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Document : Rue Amelot

J. Jacoubovitch

Traduit du yiddish par Gabrielle Jacoubovitch-Bouhana

Avant propos

J'ai toujours souhaité la traduction française de ce livre, paru en yiddish en 1948, pour que mes enfants sachent qui était leur grand-père qu'ils ont peu ou pas connu. Je voulais qu'ils connaissent la place prépondérante qu'il occupait au sein de la communauté juive, combien inlassable était son activité au service de son peuple. Il trouvait son attitude tout à fait naturelle. Fort heureusement pour nous, il n'était pas le seul de sa génération à agir ainsi.

J'ai finalement décidé d'entreprendre moi-même la traduction du texte de mon père. Au fil des pages j'ai découvert plusieurs choses et d'abord la facilité avec laquelle j'ai lu et compris le yiddish. Puis la découverte de ce qu'était "Rue Amelot". Je pensais qu'il ne s'agissait que du sauvetage d'enfants. Or, son activité a influencé toute la vie juive pendant la guerre et a même eu un impact sur les décisions des Allemands.

Ce livre a été écrit à la troisième personne, mon père étant d'une extrême modestie, lui qui a reçu les hommages et les marques de respect de tant de personnalités. Bien qu'ayant été tenté d'utiliser la première personne j'ai respecté le désir de mon père qui s'effaçait devant l'héroïsme de ses compagnons.

Je me souviens fort bien qu'au cours de notre période grenobloise nous déménagions fréquemment, papa enfermé dans une armoire à linge. Je me souviens de ses agents de liaison, de jeunes sionistes de 17-18 ans. Sans arrêt, ils faisaient la navette entre Lyon (où arrivaient les subsides), mon père et différentes mairies amies. Ils se jouaient des barrages Allemands. Certains ont disparu, d'autres sont en Israël. Je me souviens du jour où déclinant ma fausse identité dans une des nombreuses écoles que je fréquentais alors, Yakovleff, de parents français d'origine russe, les élèves m'ont alors demandé: "Quel est ton véritable nom ?" Une fois de plus nous avons décampé. Je me souviens de papa errant dans une forêt située derrière un de nos refuges. Il scrutait les troncs nerveusement. Je lui en ai indiqué un, portant la marque qu'il recherchait et il a creusé à son pied.

Je tiens à souligner ici le rôle effacé mais important de maman; jamais elle ne s'est opposé à aucune des activités de son mari, elle ne s'en est jamais plainte. Lors de son séjour grenoblois, c'est elle qui partait à la recherche de nos nouveaux refuges. Elle ne tenait pas compte de ses commodités, seul comptait la sécurité de son mari et les possibilités d'hébergement de nos nombreux "cousins et cousines". Elle a échappé avec sang-froid à la vigilance des miliciens lors d'un contrôle d'identité. C'était à la suite de l'assassinat de leur chef local. Toutes les personnes qui comme elle ont été mises sur le côté ont été retrouvées mortes. Elle n'a pas pour autant ralenti ses pérégrinations, papa ne se déplaçant jamais. Elle a même appris, à 50 ans, sur les engins de l'époque, à faire du vélo en montagne pour pouvoir se rendre aux provisions. Je me dois de souligner que pendant toute cette période ils ne m'ont jamais négligée et m'ont entouré de soins attentifs. Paradoxalement, cette période de mon enfance reste un merveilleux souvenir.

G. Jacoubovitch-Bouhana (1992).

En souvenir de ma malheureuse famille qui n'a pas vécu dans un pays où l'on avait le droit d'être juif.
À la mémoire de nos camarades qui ont lutté et sont morts pour la survie de notre peuple.

Préface

« Rien de tel qu'une flânerie au quartier du Marais pour réveiller les souvenirs d'un passé dont nous sommes fiers. Là, un immeuble possède pour moi une importance historique. Pourtant, il ne retient en rien l'attention des passants. C'est le : 36, Rue Amelot. »

« Que de scènes douloureuses et inoubliables se sont déroulées à l'intérieur de ses murs! Les lamentations d'innocentes victimes rejoignent le courage obstiné de ceux qui ont lutté pour la dignité de l'homme, pour la sauvegarde de l'identité juive et qui sont morts aux postes de combat. Ce passé a vu le déchaînement des plus grandes bassesses, mais a également révélé toute la hauteur que peut atteindre l'homme. Celle-ci rayonne sur l'avenir et notre descendance. »

« Tous ceux qui de près ou de loin, à Paris, ont pris part, pendant les années d'occupation, à l'action clandestine juive, savent que, du jour tragique de l'entrée en France des hordes allemandes, à celui, lumineux de la Libération, tous les actes importants de la résistance juive sont nés en ce lieu. »

« Là s'est forgé la chaîne de solidarité qui a permis de mener à bien notre action. Nous ne devons pas oublier nos amis non-juifs qui, en nous aidant ont risqué leur vie. »

« Les dirigeants de "Rue Amelot" furent des héros inoubliables. Face à la peur et à l'angoisse qui écrasaient le monde, ils émettaient une merveilleuse lumière faite de courage et de modestie. »

« De toute mon âme, je forme le vœu que notre postérité soit digne du passé que nous lui léguons. »

« Tout en écrivant, une foule de souvenirs me reviennent en mémoire. Je revois les nombreux défis de nos amis. Combien de fois ne suis-je pas venu, dans mes moments de tristesse, m'imprégner, Rue Amelot, de cette atmosphère d'héroïsme silencieux qui y régnait. Pour ma part, je m'en souviendrais jusqu'à mon dernier souffle et je souhaite que ce souvenir demeure pour l'éternité. »

« Une plaque commémorative devrait être apposée sur les murs gris du 36, Rue Amelot afin de rappeler aux passants de toutes opinions, l'altruisme et l'héroïsme engendrés par la peine et la souffrance : »

Honneur à nos martyrs. Honneur à nos morts. Nous ne vous oublierons jamais.

« Le livre de Jacoubovitch y pourvoira. Je ne l'ai pas encore lu. Je sais seulement que l'auteur s'est efforcé d'exposer les faits tels qu'il s'en souvient. Lié depuis de nombreuses années à l'activité de la Colonie Scolaire, résistant de la première heure, il est le mieux placé pour écrire ces pages d'histoire. »

« Pas besoin de grandiloquence quand les faits parlent par eux-mêmes. Une langue claire et précise saura le mieux rendre l'état d'esprit de ceux qui ont su résister et mourir avec courage et simplicité. C'est ainsi que se redessinera leur silhouette et que revivra leur mémoire. »

« J'aurais aimé que ce livre soit un jour traduit en français, car ces pages d'histoire ne nous appartiennent pas et s'adressent à tous. »

E. Minkowski (1948).

Aux lecteurs

Le manque d'informations sur l'activité clandestine de la "Rue Amelot" est dû à différents facteurs. D'une part, la majorité des intellectuels juifs s'étaient réfugiés en zone libre en raison des cruelles persécutions infligées en zone occupée; d'autre part, les conditions mêmes dans lesquelles le comité menait son action faisaient que même les rares intimes restés sur place étaient imparfaitement renseignés.

Quant aux membres actifs, ils avaient d'autres soucis que de songer à constituer des archives pour l'avenir. Les comptes rendus d'après-guerre passent donc sous silence l'action de la "Rue Amelot". Maintes fois on m'a demandé de témoigner sur l'activité de la résistance juive en France. Mais un participant est-il bien placé pour le faire ?

Je dois avouer que plus d'une fois j'ai pris la plume et, après de brefs essais, l'ai reposée. On peut vivre des moments tragiques, les traverser avec une indifférence bestiale, dans un ébranlement nerveux général. Mais les revivre une seconde fois en les décrivant nécessite un équilibre nerveux auquel il m'a été difficile de m'astreindre : replacer l'effervescence de la "Rue Amelot" dans le contexte du passé; condenser les événements en un ouvrage; faire comprendre pourquoi nous nous retrouvions tous liés dans l'action...

Les journalistes, et encore moins les résistants, ne sont pas des historiens. De plus, le redémarrage d'après-guerre ne laisse que peu de temps libre.

Cependant, je suis arrivé à la conclusion que, toute modestie mise à part, on se devait d'informer sur les activités de la première et pratiquement seule organisation juive de résistance à Paris. Je me suis donc efforcé de résumer en un modeste ouvrage, en faisant appel à ma mémoire, l'immense oeuvre qui porte le nom de Rue Amelot. Il est possible que cette façon de faire modifie le caractère du rôle joué par le Comité. Ses héros ne seront-ils pas blâmés ? Nous n'étions pas des romantiques et ne faisions pas de l'héroïsme pour l'histoire. Tous ont rempli leur devoir avec le même naturel que pour leurs activités sociales d'avant-guerre. Ils étaient conscients de la dure et tragique situation et des conséquences qui pouvaient en découler. Avec le recul du temps, les événements prennent une autre 'dimension. Peu de temps après la libération de la France, un peintre renommé qui revenait d'Amérique, où n'était parvenues que peu d'informations sur la "Rue Amelot", me couvrit de baisers en pleine rue : "Pour ce que vous avez accompli pendant l'Occupation." A ce moment, je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire. Qu'avions-nous fait pendant l'Occupation ? Rappoport se considérait-il comme un héros quand il nous exposait ses fabuleux plans ? Non. Pour nous il était plutôt un fantaisiste, fantaisiste qui a disparu. Savions-nous que notre attitude était héroïque lorsque, n'ayant pas eu une minute dans la journée, nous nous concertions par téléphone, le soir, sur les nouvelles actions à entreprendre. C'était peut-être dangereux, mais cela nous paraissait naturel. Et lorsque Byl, face aux policiers français, réussit à se faire envoyer en prison plutôt qu'à Drancy, c'est certainement avec son sang-froid habituel qu'il a agi.

C'est pourquoi me remémorant les fantastiques défis de tous ces amies et amis très chers qui sont tombés dans la lutte, je considère ce livre comme un monument à leur mémoire.

J. Jacoubovitch, Paris, juillet 1948.

Chapître I - Les bases du Comité "Rue Amelot"

14 juin 1940 - Lors de l'entrée de l'armée allemande dans Paris, le 14 juin 1940, nous n'étions que fort peu nombreux sur place. Les deux tiers de la population avaient fui. Les quelques dizaines de milliers de Juifs encore là, provenaient pour la plupart, des couches les plus pauvres, Au premier matin de l'occupation, ils se pressaient nombreux, devant les portes des organisations juives de secours, mais presque toutes étaient fermées. Aucun de leurs membres restés sur place n'était bien informé. Le besoin d'information était tel qu'au cours de la même journée certains réussirent à se joindre. Ils décidèrent de se rencontrer le lendemain chez maître Glaeser.

A l'heure convenue nous nous sommes retrouvés chez lui : tout au plus une dizaine de personnes. L'ambiance était très oppressante, mais ces retrouvailles ont redonné courage à tous, Les cœurs lourds ont été soulagés par les chaleureuses accolades. Ils s'agissait de membres de différents partis politiques ou d'organisations qui, jusqu'à ce jour, s'ignoraient. Les ennemis d'hier étaient heureux de se retrouver. La chaleur de l'accueil témoignait du besoin que nous avions de nous rapprocher les uns des autres, de trouver auprès de l'ennemi d'hier devenu ami aujourd'hui, un encouragement au combat que nous étions tous prêts à entreprendre. On décida d'organiser une réunion et d'y convier tous ceux que nous connaissions, ils étaient tous préparés à cette éventualité.

Première réunion clandestine au restaurant de Mme Glaeser, rue de Paradis, Paris l0e - À travers les fenêtres pénétraient les chants de l'armée d'occupation qui logeait dans les hôtels du voisinage pendant qu'avait lieu chez Glaeser, un événement historique: la première réunion clandestine juive en France. Dès cet instant des militants se sont préoccupés de la protection de la population juive et ont pris les premières mesures afin que les tentacules de l'ennemi ne nous trouvent pas complètement désorganisés. y ont participé : Glaeser, Grinberg, Ebschtein, Kurtzberg (de la Fédération des Sociétés Juives de France), Dobin, Tcharnobroda et Mme Ika (du Bund), Jacoubovitch (de la Colonie Scolaire), Walk (de l'OSE), Oks et Mme Topcza (du Poale Tsion de gauche). Dès le lendemain, M. et Mme Shapiro (du Yiddische Vinkl) se sont joints à nous.

La première semaine eurent lieu des réunions quotidiennes. Il régnait une entente totale depuis le premier jour. Toutes les mésententes, sans exception, étaient effacées. Nous présentions un front uni à l'ennemi qui nous perturbait par ses attaques, jour après jour.

Notre premier souci a été d'organiser l'aide matérielle. Nous savions après nos investigations que la cantine du Bund poursuivait son activité. Celle de la Fédération avait tenté de le faire mais avait dû cesser ses activités face à l'affluence de personnes non-juives, habituellement secourues par les œuvres du voisinage et qui ne fonctionnaient plus. La cantine du Yddische vinkl ayant des denrées, fonctionnait. Celle du Poale Tsion de gauche était close, faute d'approvisionnement. Il était urgent de rouvrir toutes les cantines car le nombre de consommateurs ne cessait d'augmenter. Il s'agissait d'artisans, d'ouvriers, de petits patrons qui, auparavant, n'avaient jamais fait appel à des secours. Nonobstant toutes divergences d'opinions, il fut décidé de mettre en commun tous les stocks des cantines afin que toutes puissent fonctionner. On décida également la réouverture du dispensaire et du vestiaire de la Colonie Scolaire dès que du personnel aurait été recruté.

Remise en route des activités sociales - Quatre jours après le début de l'occupation, les quatre cantines fonctionnaient à nouveau. La Colonie Scolaire, huit jours après rouvrit les portes du dispensaire, grâce à l'aide du docteur Ogus et de Mme Grenier-Dobin. Nous n'étions pas nombreux: 2 ou 3 par institution, et nous devions nous occuper de la remise en marche d'autres organisations. L'OSE, qui espérait recevoir des' fonds de sa centrale évacuée en zone libre, avait une activité réduite, L'ORT pouvait encore, pendant un certain temps assurer la marche de ses écoles d'apprentissage. La cantine du Comité de bienfaisance avait recommencé à fonctionner, mais avec des réserves de nourriture réduites. La direction ayant refusé toute aide, elle ferma rapidement ses portes. Notre insistance auprès de l'unique représentant présent fut vaine. Notre groupement des 5 organisations remit 3 000 francs à l'asile de jour et de nuit pour acheter du pain. Ce fut la seule subvention que le directeur voulut accepter. Il en a été de même avec l'asile de la rue de Varise. Nous avons poursuivi notre activité dans le même esprit, sans privilégier aucune organisation. Certaines se sont avérées impossibles à remettre en route. Tout en évitant d'être trop nombreux aux réunions, nous cherchions à élargir le nombre de nos membres. Nous ne voulions pas mettre en péril toute notre entreprise, On ne put en fait recruter que très peu de personnes. Elles ne collaboraient qu'en fonction de leur sympathie vis-à-vis d'une des cinq organisations membres. Nous avons essayé de nous entendre avec les communistes, mais en vain. Les négociations ont tout de même amené la réouverture de leur cantine de la rue de Saintonge. Toute notre trésorerie était constituée par un chèque de 200 000 francs [1], remis par la fédération mais que nous ne pouvions encaisser, les banques étant fermées. Les cantines, elles, ne disposaient que de très petites sommes,

Les balbutiements de l'organisation - Aucune de nos organisations, sauf le Cercle amical (Bund), n'a été inquiétée par le pouvoir allemand, pour fait politique.

En fait, dès son arrivée à Paris, la section SS aux affaires juives a perquisitionné dans toute une série d'organisations juives, Les Allemands sont allés au Consistoire, où ils ont forcé le coffre-fort; à l'Alliance israélite, à la LICA, au Joint, dont ils ont pillé le local, à la Fédération, à l'école rabbinique, où ils se sont emparés de la bibliothèque, à l'asile de jour et de nuit, où ils ont tempêté contre le trésorier qui "s'est enfui avec la caisse", à l'ORT - où ils se sont enquis de l'état du matériel (!). Ils ont perquisitionné chez les Rothschild, où tout a été passé au peigne fin, chez Jarblum, chez le docteur Richemond, et bien d'autres,

En fait, il y a eu deux visites au Cercle Amical (Bund) : une liée à l'enquête sur les personnalités mêlées à l'attentat contre l'ambassade d'Allemagne à Paris, et, l'autre, qui faisait suite aux mandats d'arrêt lancés contre certains de ses membres. Mais ces différentes enquêtes n'avaient pas de liens directs avec notre comité, ni avec les organisations adhérentes. Même les visites au Cercle Amical n'eurent pas de conséquences sur nous. Grâce à un subterfuge les Allemands crurent qu'ils se trouvaient dans le local d'une autre organisation. Cependant, nul ne se faisait d'illusion : ces prologues n'étaient qu'un avant-goût de ce que les nazis se proposaient de faire à la population juive. Cependant, nul ne savait quelle forme prendrait la répression, donc personne ne pouvait prévoir comment la contrer. Nous avions tous l'esprit combatif. Nous avions tous compris que pour pouvoir lutter il était nécessaire d'avoir une organisation avec des ramifications précises. C'est ainsi qu'est née l'idée de regrouper en une seule nos cinq institutions, c'est-à-dire : la Colonie Scolaire et les cantines populaires du Bund, du Poale sion de gauche, Fédération et Yddische vinkl.

En juillet 1940, nous nous sommes transformés en une direction centralisée regroupant les organisations précitées, plus une assemblée plénière et un comité directeur réduit, qui en étaient les plus hautes instances de décision. L'ORT et l'OSE (Organisation de Secours à l'Enfance), dont les directions se trouvaient en zone libre, ne voulurent pas adhérer, de même l'asile de jour et de nuit de la rue de Varize. Le Comité directeur était composé comme suit: M. Glaezer (trésorier), Dobin, Jacoubovitch (secrétaire) et Shapiro. Mmes Ika et Tobcia.

Il n'y avait pas de président. Seules les assemblées plénières étaient présidées par Grinberg. Aucun nom n'avait été donné à l'organisation, son siège se trouvait dans le local de la Colonie Scolaire, "36, Rue Amelot", Au cours des événements, les personnes se sont bien rendu compte que l'aide apportée dépassait de loin, tant en objectifs qu'en dépenses, ce que la Colonie Scolaire pouvait leur offrir. On prit l'habitude de parler du Comité "Rue Amelot", nom qui est resté jusqu'à ce Jour.

C'est ainsi qu'a vu le jour, non seulement la première organisation clandestine de résistance juive en France, mais très certainement, la première organisation de résistance en France. Elle n'était, bien entendu, absolument pas protégée. Dans sa lutte pour le droit au judaïsme et à la survie de son peuple elle subi d'énormes coups. Ils ont entraîné de nombreuses modifications dans sa structure. Les changements furent si rapides, qu'à partir de 1942, les différentes organisations avaient entre elles des liens financiers très étroits, mais n'étaient plus dirigées que par un membre de la Colonie Scolaire et un membre de la Fédération. Cependant, l'esprit de résistance s'est maintenu sans faille jusqu'à la fin de l'occupation allemande.

Chapître II - La "Rue Amelot" résiste

Première véritable opposition - La résistance à l'ennemi était la raison d'exister de la Rue Amelot.

Peu de temps après sa création, le Comité s'est formellement engagé à ne pas se soumettre aux ordres officiels de la puissance occupante.

Aussitôt après la mainmise sur toute l'administration de la zone occupée, les Allemands promulguèrent une ordonnance visant la dissolution de toutes les organisations existantes. Aucun de nos membres n'envisagea de dissoudre sa propre organisation; il n'était pas question d'obtempérer.

Enregistrement des organisations - Peu après un nouveau décret, (ordonnance du 28 août 1940, publiée au JO des Autorités militaires Allemandes, le 16 septembre), permit aux organisations qui le souhaitaient de reprendre leurs activités. Cela posa un problème à la direction de "Rue Amelot". Il fut décidé d'en discuter au cours d'une assemblée plénière. Il fut décidé, à l'unanimité, d'ignorer cette ordonnance.

Ne pas obéir à l’occupant - Cette prise de position comportait un sous-entendu important et traçait la future ligne de conduite de "Rue Amelot".

— Ne pas obéir à la première ordonnance ne constituait pas un véritable acte de résistance. Il s'agissait plutôt du désir de poursuivre l'aide dont la population avait tant besoin.

— Ne pas obéir à la deuxième ordonnance constituait déjà un principe et ne donnait plus lieu à aucune autre interprétation. En fait il n'y avait jamais eu de réel risque de dissolution des organisations; dans d'autres pays les nazis avaient exigé que les Juifs créent eux-mêmes leurs propres institutions. Cela faisaient partie de leur politique d'isolement des Juifs. Il était dangereux certes de ne pas se faire enregistrer. "Rue Amelot" entrait ainsi dans la clandestinité, mais évitait ainsi de changer de mains. L'esprit de résistance était tel que la décision de l'assemblée plénière fut très nette : ne pas obéir à l'occupant,

Cette prise de position guida toute l'activité du comité jusqu'à la Libération : même lorsque, décimé, il ne fonctionna plus qu'avec de rares membres, sous la responsabilité de la Colonie Scolaire: même lorsque l'UGIF fut créé. "Rue Amelot" resta en dehors de cet organisme et poursuivit son activité dans l'illégalité.

L’existence illégale de Rue Amelot - Avec le recul du temps, trois ans après la Libération, une constatation à laquelle personne n'avait pensé à l'époque, s'impOSE: cette première décision était non seulement un principe, mais un acte, Souvent s'est posée la question: comment une organisation comme notre comité pouvait-elle mener son activité en toute liberté ? La réponse réside justement dans son illégalité. N'étant pas enregistrée à la préfecture, elle n'existait pas et échappait au contrôle policier. Cela peut paraître curieux, mais jusqu'à la création de l'UGIF il n'y eut aucune enquête sur l'activité de notre comité. Après la création de l'UGIF, notre "culot", nous permit de rester dans l'illégalité. On réussissait à faire croire aux inspecteurs qui venaient s'informer sur notre activité que nous étions "liés" à l'UGIF. Et, ils nous croyaient sur parole! Fort heureusement ils ne cherchaient pas à vérifier nos dires, Il est bien arrivé, deux ou trois fois que des inspecteurs ne comprennent pas ce que "liés" signifiait. On leur montrait alors quelques belles lettres banales, où il était question de subventions et ils s'en contentaient.

Perquisitions - Par deux fois "Rue Amelot" a affronté de très gros dangers. Nous y avons fait face avec un toupet incroyable. En 1941, deux officiers de la Feldpolizei (gendarmerie) sont venus s'enquérir de notre activité. Nous avons eu droit à toute une série de questions 'auxquelles nous avons simplement répondu que nous étions "une organisation de secours". En fin de compte ils ont demandé à Rappoport de se rendre le lendemain dans les locaux de la Feldpolizei, avenue de l'Opéra. Nous étions fort inquiets sur son sort et les conséquences sur notre organisation. Plusieurs d'entres nous attendaient dans un café voisin. Ce fut une demi-heure interminable. En fait, ils avaient reçu une lettre anonyme disant que notre comité envoyait de l'argent à Moscou. Apprenant que nous donnions des subsides aux Juifs dans le besoin, les policiers ont conclu qu'il s'agissait certainement de la vengeance d'une personne à qui nous avions refusé notre aide. Il ne leur est même pas venu à l'esprit de vérifier si nous étions autorisés à le faire.

La veille de Pessah 1942, il y eut une formidable perquisition à notre local. C'était à la suite de la distribution dans Paris, par le Bund, d'un tract dactylographié. La police française pensait qu'il avait été tapé sur une machine nous appartenant. Plusieurs inspecteurs, sous la direction du déjà tristement célèbre Sadoski sont venus faire une minutieuse inspection des locaux de la Colonie Scolaire. Elle dura tout un après-midi, sans résultats valables. Ils ont cependant trouvé des lettres tapées à la machine. Nous avons dû donner le nom de la dactylo. Ils sont allés chez elle avec Rappoport. Ils y firent une perquisition approfondie et finirent par mettre la main sur le carbone d'un rapport réalisé sous forme de mémoire, établi par Jacoubovitch, à l'intention des amis de la zone libre. La dactylo, bien entendu, dit qu'il s'agissait d'un travail pour le compte de la "Rue Amelot" et n'en précisa pas l'auteur. De là, ils se rendirent au domicile de Rappoport, où ils trouvèrent un exemplaire du rapport. Ils l'emportèrent. Rappoport fut emmené et gardé dans les locaux de la Police de Sécurité. Il fut libéré le lendemain, après plusieurs interrogatoires. Pour ce qui est du mémoire, nous avons obtenu, contre la somme de 10 000 francs [2], que des collaborateurs de Sadovski le détruisent. Il est caractéristique de remarquer qu'à la suite de ce tract, seuls le Bund et la Colonie Scolaire ont été inquiétés parmi toutes les organisations juives en activité. Cela prouve que la police possédait des informations faisant peser des soupçons sur l'activité de la "Rue Amelot". Il est étonnant de constater que davantage de questions ne se soient pas posées au sujet de l'activité du Comité. Comment une organisation spécialisée dans les secours à l'enfance pouvait-elle également s'occuper des adultes ? Et, en fait, une telle activité était-elle seulement autorisée ? Il s'en fallut de peu que cela ne se produise. Pas une fois pourtant de telles questions n'ont effleuré l'esprit des policiers. L'alibi de notre "lien" avec l'UGIF avait fonctionné.


[1] Le 10 juin 1940, le Joint avait remis un chèque de ce montant à la Fédération.

[2] Valeur du franc 1940 communiqué par la Banque de France. 1 F = 1,92 fois le francs 1994.


Chapître suivant : Chapître III - Rue Amelot et le Comité de Coordination.

Sommaire - Introduction - I Les bases du Comité "Rue Amelot" - II La "Rue Amelot" résiste - III Rue Amelot et le Comité de Coordination - IV Modification dans la structure de Rue Amelot - V L’activité de bienfaisance de rue Amelot - VI Le sauvetage des enfants - VII L’aide des non juifs - VIII De l'arrestation de Rappoport à la libération de Jakub Byl - Lexique Noms des personnes - Lexique Organisations et évènements - Iconographie

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