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Une colère de Pingouin !  

(texte reçu le 28 février 2006 par le net.)

Si un ancien ou une ancienne souhaite laisser un message à Didier Martin voici son adresse : antispammartin.didi@wanadoo.fr

Pingouin, qui était la crème des hommes, était aussi capable de petites colères de tous les jours « Mon Vichy, mes biscottes ! », de petites faiblesses si fréquentes chez les grands esprits (au ping-pong par exemple, où il avait une façon bien à lui, légèrement courbé, de tenir sa raquette verticale, devant son ventre, avec un geste brusque pour frapper la balle. Enfin bref, au ping-pong ? il valait mieux ne pas gagner).

Et quelques fois aussi, plus rarement bien sûr, de grandes colères.

Je fus témoin d'une. Une seule. Mais alors LA colère ! Je ne l'oublierai jamais. Et pour cause, j'en fus le témoin mais aussi et surtout la victime avec Maxime Bisserier, dont certains se souviennent peut-être. Ce fut tout simplement, et de loin, la plus belle raclée de ma vie.

Voici comment se produisit l'événement.

À une époque à peine antérieure, disons 1960, 1961, à partir des classes de 4ème, 3ème et technique, parmi ceux que nous appelions les " grands ", il y avait des couples quasi constitués, quasi publiquement. On les voyait ensemble, ils mangeaient à la même table, se retrouvaient à la récréation, etc. Le dimanche, ces demoiselles se faisaient un devoir de se faire belle pour faire honneur à leur petit homme. Comme des petits adultes. La chose était admise par tous, enseignants, monitrices, élèves. Il y avait ainsi un Skripzinski (je ne suis pas sûr de l'orthographe) avec une A., un Guy Barré avec une ? (je ne me souviens plus du nom). C'était comme une tradition de la Maison, tradition sympathique, respectable et respectée.

Mais quelques années plus tard, par un tournant inattendu dans les façons de penser, tout cela se trouva sévèrement réprimé.

Ainsi, quand j'étais en 3ème, ce devait être en 65 ou 66, un jour, nous décidons, après leur avoir demandé leur accord (accepté avec enthousiasme, vous pensez bien) de rendre carrément une visite nocturne, après extinction des feux, au dortoir des filles. Tout cela, sincèrement, sans l'ombre d?une arrière-pensée inavouable.

Aussitôt exécuté.

Après l'extinction des feux, il devait être 23 heures, nous sortons de nos lits, où nous étions couchés tout habillés, et nous nous lançons dans le dédale des couloirs et escaliers qui mène de l'annexe des garçons à l'étage des filles dans le château. Tout cela courbés comme des Sioux, silencieux comme des voleurs, et nous arrêtant toutes les deux minutes, le doigt sur la bouche : « chut ! Attention à la veilleuse de nuit » car la sainte femme était une redoutable adversaire dans le jeu de passer à travers les murs, véritable fantôme de la Maison de Sèvres, qui, dans sa carrière, en surprit plus d'un en chaussettes dans les couloirs « qu?est-ce que tu fais ici à cette heure ? Allez, retourne te coucher » content quand cela n'allait pas plus loin.

Mais ce soir-là, le fantôme nous avait oubliés et nous arrivons sans encombre dans le dortoir des filles plongé dans le noir. Tout doucement, sans faire de bruit, nous prenons place et nous asseyons sur leurs lits, chacun sa chacune, et nous voilà partis à bavarder à mi-voix ? pour commencer. Mais, allez raisonner de jeunes garçons de 15 ans en compagnie d'une demi-douzaine de jeunes filles elles aussi émoustillées par l'aventure ! De fil en aiguille, une parole chassant l'autre, on s'oublie, on parle de plus en plus fort, on finit par éclater de rire et ce qui devait arriver arriva : la monitrice, réveillée en sursaut, qui surgit en chemise de nuit, allume la lumière, reste pétrifiée plusieurs secondes avant de reprendre ses esprits et de pousser un « Oh ! » de stupéfaction horrifiée : des garçons, la nuit, dans le dortoir des filles, allongés sur leurs propres lits !!!

Le scandale !

Les dits garçons (sauf deux, Maxime et moi, qui ont trouvé le moyen de plonger sous le lit à l'insu de la monitrice encore sous le choc) retournent dare-dare dans leurs dortoirs. La monitrice alerte Pingouin (je crois que Goéland était absente, peut-être même à l'hôpital) « En plus, il en manque deux ! ». Les deux en question évidemment retrouvés, convoqués derechef à la maison d'habitation (la maison moderne à gauche quand on pénètre depuis l'avenue Eiffel) où nous attendait Pingouin.

Et là, la séance commence. Entre apoplexie, colère et hurlements de rage, une avalanche de gifles à vous démonter les cervicales, à tour de rôle, une gifle chacun. Nous étions autant dire des monstres : « Vous voulez la tuer, Goéland ! Bing. Hein ? C'est ça que vous voulez ! Bang ». Une demi-heure durant, emporté par sa propre colère, Pingouin nous assène ses gifles à répétition sans mollir. Enfin, Maxime et moi gavés de gifles, Pingouin fatigué de coups, nous remontons nous coucher, effrayés comme jamais on eut l'occasion de l'être : « on va être tous foutus à la porte ! ».

Sincèrement, tous les cinq riant malgré tout de l'aventure, nous nous attendions à des punitions sévères ? Rien de tout cela ! Aucun des garçons en cause ne subit de sanction grave. Ni les filles qui nous avaient accueillis.

On supposa par la suite que, se rendant compte que finalement tout cela n'était pas bien grave, la réaction de la monitrice et surtout celle de Pingouin avaient été plus psychologiques qu'autre chose, comme une réaction d'humeur incontrôlable sous le coup de la surprise. On n'entendit plus jamais parler de l'affaire ? Et nous ne sommes jamais plus remontés dans le dortoir des filles.

Didier MARTIN,
(à Sèvres, Bussières, de 1961 à 1966).

Lire aussi deux témoignages sur la Maison :
En 1946, nous étions trop désorientés, mon frère et moi… (extraits du livre "Un arbre en Israël" de Gilbert Martal),
…Elle restait là des heures entières… (extraits du livre "Une fille sans histoire - roman" de Tassadit Imache).

et
Une école pas comme les autres - (1971-1974) - Annie Labbe
La Maison de Sèvres et les cadeaux de son enseignement - (1945-1949) - Michel Leleu
Jeannine se souvient - (1947 - 1950) - Jeannine Granvilliers

Je viens de découvrir avec émotion - Didier Martin
Mon Vichy, mes biscottes - Didier Martin
Ancien du Château de Bussières ! - Gilles René Villeroy
Je viens de recevoir le nouveau bulletin - Muriel Baghioni-Lavigne
J'ai gardé un très bon souvenir de la Maison - Jacqueline Guilhem-Demirci
À la recherche de mon enfance - Didier Martin
La veille des grandes vacances - Cécile Besson-Peynaud
Un château inestimable - Annie Burggraeve-Rocca
Tout commence en 1971 - Julia Sabot-Favre
Il y avait un prof de danse - Ludovic Kalita
Jupiter, Flamand rose…- Christian Carmona
Je l'attendais depuis tellement longtemps… - Danielle Lewis Bendaoud
Zora, une nouvelle ancienne…- Zora
Souvenirs en vrac 1945-54… - Fortunée Metz
Souvenirs de l'internat 1978-1987 - Céline Peynaud née Besson
Le secret du buffet - Didier Martin
Quelle surprise en allant sur le net - Cristiane Aquilina
C'était ça aussi la Maison de Sèvres - Jean-Michel Gleyze
Dans nos courriels - Jean-Bernard Gageot, Marie Dominique Liégeois
J'ai vu une petite fille nommée Lotta…- Josiane Bourgeon-Austruy
J'y étais ! Chorale 1981 - 1983…- Sandra Gonzalez
Des années heureuses, 1947-1948-France Amerongen
Contes de Sèvres… et du Michigan… - Dominique Morin

Caravelle (lino)

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