Sommaire

Construisons l'Internationale pour qu'elle réalise l'Humanité - 1 - 2 - 3 -

par Roger Hagnauer (n° ?? d'Education et Socialisme, Bruxelles, fin 1959 début 1960)

Le Monde Libertaire La Révolution Prolétarienne

PREMIERE PARTIE. - DE 1914 A 1959 DIX ANS DE GUERRE - TRENTE-CINQ ANS DE GUERRE CASQUEE.
De la faillite à l'absence et aux promesses fragiles - Négations inopportunes ... efficaces à retardement - Causes et effets de la première guerre mondiale La deuxième grande guerre.

DEUXIEME PARTIE. - LES FISSURES DU BLOC ATLANTIQUE.
Capitalisme, fascisme et réaction - L'impérialisme, dernière étape du capitalisme ? - Du plan Marshall au dollar menacé La circulation mondiale des capitaux américains - Les deux tendances américaines.

TROISIEME PARTIE. - L'ECLATEMENT POSSIBLE DU BLOC SOVIETIQUE.
Commentaires successifs... - Un capitalisme sans antithèse et sans limites - Une classe nouvelle d'exploiteurs - Le socialisme dans un seul pays - Hitler et Staline dans le bassin danubien - Assouplissement du système.

QUATRIEME PARTIE. - LES TERRES DE LA MISERE IMMENSE ET EXPLOSIVE.
Les tests qui définissent les pays sous-dé-. veloppés - Colonialisme américain Loi du profit et mission impériale - L'exemple de l'Amérique latine - Une aide trop intéressée - Le« miracle» chinois - Un programme d'aide internationale - La guerre est-elle nécessaire et fatale?

CINQUIEME PARTIE. - NOTRE INTERNATIONALE OUVRIÈRE.
La classe ouvrière s'est-elle déprolétarisée ? - Ouvrier et socialiste - Socialisme revisé - La scission internationale de 1948 - La nature de la C.I.S.L. Interventions et négations internationalistes - L'organisation de la solidarité internationale - La croisade sous la bannière de l'Internationale.


Les deux tendances américaines -

Mais QUATRIEME PARTIE
Les terres de la misère immense et explosive
Nous aboutissons donc, par J'étude des deux blocs, à une double conclusion:
1) Le bloc atlantique est fissuré par de profondes contradictions internes, Il ny a pas de puissance politique capable de J'unifier. Les forces politiques, hors des EtatsUnis, en voulant maintenir des nationalismes obligatoirement conservateurs et réactionnaires, résistent passivement ou activement à J'unIfication. La force politique des EtatsUnis ne semble guère capable d'imposer J'unité du bloc. Tout ce qu'elle peut entreprendre efficacement, c'est de soutenir les forces économiques progressistes ... sans que !' on soit assuré du succès et de ]a durée de cette entreprise.
2) Le bloc soviétique est, au contraire, uni_ fié politiquement avec une rigueur totale. Mais les contradictions économiques et sociales ]e minent intérieurement.
L'Etat impérial peut-il les contenir, par l'oppression, sans provoquer à plus ou moins longue échéance des explosions périlleuses? Peut-il s'adapter et soutenir les :forces économiques et sociales libératrices, sans s'assoup]ir, c'est-à-dire ,détruire son principe et finalement s'écrouler?
La, révolte des peuples colonisés
Cependant, hors des deux blocs, ou plutôt hors du monde industrialisé ou en voie d'industrialisation rapide, s'étend J'immense domaine des pays sous-développés. L'avenir de J'humanité se joue-t-il dans cette zone dont la population croît à une allure vertigineuse, selon une progression géométrique, cependant qué J'étendue de sa surface ne permet même pas J'accroissement de ses ressources selon une progression arithmétique (11).
Une observation préalable: c'est que tous ces peuples ont subi une colonisation directe ou indirecte qui, pour les plus favorisés, Iïa cessé «politiquement» qu'au XIX" siècle. Bien entendu, cette colonisation a pris d'autres formes qùe ]a possession directe: par exemple, le régime du protectorat.,. ou des concessions avec exterritorialité juridique et économique (il ne faut pas oublier que ]a Chine a subi ce régime jusqu'à la victoire du Kuo~Min-Tang, et même après).
Le colonialisme signifie une aggravation de J'exploitation capitaliste, par deux causes essentielles :
1) Entre les exploiteurs et' les exploités, la différence de race accentue ]a lutte des

. classes: les premiers appartenant à la métro-···pole ; les autres étant surtout indigènes,
2) Le pouvoir colonial confond logique-
'--'ment la lutte des classes et la résistance politique à son arbitraire, ce qui annihile l'action des deux ·freins que nous avons définis cidessus: l'organisation ou ~'rière, le contrôle démocratique.
Si la misère explique la révolte des peuples ex-colonisés, elle souligne aussi la responsabilité des peuples colonisateurs, Il est certain que l'indépendance politique ne suffit pas pour la vaincre, Mais il est également certain que la tutelle politique des civilisateurs n'a ni prévenu, ni vaincu les fléaux endémiques qui dévastent ce monde laissé en marge della
civilisation. f
Que ces mouvements fassent basculer l'équilibre universel. cela confirme ce que nous avons déjà formulé, quant aux causes des deux' premières guerres mondiales: la discordance dans les évolutions; l'accélération du rythme des progrès, déterminés par le « retard» de certains peuples, provoquant des conflits insolubles,
. Les tests qui définissent les pa.ys sous-développés
On peut accepter comme caractères essentiels de tous les pays sous-développés les dix tests du professeùr Alfred Sauvy (12), dans son ouvrage capital, « Théorie générale de la fJopulation » :
1) Forte mortalité; 2) Forte fécondité; 3) Alimentation insuffisante; 4 ) Forte proportion d'illettrés; 5) Forte proportion de cultivateurs ou pêcheurs; 6) Sous-emploi par insuffisance des moyens de travail; 7) Assu]etissement de la femme; 8) Travail de r enfant; 9) Absence ou faiblesse des classes moyennes; 10) Régime autoritaire.
Le facteur qui se modifie le plus rapidement, c'est le premier, Ce qui alourdit tous les autres ,facteurs, Les progrès sanitaires, quelquefois dignes d'admiration, par une cruelle ironie ne diminuent notablement le nombre des morts que pour rendre les survivants plus misérables.
Le second facteur, selon d'éminents savants, dépendrait de la pauvreté et de la faim, L'instinct sexuel s'exerçant d'autant plus que les besoins alimentaires sont insatisfaits. L'aisance et la richesse tendant à la limitation volontaire des naissances.
Tous ces facteurs se retrouvent dans la première étape de la révolution industrielle en Europe occidentale, Ce qui veut dire qu'ils ne sont pas propres à l'état arriéré des ex-
colonies. Mais là, ils pèsent beaucoup plus lourd et leur poids croit d'autant plus vite que la transformation industrielle - à peine ébauchée - même lorsqu'elle est rapidement menée ne peut éliminer les forces néfastes par son seul mouvement,
Colonialisme américain
Il est sans doute commode d'incriminer les Etats-Unis comme responsables des pires aberrations réactionnaires et colonialistes, Si vous discutez cette vérité première, vous êtes accusé de soutenir l'impérialisme américain, cause fondamentale du bellicisme occidental et des survivances fascistes,
Les définitions préalables que nous a,vons formulées sont naturellement d'une utilisation moins commode que les slogans populaires. Et l'étude objective des faits alimentera la suspicion.
Osera-t-oll dire que l'extermination des Indiens précéda l'industrialisation 'et même la formation des Etats-Unis, qu'elle :fut l'atroce rançon du passage de l'économie basée sur la chasse à l'économie agricole? - Que J'on a libéré les Philippines et élevé l'Alaska et Hawaï (bientôt Porto-Rico) au rang d'Etats fédérés) ? - Que la lutte contre la discrimination raciale a abouti à des résultats impressionnants, en un temps relativement faible?
Pourrait-on rappeler qu'avant J'agressIOn du vassal stalinien en Corée, les rapports des Etats-Unis avec le vieux chef nationaliste Syngman Rhee avaient déjà abouti à une rupture totale?
Ûn a tort d'ai lieurs de conÎondre le colonialisme politique avec J'impérialisme caractérisé par J'exportation des capitaux. Celuici peut déterminer celui-là, mais pas nécessairement,
La colonisation politique implique l'existence d'institutions parasitaires, arbitraires et omnipotentes imposées par la métropole: une bureaucratie étrangère, une économie impériale fermée, J'organisation du travail forcé, Je maintien d'aristocraties féodales, des discriminations d'origine raciale dans les conditions de travail. enfin l'absence ou la limitation des libertés démocratiques et surtout du droit syndical.
Tous ces caractères définissaient le régime imposé dans les possessions anglaises et françaises, avant la guerre, et celui que la Russie stalinienne a imposé dans les pays soumis. Tout ce que l'on peut reprocher aux Etats-Unis, c'est d'avoir toléré ce régime au' sein du bloc atlantique, avec d'autant plus
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de complaisance qu'ils craignaient une agression st"alinienne, directe ou indirecte.
On retrouve d'ailleurs les deux tendances fondamentales de la politique américaine dans l'intervention des Etats-Unis sur le plan mondial. L'isolationnisme impose la neutralité même bienveillante à l'égard des.gouvernements dictatoriaux qui peuvent protéger les capitaux exportés, Le cosmopolitisme tend à élever les peuples vers une libération démocratique, en négligeant même l'utilité d'étapes progressives,
Loi du profit et mission impéria.le
Si l'on veut se placer au point de vue du progrès démocratique, il est donc injuste d'attribuer aux Etats-Unis la tendance la plus réactionnaire ou la plus conservatrice dans l'association des peuples dits libres.
Mais on peut reprocher au gouvernement de Washington d'avoir toléré les politiques réactionnaires d'Etats européens ou américains. Et la tolérance s'apparente à la complicité, On pourrait appliquer aux Etats-Unis le raisonnement savoureux qu'un personnage d'Anatole France appliquait à Dieu: « S'ils peuvent empêcher le mal et ne le veulent, ils sont malfaisants - S'il le veulent et ne le pellvent, ils sont impuissants - S'ils ne le peuvent et ne le veulent, ils sont impuissants et malfaisants - Et s'ils le peuvent et le veulent, qll'est-ce qu'ils attendent pOlir le [aire? »
Mais la plus redoutable contradiction se révèle entre de puissants' intérêts capitalistes et la mission «impériale» des Etats-Unis,
On a déjà noté que plus du tiers descapitaux américains exportés s'investissent dans des affaires pétrolières, On ne s'en étonne pas lorsque l'on apprend que les· recettes de pays producteurs de pétrole sont douze fois supérieures en 1955 à ce qu'elles étaient en 1928, Cette montée en flèche s'explique par l'expansion industrielle, mais aussi par l'augmentation des prix (du simple au double).
Ainsi une marchandise, dont la' production a sextuplé, accpendant doublé de prix. Ce qui s'expliquerait si l'augmentation considérable des besoins dépassait les possibilités de production, Ce n'est pas le cas. C'est tout simplement le « malthusianisme économique» des grandes compagnies qui tend à limiter la production,
Double constatation : les pays producteurs reçoivent 50 % ,des bénéfices. Mais des compagnies concurrentes leur proposent 70 %' Manœuvres qui, dans le Proche-Orient, par 4-
exemple, pourraient provoquer nationalisations et expropriations,
D'autre part, les pays américains producteurs·(le Venezuela); par exemple) où s'in-..,vestissent d'importants capitaux des Etats- J Unis, tendent à sortir des limites qu'on leur .. "~ impose. En 1937, Roosevelt eut la sagesse' ,;1 de résister aux trusts et de signer un traité "\1 de commerce avec le Mexique, qui avait na- i tionalisé ses installations pétrolifères. Nous retrouvons là deux tendances fondamentales
de la politique américaine.
L'exemple de l'Amérique latine
Elles s'opposent encore avec beaucoup plus de virulence en Amérique latine, principale terre d'élection des capitaux yankees,
Les violents incidents qui ont marqué la conférence panaméricaine de Santiago (août 1959), où les représentants de la Révolution cubaine se heurtèrent durement aux agents de la dictature dominicaine, s'éclairent par des antagonismes permanents,
On peut se reporter au compte rendu d'un voyage de huit mois en Amérique latine, effectué en 1957-1958 par W.-S, Woytisky, professeur d'économie politique, ancien haut fonctionnaire et conseiller du gouvernement de Washington,
L'inspiration ne peut être suspectée par les citoyens des Etats-Unis. Ce n'est pas seule'ment parce que ce voyageur est leur compatriote, par adoption volontaire, c'est parce qu'il est convaincu fermement que seul le peuple des Etats-Unis peut aider eHicacement les peuples d'Amérique latine,
Ceux-ci subissent, d'après vVashington, l'héritage du régime colonial espagnol. la trinité omnipotente: propriétaires terriens, prêtres, soldats de métier; la rigide stratification sociale érigée par les maitres coloniaux, c'est-à-dire le confort et les privilèges aux classes supérieures, les joies de la misère aux masses du peuple. « Au XIX' siècle, les révolutions, les guerres civiles, les coups d'Etat ont été dénués de mouvements populaires, Il n'en sortait que peu de changements dans la structure sociale et économique. »
La vieille pyramide sociale commença à craquer au début du XX' siècle, 'L'influence grandissante des classes moyennes, des intellectuels, avec la course à l'industrialisation, provoquent. la disparition des dictatures, la consolidation des régimes démocratiques, la modernisation de la vie,
L'auteur, c~pendant, signale - parmi les obstacles à la croissance économique _ l'insuffisance de capitaux investis, expliquée en

f-- grande partie par le « train de vie des riches» hors de proportion avec le niveau de développement économique, Ce qui détermine à la fois un contraste frappant entre le luxe des villes et la misère des campagnes, et un gaspillage insensé de capitaux dans des constructions colossales et spectaculaires, ou dans des propriétés foncières, le bien le plus facile à sauvegarder en cas de changement de régime,
A cela s'ajoutent l'absence de stabilité politique, la centralisation dictatoriale, l'inflation galopante, l'analphabétisme, le manque de liaisons normales entre la ville et la campagne et, surtout peut-être, le caractère tou-
jours très onéreux des dictatures, 1
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L'auteur s'étend longuement sur les possibilités et les difficultés de cette croissance économique, ainsi que sur les différentes formes de l'aide des Etats-Unis et des offices internationaux,
Quoique toute l'étude soit fort intéressante, nous nous bornerons à souligner les conclusions critiques à l'égard de la politique des Etats-Unis en Amérique latine:
L'auteur ne pense pas qu'il s'agisse seulement d'une politique d'expansion coloniale pour s'emparer des ressources naturelles de la région, L'exemple de Porto-Rico, l'un des pays les plus avancés de .J'Amérique latine, économiquement et politiquemen, prouverait le contraire. L'assistance technique en générai contribue là améliorer l'existence des peuples et à renforcer leur indépendance.
,Il est ?lus difficile de réfute: l'a.ccusa,tion el une a!hance avec les fcrces rec:lctlcnnUlres. Sans doute ne peut-on prouver que les EtatsUnis aient maintenu au pouvoir des dictateurs contre la volonté du peuple, L'auteur cependant reproche prudemment aux EtatsUnis un manque de clarté et de cohérence dans leur attitude vis-à-vis des courants politiques de la région. Il affirme encore que les régimes de dictature constituent une dbstruction formidable au progrès en Amérique latine,
Mais l'expérience du savant voyageur lui permet d'étudier les deux phénomènes que nous avons signalés comme essentiels: l'exportation des marchandises et l'exportation des capitaux,
Une aide trop intéressée
Sur le premier, il souligne l'absurdité du raisonnement qui voudrait justifier l'aide à l'Amérique latine par l'augmentation des exportations de marchandises d'Amérique du Nord, La modernisation de pays neufs peut
avoir pour résultat de développer les industries de ces pays capables de produire dans l'avenir ce que les Etats-Unis leur exportent aujourd'hui.
D'autre part, le commerce des Etats-Unis avec ces pays accuse toujours, en valeur, un excédent considérable (35 milliards et demi de dollars). Or, ces crédits qui s'accumulent ne pourront jamais être utilisés complètement au paiement d'importations, Outre que c'est une tendance contraire à l'industrialisation que d'équilibrer des importations de matières premières par des exportations de produits fabriqués, elle se révèle impossible à satisfaire (protectionnisme). Le déséquilibre ne peut que croitre, c'est-à-dire qu'en fin de compte l'aide apportée pour conquérir ou garder des débouchés ne peut aboutir qu'à alourdir constamment les pertes subies par les Etats-Unis.
Il est une. é/utre observation essentielle qui pose de redoutables interrogations, Les principales ressources (quelquefois les seules) des pays d'Amérique latine et de la plupart des pays sous-développés consistent en exportations de matières premières et de produits agricoles. Quelques données suffisent par leur éloquence brutale, Il suffit d'examiner la part de certaines exportations dans le commerce extérieur de chaque pays (année de référellce: 1957), Le cafê compte pour 83 % au Salvador, 77 % en Colombie, 73 % au Guatémala, 70 % à Haïti, 67 % au Brésil, Le pétrole pour 93 % au Venezuéla, Le sucre pour 82 % à Cuba. Le cuivre pour 67 % au Chili, L'étain pour 56 % en Bolivie. Les bananes pOUl' 54 % au Honduras,
Est-il vrai que l'on impose à ces pays des prix excessifs pour leurs importations et trop faibles pour leurseliiPortations ? L'auteur croit que cette disparité s'explique, non par une contrainte extérie"ure, mais par les droits de douane élevés, les taux d'intérêt excessifs pratiqués par les Etats d'Amérique du Sud, Mais il insiste sur les incidences catastrophiques des fluctuations excessives subies par les prix des produits principaux sur les marchés mondiaux. Ces variations, «qui causent à peine une ride aux EtatsUnis», peuvent avoir des répercussions profondes sur l'économie d'une petite nation.
Quant à l'exportation des capitaux, autrement dit les investissements, notre auteur admet difficilement que le gouvernement de Washington donne des garanties aux investissements privés, c'est-à-dire favorise« la fuite des capitaux vers des terres fortunées où il n'y a pas d'impôts sur les bénéfices et
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r'-1
1.
où les autres imaôts sont laissés à la bonne volonté des capitalistes, Certains investissements aboutissant à des monopoles privés rél'eillent le ressentiment et même la colère des peuples ». La chute de Peron, en Argentine, n'a-t-elle pas été provoquée par un projet de concession exorbitante à une société pétrolière américaine, dont le dictateur et sa famille devaient tirer de substantiels profits?
Enfin, il parait peu pertinent d'assurer ou même de subordonner l'aide économique et technique au programme de sécurité mutuelle. Les résultats n'ont guère d'efficacité quant à la stratégie mondiale, Mais les armements peuvent être utilisés par les dictateurs pour assurer leur sécurité." personnelle,
Le « miral'le » chinois
Ce compte rendu solide et objectif ne minimise pas l'aide directe des Etats-Unis et leur participation primordiale à l'aide des organismes internationaux. Il met en relief les deux tendances de la politique américaine que nous' avons définies. Il montre comment l1ntérêt vital des Etats-Unis au progrès économique, social et politique de l'Amérique latine se distingue toujours des intérêts particuliers des capitalistes américains ou' même s'y oppose.
Du côté de l'autre bloc, si l'U,R.S,S., a lancé le mouvement d'aide aux pays sous_ développés, la Chine populaire se' trouve placée aux points de rencontre du système dit communiste et de l'immense zone asiatique sous-développée, à peine « décolonisée ».
Nous n'avons rien dit de l'expérience chinoise. Le vieil empire ne peut-il se classer selon les dix tests du professeur Sauvy? Estil vrai que le régime de Mao-Tse-Toung ait accompli des miracles et précipité la modernisation de ce peuple innombrable?
Nous ne partageons pas a priori l'enthousiasme des commentateurs occidentaux, D'abord, parce que ce miracle aurait attendu dix ans pOUl' se produire; ensuite, parce qu'il s'agit d'une succession de miracles aux effets contraires, On vantait la libération du régime à la veille d'un resserrement rigoureux, On vantait les progrès de l'agriculture, à la veille d'une collectivisation accélérée, On vantait les résultats de cette collectivisation. On vantait celle-ci avant la constitution des «communes obligatoires », d'une véritable militarisation des paysans, d'une décentralisation industrielle symbolisée par le minuscule hautfourneau de village. Déjà les excès du dernier miracle ont déterminé certaines réactions ... évidemment aussi miraculeuses.
Les trois phénomènes - russe, yoùgoslave et chinois - ont un caractère essentiel com6-
mun : la prise du pouvoir par une armée composée surtout de paysans. La scission entre J'armée, force principale du régime, et la masse paysanne s'est accomplie, dans' un temps plus ou moins long,en R\lssie et en .;, Chine, La collectivisation agricole a écrasé l'indépendance paysanne. En Yougoslavie, Tito a réagi assez tôt.
Mais le gouvernement chinois appl~que avec une grande habileté et une grande souplesse la politique de Moscou. L'arbitraire politique, qui a asservi les économies des pays satellites, tente au contraire d'attirer dans l'Empire des peuples neutres, en adaptant ses moyens économiques aux nécessités vitales des pays sous-développés.
Tandis que les nations occidentales subordonnent trop souvent leurs exportations et ieurs importations à la compétition des prix sur le marché mondial et à la protection de leur industrie et de leur agriculture, les communistes chinois - s'ils se révèlent parfois des hommes d'affaires avisés - se montrent, en d'autres circonstances, prêts à payer un prix élevé pour certaines importations et à demander un prix dérisoire pour leurs propres exportations. On cite en exemple un accord de troc, un échange pouvant s'équilibrer de riz chinois contre du caoutchouc cingalais; la vente -à bon marché de riz chinois et de ciment à la Malaisie,
La Chine diminue sa consommation intérieure et réexporte à des prix inférieurs vers l'Asie du Sud et du Sud-Est certaines des denrées qu'elle vient d'importer, Elle a acheté du riz à la Birmanie et l'a revendu à Ceylan, Elle a importé d'Europe et du Japon du ciment qu'elle a réexporté vers la Malaisie,
'11 convient de noter que les gouvernements de Birmanie et de Ceylan n'ont accepté des accords avec la Chine qu'après avoir offert en vain leur riz et leur caoutchouc sur le marché mondial. sans' obtenir de prix suffisamment rémunérateurs.
Ces opérations politiques se révèlent particulièrement dangereuses, à l'usage, L'action arbitraire de Pékin sur les prix peut les faciliter, s'emparer d'un marché et imposer ensuite des conditions draconiennes, C'est ainsi qu'Hitler avait agi à l'égard des pays danubiens: les offres alléchantes d'abord, la tutelle économique ensuite, enfin la subordination politique, Ce qui est singulièrement édifiant, c'est que ce dumping de la Chine n'est possible que parce que l'Etat totalitaire limite la consommation intérieure et avilit les salaires, Les cadeaux offerts par le gouvernement populaire s'alourdissent de la sueur, de la chair et du sang du peuple chinois,

Un programme d'aide internationale
Ce problème de l'aide économique aux pays sous-développés a été étudié sérieusement par l'ancien président du Conseil français, Edgard Faure, dans la Nef de juin 1959,
Nous ne saurions approuver l'hommage Implicite aux gouvernements totalitaires, pas plus 'que les pointes contre la philanbhropie américaine (certaines institutions, dont il parle à peine, apparaissent comme une véritable organisation de la solidarité humaine et non comme des œuvres « charitables» ),
Mais les conclusions de M. Edgard Faure
valent d'être connues: f
1) Régulariser les achats de matièresl premières assurant un revenu sûr aux pays sousdéveloppés;
2) Consacrer un prélèvement sur les dépenses-..:;miiitaires des Etats industriels;
3) Créer un fonds international ou une agence spéciale qui ne procédera pas à des virements en numéraire, mais fera travailler pour le fonds les diverses industries qui travaillaient précédemment pour la sécurité;
4) Plan d'investissement qui cumulera certains avantages du socialisme et d'autres du capitalisme libéral. Les ressources naturelles et le travail des peuples assistés ne pourront être exploités dans un intérêt qui ne serait pas le leur,
Il faudra remplacer la recherche du profit par la rémunéretion d'un service, Le sous-sol demeurera la propriété principale de la nation et la réforme agraire de!1ra accompagner la modernisation de l'agriculture,
M, Edgard Faure considère que ce programme impose la coopération de l'Est et de· l'Ouest et peut fournir une base sérieuse de désarmement général, progressif et contrôlé, Ce n'est peut-être là qu'une vue de l'esprit, Mais nous n'avons pas - cette réserve formulée - à rejeter des idées qui, dans leur conception, ont déjà été formulées, il y a dix ans, par les grandes organisations syndicales américaines et particulièrement par Walter Reuter, l'actuel vice-président de l'A.F.L.C.1.O,
La. guerre est-elle nécessaire et fatale ?
Notre ami Robert Louzon, dans une causerie faite à Saint-Etienne, en février 1951 (publiée dans la Révolution prolétarienne), disait excellemment:
«Il n'est point d'Etat, aujourd'hui, qui n'ait des intérêts en toute autre partie du monde,
Et non oas seulement des intérêts olus ou moins va"gues qui sont seulement de quelques individus, mais des intérêts oui touchent tout le monde, car s'ils ne soné p;int respectés, la vie de chacun s'en trouvera transformée. Pensez à ce que deviendrait, par exemple, notre vie quotidienne sans pétrole et sans caoutchouc, Or, ces deux oroduits nous viennent presque des antipod;s, »
De ces affirmations indiscutables, Louzon tirait des conclusions assez pessimistes, au moins dans l'immédiat. 'La guerre qu'il prévoyait pour 1952 n'a pas éclaté. Mais il est vrai que la conjoncture autorisait les prévisions les plus sombres, Sept ans après, sommes-nous préservés du danger? Ce qui serait inexcusable. ce serait de s'endormir dans la sécurité des somnolences et des ivresses d'origine ... diplomatique,
Il est aussi témêraire de compter sur « la peur atomique », Même si les possibilités des deux grands s'équilibrent. Leur accord tacite peut proposer une sorte de non-intervention généralisée, qui laisserait s'accomplir les guerres classiques, localisées. Gare à nous si les belligérants s'approchent des points névralgiques. Ce jour-là, la flamme surgie de l'arbre pourra embraser la forêt, Et peutêtre, par une convention non formulée, les deux grands s'abstiendront-il d'utiliser l'arme qui pourrait anéantir celui qui la porte en même temps que celui qui en reçoit les coups?
Il convient encore de ne pas s'attacher à l'illusion de la neutralité, Il faut être insensé pour supposer qu'un pays quelconque sera assuré de ne pas être engagê dans la guerre, Localisée, c:eIle ... d doit lorriquement se généraliser, Généralisée, elle ne respectera aucune l~eutralité locale.
Le pacifisme pur s'élève parfois jusqu'à l'héroïsme admirable de l'objecteur de conscience, Non seulement nous ne méprisons pas cet apostolat, mais nous le jugeons nécessaire. Inefficace lors du déchainement de la guerre, son efficacité future se mesure peut-être à son caractère inopportun et au sacrifice certain qu'il implique. Le martyre reprend son ~ens étymologique de témoignage, Le refus de l'homme individuel affirme la constance de l'Humanité, dont les machines écrasent le corps sans vaincre l'esprit.
·Mais le pacifisme, lorsqu'il ne sert pas tout simplement la propagande d'un bellicisme hypocrite, traduit trop souvent l'acceptation d'une servitude collective, honteuse en soi et singulièrement imprévoyante.
Les expériences passées nous ont prouvé que si la capitulation n'est pas totale etgénél'ale, le vainqueur provisoire utilise les vain-7

shapeType75fBehindDocument1pWrapPolygonVertices8;6;(15142,21497);(0,21497);(0,0);(21479,0);(21479,6359);(15142,6359)posrelh0posrelv0pib
cus poü-r parachever sa victoire, Des Alsa~ ciens qui, pour être libérés du camp de prisonniers, avaient opté pour l'Allemagne, en 1940, n'ont jeté leur uniforme kaki que pour revêtir la capote vert de gris.,.


Ce dont il faut débattre, c'est de la valeur des termes connus de l'équation dont la solution déterminera l'issue guerrière ou pacifique,

La discordance dans l'évolution et dans le rythme de l'industrialisation du monde persiste, plus accentuée encore qu'en 1914 et en 1939, Elle pose, en effet, une double alternative, dont chacune peut se traduire par un choix entre la vie et la mort pour une des parties,

Le bloc soviétique n'aurait le choix qu'entre l'adaptation ou l'expansion politique et territoriale, Ses maitres peuvent être contraints de choisir le deuxième terme sous la menace de perdre le pouvoir et leur raison d'être,

Les peuples de l'immènse zone sous-développée, à mesure qu'ils prennent conscience de leur malheur, peuvent encore hésiter entre une ascension progressive et une révolte brutale, Les maitres de Moscou et de Pékin utiliseront celle-ci. 'Les dirigeants de l'Occident tenteront de favoriser celle-là. Mais la vitesse du processus dépassera leurs prévisions, Les uns pourront-ils limiter et soumettre le mouvement qu'ils auront accéléré? Les autres pourront-ils accélérer suffisamment la progression, pour que l'on évite les pauses qui renforcent dangereusement les pressions. populaires?

L'action et la orésence du totalitarisme, le conservatisme et l'inertie des démocraties ... ce sont là, en fin de compte, les causes potentielles d'un conflit mondial.

Ce qui bouleverse nos conceptions traditionnelles, c'est que la solidarité de plus en plus étendue et profonde de toutes les parties au monde-iInplique l'internationalisation de tous les problèmes et que, logiquement. cela doit aboutir à un super-impérialisme, l'univers socialiste paraissant utopique,

Mais cela implique d'abord l'exportation des capitaux, qui se serait plutôt ralentie depuis le début de la deuxième guerre mondiale. (Compte tenu de la valeur réelle de la.; monnaie, les investissements étrangers dans le monde entier n'atteignaient que 25 milliards de dollars en 1941-45, contre 44 en 1914. En 1956, pour la seule Amérique latine, 3 milliards de dollars en 1956 contre 8 milliards 500 millions en 1914, le tout ramené aux bases de 1914.)

Même si l'on pense que ce phénomène s'ac- . compagne de super-profits et d'exploitation renforcée des travailleurs, on ne peut se réjouir d'un affaiblissement de' la tendance, provoqué par des résistances passives et actives, nationà!es, soit l'étatisme, le nationalisme, l'autarcie économique, le totalitarisme,

Les peuples seront-ils toujours serrés dans le dilemme infernal: exploitation économique ou oppression politique?
Nous avons rejeté la thèse des deux blocs.
Nous ne croyons pas à une troisième force qui se placerait dans l'espace entre les deux empires, La troisième force, pour être efficace, doit al! contraire pénétrer dans les fis~ sures des deux blocs, s'exercer dans le monde entier, devenir cosmopolite par son aire d'application et internationaliste par sa pensée directrice.

Une telle définition ne convient qu'à l'Internationale ouvrière, Non pas que son succès soit fatal. Mais son insuccès laissera libre , jeu à la fatalité des choses.
CINQUIEME PARTIE
Notre Internationale Ouvrière

Pour que la classe ouvnere internationale agisse, encore faut-il qu'elle existe, objectent certains,

Et l'on ne sait s'ils doutent de la possibilité d'unir des classes ouvrières nationales, ou de la réalité d'une classe ouvrière nettement distincte dal1S la nation.
Nous n'avons pas le loisir d'ouvrir ici ce
débat, .
8-

Accordons à certains de nos contradicteurs _ quelquefois nos amis - que la classe ouvrière s'est quelque peu transformée et élargie depuis cent ans. Des salariés reçoivent une rémunération au moins égale à d'importants revenus. Des travailleurs des services publics sont assujettis à un statut légal. qui n'a aucun des caractères du contrat de travail. ordinaire. Les manœuvres. des usines modernes ne ressemblent guère aux compagnons d'autrefois, maîtres de leur métier.

(suite…).

Roger HAGNAUER.


[*] en savoir plus sur :

- la Centrale d'éducation socialiste, crée en 1911 à Bruxelles, devenu le PAC, Présence et Action Culturelle, qui a édité la revue « Éducation et Socialisme »,

- sur la Révolution prolétarienne (textes publiés dans la R.P.) sur le site de

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