l’Enseignement du chant, et de M. ALLARD, maire du 10e arrondissement et M. le Dr GENNAL, nous ayons pu, grâce au prêt d'instruments, doter la maison d'un orchestre d'instruments à vent et à cordes qui passionne nos adolescents.
Je m'en voudrais aussi de ne pas accorder une mention toute spéciale à notre chorale qui, sous la conduite de « Gazelle » eut plusieurs fois l'honneur de paraître au théâtre des Champs Elysées...
Nous ne pouvons malheureusement transporter ici tous les travaux de nos ateliers, ni montrer combien dès le plus jeune âge des enfants nous prêtons attention soutenue à tout ce qui est enrichissement et motivation. Et c'est Mme DROUAL qui viendra vous présenter l'orchestre enfantin qu'elle anime en liaison avec Mademoiselle MARTIN, maîtresse du cours préparatoire.
Dans notre section technique de couture industrielle, et pour corriger ce que cet apprentissage peut avoir au départ de fastidieux, tapis, tissage, jouet bourré entretiennent les facultés créatrices et l'éducation esthétique des futures ouvrières, mais restent toujours en liaison étroite avec les activités scolaires.
Dans ce domaine, nous sommes depuis 27 ans déjà en plein accord avec les travaux pédagogiques les plus récents :
« Il ne peut y avoir de barrière infranchissable, d'exclusivité de compétence entre la classe et les activités de dessin, de photographie ou d'expression dramatique. Il importe, là aussi, que les professeurs soient présents afin que les options offrent les champs d'application véritable de l'éducation scolaire sans contradiction avec elle... »
Rien, à notre avis ne montre mieux cette interpénétration constante entre le travail de classe et les activités que le jeu dramatique réalisé par les enfants en liaison avec le centre d'intérêt. « L'homme découvre, l'homme invente... »
Ils ont tenu à s'exprimer eux-mêmes à ce sujet : montrer qu'ils étaient capables de s'organiser en vue de créer leur propre spectacle.
1. Pourquoi j'aime mon rôle d'explicateur.
2. Pourquoi j'aime Christophe Colomb.
3. Pourquoi je suis responsable des lumières.
4. Mon rôle de régisseur.
5. Pour créer l'illusion théâtrale (costumes)... Comment j'ai déshabillé les Dieux. (p. 28)
Mais nous ne voulons pas être aujourd'hui les desservants d'un culte à un pédagogue si grand fût-il, et si notre pédagogie est d'esprit Decrolyen, elle n'en a jamais utilisé, complètement la codification.
C'est pourquoi toutes les techniques d'éducation nouvelle, chaque fois qu'elles peuvent être utilisées rationnellement, que le travail soit individualisé comme dans les fiches de calcul de Washburne, qu'il s'effectue par groupes chaque fois que les jeunes éprouvent le besoin de s'unir pour un compte rendu d'enquête, par exemple, ou du voyage, ces techniques sont librement adoptées. C'est plus spécialement les 3 heures supplémentaires consacrées à la mise en place du C. d'I. qui rayonne ensuite dans toutes les activités; que s'opère cette fusion des groupes, soit qu'un questionnaire nous renseigne sur les besoins individuels de leurs membres, soit qu'un regroupement spontané s'opère sous l'œil bienveillant du maître qui est alors le coordinateur des efforts communs.
Mais l'évolution de la civilisation industrielle apporte des modifications dans la forme du Centre d'Intérêt Decroylen lui-même. De même que nous devons les plus grandes découvertes de la Pédagogie des normaux aux troubles profonds des débiles (et c'est encore à la pédagogie Decrolyenne que je fais référence), de même nous pensons que la connaissance des grands besoins humains peut être étudiée d'une manière plus précise et plus riche, lorsque ces besoins s'avèrent insatisfaits, et qu'il se révèle dans cette civilisation technicienne des points névralgiques où l'adaptation à un ordre nouveau, sur le plan agricole, industriel, ou économique s'opère difficilement.
C'est d'ailleurs ce qui a été souligné avec force au cours du colloque d'AMIENS.
« Notre monde nous parvient avant et hors de l'école de façon sensible et immédiate. La méthode traditionnelle consistant le plus souvent possible à prendre une œuvre déjà inventoriée en grande partie privée de son pouvoir d'actualité, désamorcée, pour, à travers une analyse rationnelle y découvrir des raisons d'émotion, ne suffit plus. L'éducation doit aussi, et surtout, prendre à sa charge l'examen compréhensif et l'exploitation intelligente de ce qui nous parvient dans l'agression de l'actualité.
L'homme de demain ne doit pas être celui qui a fait le tour du monde hier, mais avant tout, celui qui est armé pour ordonner, tirer parti de la quotidienne nécessité en vue de maîtriser l'avenir. »
C'est pour cette raison, qu'une documentation scolaire uniquement basée sur le livre de classe s'avère nettement insuffisante.
Elle impose au maître la recherche de documents actuels statistiques, brochures, photos, films, faciles à trouver et à utiliser où l'enfant apprendra la méthode du choix judicieux qu'il s'agisse de la correspondance interscolaire, du film et de la télévision éducative, de la conférence illustrée, des enquêtes... des voyages d'étude.
Sur cette correspondance interscolaire réalisée en liaison le mouvement de la Coopération à l'école, Mme KERVIZIC, professeur de science et Mme DJOURNO, ancienne élève de la Maison et professeur de C.E.G. vont vous donner un aperçu malheureusement trop bref. Mais elles vous convaincront, j'en suis sûr de l'apport culturel et affectif que de tels échanges peuvent apporter à la vie d'une classe. et plus encore à des enfants privés du support affectif quotidien... (p. 31).
Je voudrais reprendre encore cette dernière partie du rapport du Colloque d'Amiens.
« L'examen compréhensif... l'exploitation intelligente de ce qui nous parvient dans l'agression de l'actualité ».
C'est ce que va s'efforcer de vous présenter Madame LESPINE en relatant tout d'abord deux enquêtes effectuées dans les classes primaires. et un voyage d'études sur l'un des points névralgiques du milieu rural français en mutation...
La Bretagne de Rennes 9, Saint-Pol-de-Léon La Bretagne intérieure le Méné. (p. 35).
Dans ces rapports récemment parus, je lis encore :
« Il faut aussi que l'école sache s'ouvrir à tous ceux qui sont susceptibles, par leur richesse personnelle, leur expérience, de venir se prêter au dialogue à l'échange que l'enfant réclame et auquel il a droit ».
Madame CIBOULE « Musaraigne », notre documentaliste va vous livrer, avec son humour coutumier « les méthodes » utilisées pour attirer, conquérir et conserver autour de la Maison de Sèvres, tous les amis qui acceptent avec enthousiasme le dialogue avec nos Jeunes... (p. 33).
Je voudrais vous lire, au hasard, les titres portés sur les invitations de nos journées d'études de fin d'année. 1962. « De tous temps en tous lieux l'homme a construit » qui nous conduit des Grands Ensembles de Massy Antony, du plan directeur d'urbanisme de Paris, au Louvre, à la Sainte-Chapelle puis à Vézelay... puisque l'homme a bâti pour abriter ses Dieux, ses gouvernements, ses institutions : des temples, des cathédrales, des châteaux...
C'est en 1963... un besoin vital de l’homme... coopérer qui hors de l'école nous mène à Meudon (magasin Coop), à Chartres, au cœur des coopératives agricoles d'Amiens voir « tomber » le journal d'une coopérative ouvrière « Le Courrier Picard ».
1965. La découverte du travail des hommes et sa lutte séculaire contre l'eau nous a menés des Fontaines de Paris, des bassins filtrants, de la collecte des eaux usées, à un voyage d'étude en Hollande organisé en collaboration avec notre école affiliée de Rotterdam pour étudier la conquête des polders et la grande digue du Zuiderzée.
C'est un étrange paradoxe de constater combien des élèves internes ont de fenêtre ouvertes sur le monde, tout d'abord parce que l'esprit Decroylen « pour la vie et par la vie » nous y invite, sans doute aussi parce que nous nous sommes servis de toutes les techniques propres à motiver et à revigorer notre enseignement, mais aussi parce que le bienveillant libéralisme de tous les Directeurs du Département de la Seine, et au départ de notre grand ami, Monsieur DAVID ont autorisé toutes nos audaces et ainsi permis toutes nos réalisations...
Il faudrait aussi remercier nos Amis du SNES, Gilbert WALUZINSKI, Paul RUFF, qui encouragèrent nos efforts en faveur des Mathématiques modernes, Mlle ABBADIE et M. CHALUMEAU, Inspecteurs, qui suivent avec sympathie les efforts tentés dans notre jardin d'enfants et dans toutes les classes.
Intervention de Mme DROUAL et Mlle MARTIN.
Une expérience de mathématiques nouvelles en classe maternelle au cours préparatoire. (p. 38)
C'est cet « esprit nouveau » qui inspire les travaux pédagogiques récents :
« La finalité de l'enseignement, de tout le système éducatif devra clairement être déterminé en fonction de ce fait majeur.
Développer en chacun la capacité de changer dans ce monde en mutation. Il ne s'agira plus essentiellement d'acquérir des connaissances, pas même d'apprendre à apprendre, mais d'apprendre « à devenir ».
Et je voudrais donner la parole maintenant à notre professeur polyvalent de tissage, tapis, jouet bourré, décoration, dans une des classes les plus riches en réalisations de notre maison.
Mme LEOPOLD a appris elle-même « à devenir » puisqu'elle fut dès 1943 une des premières élèves de cette classe technique qu'elle anime maintenant avec beaucoup de compétence et d'amour ... (p. 42)
... Mais, « un devenir » technique, une adaptabilité à la société industrielle de notre temps, à ses mutations, sont-ils la condition suffisante d'une vie sociale riche et équilibrée, si les fondements n'en sont pas l'éducation constante de la liberté, la pratique de la démocratie au sein de la communauté ?
J'étais frappée il y a quelques jours, après les événements récents que nous connaissons, de trouver dans la bouche d'un doyen et d'un recteur des préoccupations qui furent de tout temps les nôtres.
Le fonctionnement de nos universités serait grandement amélioré si nos étudiants étaient associés à leur gestion...
Si nous reprochons parfois aux étudiants de se comporter comme des gamins, c'est précisément parce que nous ne leur avons pas donné assez de responsabilités...
Qu'est donc devenue au cours de ces 26 années notre République d'Enfants « claire et sereine » pour reprendre le langage de M. PEDROT, petite communauté qui comptait 80 participants ? et dont un film « la petite République » illustra les débuts, séquelles des horreurs de la guerre, cette petite République qu'une trentaine d'adolescents et d'adolescentes géraient avec un sérieux d'adultes ?
« Bussières », notre nouvelle demeure abrite maintenant 180 enfants dont une centaine d'adolescents. C'était donc à une forme plus structurée et plus organisée qu'il fallut recourir et ce sont des membres du bureau de notre coopérative qui vont venir vous expliquer et vous développer la structure de leur organisation, la manière dont ils gèrent les fonds recueillis, et les sacrifices qu'ils ont consentis à l'entraide internationale.
La coopérative structure organisation Joëlle Malgouyrès, C.E.G. 3e.
Le rôle des délégués aux loisirs et à la discipline P. Besnard, C.E.G. 3e.
Coopérer c'est aimer, c'est aider B. Tribouillet, C.E.G. 3e.
Quelques réflexions, quelques critiques sur la marche de la coopérative M. Diagne, C.E.G, 3e. (p. 44).
Et je voudrais rappeler en terminant un mot de notre ami Bassis, Président de la Section de la Seine du groupe Français d'Education Nouvelle, alors qu'on évoquait la finalité technique et sociale de toute éducation... Humaniste, aussi répondit-il, Oui, humaniste, parce que éducation intégrale de la personnalité totale, l'homme devant toujours être jugé comme une fin, et non comme un moyen.