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Une journée à la Maison de Sèvres, samedi 4 juin 2005
début de reportage…

Texte du discours de Mme METZ Fortunée,

ex-secrétaire des Anciens de Sèvres, élève à Sèvres de 1945 à 1954, dans le cadre de l’hommage rendu ce jour, 4 juin 2005
à Madame Yvonne HAGNAUER et à son mari Roger HAGNAUER (GOELAND et PINGOUIN). 

Nous voulons lire, ci-après, à l’attention de ceux qui n’ont pu approcher la plaque et le médaillon, tant l’affluence est grande, les textes qui y figurent. Leur rédaction fut le fruit d’un travail collectif réalisé par un groupe d’Anciens de Sèvres installés en province et en région parisienne.

 

Ici, de 1941 à 1958, s’élevait la maison d’Enfants de Sèvres animée par Yvonne et Roger HAGNAUER, (appelés GOELAND et PINGOUIN) deux instituteurs laïques et humanistes, passionnément épris de paix. Ils y pratiquèrent, avec une équipe éducative motivée, des méthodes pédagogiques originales dans l’esprit de l’Ecole Nouvelle.

Sous l’Occupation, bravant les lois de Vichy, ils abritèrent dans LA MAISON, de nombreux enfants juifs et des orphelins ou victimes de guerres de toutes nationalités, ainsi que des adultes en situation irrégulière (étrangers réfractaires au S.T.O).

Plus tard, ils accueillirent des garçons et des filles venant de familles en grande difficulté.

GOELAND et PINGOUIN poursuivirent leur œuvre au château de Bussières à Meudon. Leurs anciens élèves, qui trouvèrent auprès d’eux un refuge, une famille et une inspiration pour toute leur existence, se souviennent avec émotion.

Yvonne HAGNAUER (1898-1985) a été élevée au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur et a reçu la « médaille des Justes » de l’Etat d’Israël.

 

Nous voulons d’abord remercier Monsieur François KOSCIUSKO-MORIZET, Maire de Sèvres et son Conseil Municipal qui ont eu à cœur de rendre cet hommage à deux personnalités, qui honorent la ville de Sèvres où ils vécurent et travaillèrent, de 1941 à 1958.

Nous célébrons aujourd’hui la mémoire de Madame Yvonne HAGNAUER, Fondatrice et Directrice de la Maison d’Enfants de Sèvres et de son mari Roger HAGNAUER, qui furent pour nous « GOELAND et PINGOUIN ».

C’est à l’instigation de Mme Lucile HUBSCHMANN qui écrivit sur l’histoire de Sèvres, et en particulier sur l’histoire de la Maison, et de Mme Annie DUPUY, Vice-Présidente des Anciens de Sèvres, toutes deux résidentes à Sèvres, toutes deux hélas, décédées récemment, qu’a lieu cette cérémonie, et nous les en remercions tous profondément.

Nous sommes également reconnaissants aux responsables des services de l’Education nationale et à ceux du Département de la Seine, puis ensuite des Hauts de Seine. La Maison d’Enfants de Sèvres, créée en 1941, il y a donc 64 ans, a longtemps été une école pilote où étaient mises en œuvre des méthodes nouvelles, des méthodes « actives » si chères aux grands pédagogues qui les inspirèrent, de Claparède à Decroly, de Langevin à Wallon, et qui réussirent parfaitement avec tous les écorchés que nous étions.

L'établissement était contrôlé par des inspecteurs engagés et compréhensifs de l’Éducation nationale.. Nous remercions particulièrement aujourd’hui les inspectrices ici présentes comme autrefois, qui contribuèrent largement à la réussite pédagogique de la Maison d’Enfants de Sèvres.

 Or cette école, cet internat n’aurait jamais tant émerveillé des enfants perdus comme nous sans l'excellente et chaleureuse équipe pédagogique, qui a veillé sur nous de 1941 à 1958 dans cette maison.

De nombreux membres du personnel qui ont vécu rue Croix-Bosset ou dans la nouvelle maison, au Château de Bussières à Meudon, ont tenu à être présents aujourd’hui, pour s’associer à cet hommage.

 Tous les Anciens de Sèvres, qui ont pu faire le déplacement, sont venus spécialement de France, de Belgique, de Suisse, des Etats-Unis, du Canada etc.. . Nous sommes extrêmement touchés de la présence ici, dans ces circonstances, de toutes ces personnes.

 

Qu’évoque pour nous cette Maison et pourquoi fut-elle si extraordinaire à nos yeux ?

 Nous gravissons encore en pensée l’escalier si raide de la rue Croix Bosset, qu’aurait monté Jeanne d’Arc, et nous entendons de nouveau la cloche de l’entrée, le roucoulement des tourterelles sur la terrasse, les cris et les jeux des enfants dans la cour. La grande bâtisse grise que nous découvrions abritait une centaine d’enfants pendant la guerre : ils venaient de partout : Pologne, Hongrie, Grèce, Allemagne, Belgique, Italie, France, Turquie, Algérie, Maroc

 Presque tous étaient devenus brutalement orphelins ou avaient été abandonnés. La Maison d’Enfants de Sèvres devint leur famille.

 C’est dans la douceur de ce nouveau foyer, dans les multiples activités scolaires et artistiques qu’on leur offrait, qu’ils purent commencer à surmonter les terribles épreuves de l’abandon, de l’exode, des bombardements, de l’errance de Maison d’enfants en Maison d’enfants, et même pour certains, du ghetto de Varsovie et de l’assassinat de leur famille à Auschwitz.

 Chaque élève avait des occupations de son âge qui l’accaparaient.

 Les Petits avaient leurs salles de classe, leur imprimerie, leur orchestre avec triangles et tambourins, leurs lapins. A Pâques, ils cherchaient des œufs dans le jardin…

 Les Moyens avaient aussi leurs salles particulières, leur coin de jardin, leurs activités propres : imprimerie, pipeau, couture, marionnettes, enquêtes dans les villages, linogravure, pyrogravure…

 Les Grands ne chômaient pas non plus : outre leur scolarité, ils rédigeaient et imprimaient un journal « Voile au vent », ils chantaient à Sèvres ou dans la salle Pleyel ; ils jouaient du pipeau, ils reproduisaient des danses grecques, égyptiennes, ils tournaient des poteries, ils tissaient, ils dessinaient, jouaient des scènes de théâtre et mimaient en suivant de leur mieux les cours et le brillant exemple de leur jeune professeur d’art dramatique, un certain Kangourou, qui devint plus tard le célèbre Mime MARCEAU, présent aujourd’hui parmi nous.

 Tous les élèves étaient conduits dans les musées, prenaient des notes et réalisaient des maquettes à l ‘échelle. Noël et toutes les fêtes étaient des occasions de déguisements, de spectacles et de réjouissances.

 On tourna à Sèvres le film « La petite République », les visites d’acteurs et les reportages de journalistes se succédaient dans un tourbillon, qui nous faisait oublier nos peines ou nos questions sans réponse. Goéland et Pingouin l’organisaient sciemment, dans un ballet de visites officielles, un défilé constant de personnalités qui nous impressionnaient, tout en aidant la Maison d’une manière ou d’une autre :

Le Président de la République d’Irlande, Mme Eva PERON, Paul-Emile VICTOR, et des amis fidèles tels M. PEDROT, Maire du 5è arrondissement de Paris et Mme PEDROT, qui ont beaucoup fait pour nous, et Mme Lotta HITCHMANOVA, quaker, fondatrice de l’Unitarian Service Committee du Canada, qui récoltait des fonds pour nous envoyer des colis de vêtements, de nourriture, qui tombaient toujours bien, car nous avions très faim juste après la guerre, à 9 ou 10 ans.

 C’est tout naturellement dans cette chaude ambiance familiale que certains de ces enfants, devenus grands, souhaitèrent être mariés par votre prédécessaur, M. GARRIC, qui célébra une quinzaine de mariages, ou par M. Pedrot, dans la mairie du V° arrondissement de Paris.

 Les Anciens de Sèvres se reconnaissent aujourd’hui à une certaine tournure d’esprit qui leur est commune et que leur ont transmise, par la parole et surtout par l’exemple, nos chers Goéland et Pingouin, Yvonne et Roger HAGNAUER.

 Ce qui nous unit tous et qui revit à leur souvenir, c’est un certain amour du travail bien fait, de la culture, du désintéressement, de la solidarité, de l’engagement, de la responsabilité, et par-dessus tout peut-être, un profond respect de l’être humain, notamment sous sa forme la plus faible et la plus vulnérable : l’enfant.

 C’est pourquoi nous n‘oublierons jamais la Maison d’Enfants de Sèvres, ni toutes les personnes qui la firent vivre et qui contribuèrent, par leur qualité humaine, à nous rassurer et à nous apaiser, autour d’Yvonne et Roger HAGNAUER, nos chers Goéland et Pingouin, qui en furent l’âme inoubliable. 

Fortunée METZ

Ex-secrétaire des anciens de Sèvres