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Yvonne Hagnauer

une grande pédagogue du XXe siècle

 

Le 4 juin 2005, au 14 de la rue Croix-Bosset à Sèvres, le maire a dévoilé une plaque commémorative consacrée à la Maison d'Enfants de Sèvres et à sa directrice fondatrice Yvonne HAGNAUER qui, pendant l'Occupation, bravant les lois de Vichy, abrita dans l'école de nombreux enfants ainsi que des adultes en situation irrégulière (étrangers, francs-maçons, réfractaires au STO, résistants, juifs), les préservant ainsi de l'arrestation, de la déportation et de la mort.

 

Plus d'une centaine d'anciens élèves et professeurs étaient présents - dont le mime Marceau - mêlés à la foule des Sèvriens, des amis et des curieux. Ils étaient venus de toute la France, et certains de l'étranger, rendre hommage et dire leur reconnaissance à la Résistante, "Juste parmi les Nations", mais également à l'institutrice républicaine, laïque, humaniste et progressiste, qu'ils considèrent comme une des grandes pédagogues du 20ème siècle.

 

Cependant Yvonne HAGNAUER (1898-1985), qui fut en son temps une grande figure du Groupe Français d'Éducation Nouvelle, est aujourd'hui peu connue et n'a pas vraiment fait école car, d'une part elle a peu écrit (trop occupée qu'elle était à diriger la Maison d'Enfants de Sèvres jusqu'à l'âge de 72 ans) et, d'autre part, elle était farouchement opposée à toute méthode figée, à toute doctrine et a toujours refusé d'être un maître à penser, un gourou, un expert ou un modèle.

 

Elle défendait l'idée que l'éducation est ART autant que TECHNIQUES et qu'il n'y a pas d'enseignement qui ne doive tenir compte à la fois du maître (de ses compétences, de sa personnalité), des élèves (leurs caractéristiques individuelles et collectives), du contexte et du moment de l'acte pédagogique : "Après une étude sérieuse des différentes méthodes en usage, écrira t-elle, nous décidâmes de ne nous inféoder à aucune école, ni à aucune secte, soucieux en cela de respecter la personnalité du maître que nous ne voulions pas amputer de son pouvoir créateur, en le condamnant à être le desservant d'un culte établi"*.

 

"Par la place que nous entendions donner à l'observation, à l'activité, nous nous sentions très proches d'Ovide Decroly dont nous connaissions les travaux et dont nous nous inspirions ; mais nous ne pûmes, ni ne voulûmes suivre le développement des centres d'intérêt dans l'ordre où il les publia. C'est pourquoi les centres d'intérêt proposés et choisis par les enfants sont toujours assez souples pour rester dans le champ des programmes de l'enseignement primaire"**.

 

La Liberté, elle la revendiquait pour le maître mais aussi pour l'enfant : "Le petit d'homme ne peut créer que s'il est placé dans un climat favorable, sans les contraintes scolaires rigides qui étouffent son initiative et sclérosent son goût d'action. Il faut qu'il puisse agir et entreprendre à sa guise. Il fait ainsi, dès son jeune âge, l'apprentissage de la liberté sans laquelle meurent ses facultés créatrices et l'originalité de sa personnalité"*. Il s'agissait, suivant la belle formule de Jean Rostand "de former les jeunes sans les conformer, de les enrichir sans les endoctriner, de les armer sans les enrôler et sans exiger la ressemblance".

 

Pour cela, l'école utilise les "techniques qui sont propres à toutes les Écoles Nouvelles : imprimerie, pipeau, chant choral, tissage, tournage, décoration, dessin, modelage, linogravure, marionnettes, décors, maquettes, danse folklorique, jeu dramatique, jardinage, cuisine, couture, etc. ; nous les considérions, bien entendu, non comme une fin, mais comme moyens d'expression propres à maintenir chez l'enfant le sens de la création et le désir de l'expression libre". Pendant "qu'ils parlent, qu'ils travaillent, qu'ils dansent ou jouent, les enfants échappent à l'automatisme du dressage savant. Leur spontanéité rayonne et éclate dans la joie de la liberté conquise"**.

Toutefois, l'apprentissage de la liberté et le développement des facultés créatrices de l'enfant n'excluent nullement l'action dirigée, l'exercice de responsabilités individuelles et collectives, la vie en équipe, l'esprit de coopération, le goût de l'effort et la détermination de mener jusqu'au bout toute œuvre commencée, "la discipline imposée par les nécessités du travail et la vie collective qui pénètre l'enfant, le prépare à la vie morale et civique, le prédispose à l'action sociale"**.

 

Et la vie collective ne se limite pas à l'activité scolaire ; "c'est toute la Maison qui est la propriété commune, c'est, du lever au coucher, une multitude de services qui conditionnent le fonctionnement de la Maison et les mouvements de toute la collectivité. Les enfants ont la charge de ces services, sous leur responsabilité, et la liste en est assez longue : les enfants ont la charge de l'entretien des animaux (perruches, cochons d'Inde, tortues, lapins, grillons, têtards, etc.), dont l'observation est la base d'initiation aux sciences naturelles, dont l'élevage développe cet élément fondamental de la morale sociale : le respect de la vie et l'amour de l'œuvre de la nature ; les filles et les garçons collaborent à la toilette des "petits", préparent les tartines beurrées du petit déjeuner, procèdent au lavage de la vaisselle, au nettoyage des salles à manger, etc. Toutes les équipes organisent ces services par roulement, élisent des délégués"**.

 

Si Yvonne HAGNAUER revendique "la recherche de la vérité et la pratique de la solidarité", elle défend aussi crânement la sauvegarde des valeurs morales et "l'amélioration de l'homme et de la société". "L'Éducation Nouvelle ne serait qu'une technique plus vivante et plus ingénieuse que les autres, sans plus, si son but suprême n'était l'éducation de la personnalité morale de l'homme, seule condition de perfectionnement de la société au sein de laquelle il vit"*. Enfin, elle juge nécessaire de viser la réussite aux examens et concours pour permettre la réussite sociale aux enfants "qui ont grandi dans les privations, le malheur et la haine"**.

 

Yvonne HAGNAUER écrivait il y a 50 ans : "Si nous sommes si passionnément attachés à l'École Nouvelle, c'est qu'elle nous semble, à l'heure actuelle, vraiment capable de créer des êtres libres et de sauvegarder la personnalité d'enfants écrasés au départ par leur condition sociale. Qu'on y prenne garde : si ce mode d'éducation libéré de tout conformisme disparaissait, le drame de l'enfance d'aujourd'hui serait le drame de l'homme de demain"**.

 

Pour tous ceux qui l'ont connue, ce qui caractérisait Yvonne HAGNAUER c'était sa résolution constante d'œuvrer pour une société meilleure et plus éclairée ; son refus de catéchiser et de prêcher la soumission ; son opiniâtreté à stimuler la curiosité et le goût de l'étude ; ses encouragements à la réflexion et au développement de l'esprit critique ; sa conviction que  la force de caractère doit aller de pair avec la rectitude morale et la volonté de justice ;  sa détermination à prôner "la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience et le refus de toute affirmation dogmatique" et, enfin, "l'amour du travail manuel et intellectuel"… tout cela pendant 30 ans, au bénéfice de plus d'un millier d'enfants des deux sexes fraternellement unis sans distinction d'origines, de religions et de conditions sociales. 

*    Yvonne HAGNAUER dans : "Les étapes de la vie d'une maison d'enfants, 1941-1949"
                                                        "The stages of the life of a children's home, 1941-1949"
**  Yvonne HAGNAUER dans : "Des enfants dans leur maison, 1941-1951" 

Philippe FLEUTOT

Juin 2005,
Président de la "Société des anciens de la Maison d'enfants de Sèvres" ,

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